En dépit de l’impasse politique totale, des contacts discrets sont menés en coulisses. Si les plus évidents sont ceux menés par Paris, il y en a d’autres dont on ne connaît pas vraiment les détails mais que différentes sources diplomatiques qualifient de sérieux. Tous ces contacts mènent à Doha, où la priorité donnée à la Coupe du monde de football n’empêche pas les dirigeants de jouer un rôle de premier plan sur les dossiers chauds dans la région.
Deux éléments semblent renforcer la thèse d’un rôle qatari accru dans le dossier libanais. D’abord, l’entrée de cet émirat dans le consortium chargé des travaux de prospection et de forage dans les eaux maritimes libanaises pour l’exploitation des ressources gazières et pétrolières, notamment dans le bloc 9, aux côtés d’Eni (Italie) et de Total (France) après le retrait du groupe russe Novatek. Il faut préciser que l’accord conclu à ce sujet a eu lieu sous le parrainage des États-Unis et que ces derniers ont un avis prépondérant dans tout ce qui concerne ce dossier.
Second élément indicateur d’un rôle qatari : les visites remarquées et largement commentées – même si peu de détails ont filtré sur les sujets qui y ont été évoqués – du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil à Doha au cours des dernières semaines. Si la plus récente avait pour objectif déclaré d’assister à des matches de football, la première était clairement politique, et le dossier présidentiel a alors été largement évoqué.
La question qui se pose est la suivante : quel peut être le rôle du Qatar dans le dossier présidentiel libanais, sachant que la France s’y implique depuis des mois sans parvenir à un résultat tangible ?
Des sources diplomatiques arabes précisent à cet égard que l’émirat connaît mieux que les Français les rouages internes libanais et que ses dirigeants ont de bonnes relations avec toutes les parties libanaises. Ils disposent d’une plus grande marge de manœuvre au Liban que celle de tous les autres États. C’est d’ailleurs grâce à leurs bonnes relations avec toutes les parties locales et régionales que les dirigeants qataris avaient réussi à organiser une conférence sur le Liban en mai 2008 qui avait abouti à l’accord de Doha. Cette entente avait permis au commandant en chef de l’armée de l’époque, le général Michel Sleiman, d’être élu président de la République le 25 mai 2008 avec l’aval de toutes les parties politiques et sans même un amendement constitutionnel, bien que la Constitution exige la démission, un an et demi avant l’échéance, des hauts fonctionnaires s’ils veulent se lancer dans la course présidentielle ou législative. Justement, les sources diplomatiques précitées se basent sur l’expérience de 2008 et sur la conférence de Doha pour affirmer que le Qatar pourrait rééditer l’expérience au cours des prochains mois en réunissant les différentes parties libanaises pour les pousser à s’entendre sur un candidat à la présidence. Ce qui a immédiatement poussé certaines parties locales à conclure que le Qatar prépare une conférence qui aboutirait à l’élection du général Joseph Aoun à la tête de l’État libanais. Toutefois, les sources diplomatiques précisent que les circonstances de 2008 sont différentes de celles de 2022. À cette époque, le Liban sortait d’une grande crise après les incidents du 7 mai 2008 qui avaient opposé le Hezbollah au courant du Futur et au Parti socialiste progressiste à Beyrouth-Ouest et dans la Montagne, avant que l’armée ne parvienne à rétablir le calme. Après cette grave secousse sécuritaire, l’armée avait fait l’unanimité dans le pays. De plus, le général Michel Aoun, alors chef du groupe parlementaire du Changement et de la Réforme, avait été convaincu de la candidature de Michel Sleiman, suite à des discussions avec les Français et les Qataris, selon l’argument suivant : il faut laisser la place au général Sleiman pour se donner le temps de préparer l’élection de Michel Aoun six ans plus tard. Évidemment, en 2014, les événements ne se sont pas déroulés de cette façon, et il a fallu deux ans et demi de vacance présidentielle, jusqu’au 31 octobre 2016, avant que ce dernier ne soit élu à la magistrature suprême.Or, aujourd’hui, le commandant en chef de l’armée ne bénéficie pas encore de l’aval déclaré des différentes composantes politiques. Beaucoup de rumeurs circulent, mais il n’y a encore rien de concret. Pour certains, c’est encore trop tôt et cela ne servirait à rien de déclarer ouvertement son appui à la candidature de Joseph Aoun alors qu’il n’y a aucune perspective électorale pour l’instant, tandis que d’autres estiment que dans le cas de Michel Sleiman, sa candidature s’est imposée comme une évidence après les événements du 7 mai 2008. Mais pour l’instant, la candidature du commandant en chef de l’armée ne fait pas l’unanimité au Liban.
Enfin, et toujours dans le contexte de la comparaison entre 2008 et 2022, il y a 14 ans, le Qatar avait l’appui de toutes les parties étrangères arabes et internationales pour accueillir la conférence de Doha sur le Liban. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Jusqu’à présent, l’Arabie saoudite n’a pas donné son aval pour une conférence de ce genre, ainsi que la Syrie qui refuse toute normalisation avec cet émirat, alors que les contacts entre le régime Assad et les autres États du Golfe, comme l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït et Bahreïn, ont été renoués.
Même les Américains n’ont pas encore donné clairement le feu vert pour un tel scénario, estiment les sources diplomatiques précitées. Ce qui signifie que le rôle du Qatar est pour l’instant de préparer le terrain, de renforcer les contacts avec les parties qui n’ont pas, pour différentes raisons, de relations poussées avec les États-Unis. Face au refus saoudien de s’impliquer plus au Liban, les Américains auraient donc demandé aux Qataris de prendre le relais pour éviter un effondrement total... en attendant des développements à l’échelle du monde et de la région.
commentaires (6)
Je note que pendant que le peuple se meurt à cause (entre autres bien-sûr) de ses mauvais choix, Gebran Bécile va assister à des matches de foot, probablement en avion privé et dans une loge VIP, financés par les mêmes "amis" qui lui payèrent ses espiègleries à Davos naguère…
Gros Gnon
11 h 35, le 04 décembre 2022