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Lifestyle - Artisanat libanais

Setrak Bozoian, maître du temps

Ils sont brodeur, cordonnier, ferronnier, horloger, luthier, menuisier, potier, restaurateur, tanneur. Ils ont en commun « l’intelligence de la main » et perpétuent des gestes ancestraux, hérités de leurs aïeux ou fruits d’une vocation. Retrouvez aujourd’hui, dans notre série « Artisanat libanais », parmi les femmes et hommes que l’initiative « The Ready Hand » s’emploie à répertorier, le dernier de ces portraits. Celui de Setrak Bozoian, horloger et collectionneur de magnifiques pièces.

Setrak Bozoian, maître du temps

Setrak Bozoian, un regard et un geste précis. Photo C.H.

Ses grandes mains noircies par des heures de labeur et des vis minuscules à placer au bon endroit, son regard pointu, son geste qui ne tremble pas, sa patience sans limite arrivent inlassablement à percer les mystères des horloges et des montres. Aucun mécanisme ne résiste au savoir-faire de Setrak Bozoian et aucun problème n’échappe à son diagnostic, toujours très juste. Il peut pénétrer le cœur de chaque pièce, en écoutant d’abord son souffle, plus lent, plus timide ou plus accéléré, et, comme un secouriste ou un chirurgien, lui insuffler, avec les gestes qu’il faut, une seconde chance et une nouvelle vie.

Des horloges, des coucous, des pièces à vendre et d’autres de collection chez Setrak Bozoian. Photo C.H.

C’est très jeune que cet horloger, aujourd’hui âgé de 67 ans, a démarré dans cet univers qui peut sembler à la fois si abstrait et si concret. Poétique et technique. Moderne et nostalgique. Son père était coiffeur pour hommes, mais c’est son grand-père qui lui communique sa passion pour ces étranges et belles machines qui rythment et comptabilisent nos vies. Il connaîtra tout, les coucous des années 30, les montres manuelles, les réveille-matin des années 60 à remonter au quotidien, les automatiques et autres Casio électroniques des années 70.

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D’ailleurs, sa boutique de Sed el-Bouchrié prend, sans le savoir, des airs de musée, lorsque, passé le premier regard jeté sur ce lieu exigu, un peu désordonné, bercé par le tic-tac incessant des heures, le regard se pose sur des horloges d’un autre temps, accrochées au mur, et d’autres, plus discrètes, cachées sous une vitrine un peu poussiéreuse. « Regardez cette pièce, dit le collectionneur en montrant fièrement un réveille-matin, ce coucou qui date des années 30 est un original, celle-ci qui annonce chaque heure avec un Ave Maria et celle-là qui date de l’année 1947. J’en ai beaucoup d’autres, centenaires, très précieuses et qui appartenaient à mon grand-père. Je préfère les cacher en lieu sûr. Durant les incidents armés de 1998, tous les magasins du coin ont été volés… »

À la recherche du temps perdu

Setrak Bozoian a démarré dans ce métier délicat et cérébral alors qu’il était encore à l’école, durant les vacances d’été. Contraint d’arrêter ses études au brevet pour aider sa famille, il travaille chez un horloger ami avant d’être engagé « chez Jovial, à Azaryié », précise-t-il fièrement, le regard pourtant un peu triste. « Je connais chaque coin du centre-ville et Bab Idriss. » La marque suisse était alors l’une des plus importantes au Liban. Il y restera jusqu’à la fermeture des bureaux au Liban dans les années 90. « J’ai assemblé plus de 2 000 pièces, j’en ai réparé encore plus… Ils m’ont fait confiance (...) J’ai connu Tammam Salam, Saëb Salam et bien d’autres, qui réparaient leurs montres chez nous. » En 1995, il s’installe à Sed el-Bouchrié, les affaires, entre vente et réparations, marchaient bien. « On ne pouvait pas se plaindre. Jusqu’en 2012. La demande s’est depuis faite plus rare, le volume de travail a graduellement et nettement diminué. Aujourd’hui, ce sont les réparations qui marchent le plus. Les gens n’ont plus les moyens d’acheter de nouvelles montres. Pourtant, j’en ai à 10 dollars », précise-t-il.

Une boutique qui prend sans le vouloir des airs de musée. Photo C.H.

« Maalim »

« À 23 ans, je pouvais travailler sans arrêt, 24 heures sur 24. J’aime le travail manuel. Je suis à l’œuvre tous les jours, mais à mon âge et dans les conditions actuelles, les choses deviennent de plus en plus difficiles pour moi. Quand ma tête est pleine, je n’arrive plus à me concentrer, je dois arrêter un peu avant de reprendre. » « Marhaba maalim, lui lance alors un client qui interrompt notre conversation, impatient. Comment elle va ? »

Les mains calleuses, l’horloger à l’œuvre. Photo C.H.

L’œil de Setrak s’illumine alors. « Regarde, j’ai fait de mon mieux, elle est comme neuve. » Un deuxième habitué débarque, expliquant que sa montre, qu’il vient d’ôter de son poignet avant de la lui tendre, a « rendu l’âme ». « Laisse-moi voir si je peux faire quelque chose. » Alors Setrak se transforme en apprenti sorcier, magicien d’Oz, Edward aux mains d’argent. Il chausse sa loupe ternie et, d’un œil avisé, plonge dans les flancs de la montre. Devant lui, un plateau plein de petites vis en acier qui attendent de servir, à côté des tournevis et autres pincettes. « Facile… Je peux te la réparer. » « Je te donne une avance? » lui demande alors le client qui semble être un habitué. « Non… À vendredi si Dieu veut. »

L’horloger en pleine concentration, ses instruments de travail à portée de main. Photo C.H.

Setrak n’a pas transmis ce métier proche de la passion douce à ses deux enfants encore étudiants. Obligé de travailler – « que je le veuille ou pas » – pour assurer les fins de mois, ainsi que sa femme – qui « est secrétaire dans une école, j’ai oublié de vous le dire, c’est très important » –, il déclare, affiché au mur, ne pas être « responsable de toute pièce qui reste chez nous plus d’un mois », mais prend soin de chacune de ces montres déposées chez lui pour un jour, un mois ou cent ans.

Setrak Bozoian fier de sa collection de montres. Photos C.H.

Une heure plus tard, une des horloges nous rappelle qu’il est l’heure de partir. Nous n’avions pas vu le temps passer, et pourtant…

Pour joindre Setrak Bozoian :

+961 3 256 909.

Retrouvez ces portraits sur la page Instagram @thereadyhand.

Ses grandes mains noircies par des heures de labeur et des vis minuscules à placer au bon endroit, son regard pointu, son geste qui ne tremble pas, sa patience sans limite arrivent inlassablement à percer les mystères des horloges et des montres. Aucun mécanisme ne résiste au savoir-faire de Setrak Bozoian et aucun problème n’échappe à son diagnostic, toujours très juste. Il peut...

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