Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Artisanat libanais

Charbel Nahed et Béchara Lahoud, réanimateurs de flippers

Ils sont brodeurs, cordonniers, ferronniers, horlogers, luthiers, menuisiers, potiers, restaurateurs, tanneurs. Ils ont en commun « l’intelligence de la main » et perpétuent des gestes ancestraux, hérités de leurs aïeux ou fruits d’une vocation. Retrouvez les vendredis, dans notre série « Artisanat libanais », les portraits de ces femmes et hommes que l’initiative « The Ready Hand » s’emploie à répertorier. Aujourd’hui Charbel Nahed et Béchara Lahoud, passionnés de flippers et de machines à sous à qui ils insufflent une nouvelle vie.

Charbel Nahed et Béchara Lahoud, réanimateurs de flippers

Charbel Nahed et Béchara Lahoud, un duo complémentaire. Photo C.H.

Ici, ce n’est pas Las Vegas, loin de là… Dans cet antre avec pignon sur la rue Khalil Badaoui, le cœur d’un vieux Beyrouth bat à son rythme lent et passionné, mais toujours résolument nostalgique. Le linge des voisins danse au ralenti, bercé par ce délicieux vent d’automne. La tête dans le moteur d’une voiture, le garagiste discute avec son voisin épicier sous l’œil protecteur d’un mazar de la Vierge, déposé là sans doute après l’explosion du 4 août. Assise sur son balcon décrépi, une vieille dame sans âge regarde le temps et sa vie passer en sirotant son café matinal.

Béchara Lahoud dans son élément. Photo C.H.

Et pourtant, c’est dans ce décor de cinéma aux couleurs tendrement locales et dans la boutique de leur compère Joseph Tannous que Charbel Nahed et Béchara Lahoud accumulent les machines à jeux, machines à sous, les jukebox et autres flippers. Qu’ils achètent de sublimes pièces et leur donnent une nouvelle jeunesse, préservant le côté rétro qui fait leur charme et leur valeur. Le duo amical et professionnel, à la fois si différent et complémentaire, ne se lasse pas de s’envoyer des vannes.

Lire aussi

Gilberte Abinader, brodeuse côté coeur

À ma droite, Charbel ouvre le bal. Un marcel blanc sur un pantalon large, une moustache et un humour subtils, dans une expression toujours sérieuse, il apostrophe Béchara, plus réservé et calme, en dépit de son bermuda et de son sourire taquin. Ensemble, et dans ce cadre charmant, ils pourraient être les personnages d’une comédie des années 60 avec des répliques mémorables. « Je suis né le 10/10/1950 », annonce Charbel, assis sur une chaise en plastique, à l’extérieur, savourant une pause. « Cette année-là, Charbel est apparu ! » renchérit Béchara, né, lui, le « 25/3/1956 ». Et même si leur parcours est différent, avec un lien de parenté lointain, c’est ensemble qu’ils travaillent aujourd’hui pour sauver ces pièces de plus en plus rares, non pas de l’oubli, car elles restent très prisées, mais d’une mort annoncée.

Charbel Nahed devant des flippers fraîchement réparés. Photo C.H.

L’un et l’autre

Après quelques emplois divers, Charbel Nahed découvre les flippers et en tombe amoureux. « J’ai assemblé les premières machines de flipper au Liban en 1969. Mon patron, Georges Hojeily, était le premier professionnel à importer ces machines. Je suis resté avec lui pendant six ans, jusqu’aux “événements”. » « Ce métier était très rentable. J’ai pu en quelques années me marier, acheter une maison et élever mes deux garçons, se souvient-il. J’adorais ce jeu, alors, pour ne pas dépenser tout mon argent, j’ai préféré en faire un métier… » À partir de 1996, Béchara Lahoud a été chef d’équipe technique, Head Chef d’équipe et Floor Manager au Casino du Liban. « Mon numéro au Casino était le 222. Je suis parti à la retraite en 2020, j’aurais pu continuer, j’aimais tellement ça. » « II a encore la vigueur d’un cheval ! » renchérit Charbel. Durant les années 70, « les heures de gloire de ces machines », les deux compères joignent leurs talents. « Chacun avait son métier, nous avions tous les clients du Liban, on se complétait », souligne Charbel, plus bavard.

Lire aussi

Hagop, alias Jackson Shoes, roi de la chaussure

La guerre de 1975 a connu le succès des flippers, des jackpots et machines à sous. « Puis Kaslik est devenue Las Vegas ! » disent-ils en chœur. Petit à petit, ils assistent au déclin de ces jeux, la mode changeant ou l’humeur n’étant plus à la fête. Mais surtout, « les machines ont évolué et sont passées à l’électronique. On jouait plus chez soi, à la maison ». Depuis, ces précieuses machines sont devenues essentiellement des éléments de décoration prisées par des esthètes ou des collectionneurs. Leurs principaux clients viennent de « Rabié, Faqra, Achrafieh et Kfardebiane », mais sont aussi, raconte Charbel, « des nostalgiques qui se rappellent encore qu’ils fuguaient régulièrement de l’école pour une partie de flipper ou de machine à sous », quand Saëb Salam, alors Premier ministre, les avait interdits parce qu’ils avaient, selon lui, une mauvaise influence sur la société et les jeunes. « Les propriétaires de salles de jeux ont réagi et ils ont eu gain de cause... »

Béchara Lahoud, un vrai professionnel. Photo Jad Abou Jaoudé

Haute technicité

« Nous rachetons des pièces de chez des fournisseurs avec qui nous travaillons depuis longtemps, nous réparons le système souvent défectueux et nous les revendons. Chaque pièce est nettoyée avec précision, dépoussiérée et réparée. Les machines partent très vite », souligne Béchara. Les deux complices possèdent une solide technique, mais, avoue Charbel, « je ne m’y connais pas en système électronique. Lorsqu’il s’agit de réparer une pièce moderne, c’est Béchara qui s’y colle, moi je m’occupe de tout ce qui est mécanique. On fait tout à deux ». « Si on ne trouve pas de pièces de rechange, on les fabrique », poursuit l’autodidacte Charbel, en précisant : « J’ai appris le métier tout seul, Béchara, lui, a fait un stage en France de trois ans et demi et un autre de deux ans au Japon ! » En dépit de conditions difficiles, l’abonnement du moteur à lui seul atteint les 4 millions de livres libanaises, et sans la générosité de l’ami Joseph, qui ne prend pas de loyer, « nous n’aurions pas pu continuer ». La double explosion du 4 août a été terrible pour eux aussi, les dégâts et la peur considérables, « nous sommes toujours en vie, c’est un bonus ! » disent-ils reconnaissants, dans un sourire.

Charbel Nahed, dans le métier depuis 1969. Photo Jad Abou Jaoudé

Et lorsque les deux hommes lancent un « vous voulez faire une partie ? », le retour aux années 80 est immédiat… La célèbre et très belle machine Gottlieb s’éclaire de toutes ses couleurs, la bille en métal apparaît et se faufile rapidement, les tilts résonnent et les chiffres s’affolent sur le tableau. Vite la retenir, et surtout retenir cet instant et cette rencontre qui valent certainement le détour.

Pour les contacter : Béchara Lahoud 03/859057, Charbel Nahed : 70/556648.

Retrouvez ces portraits sur la page Instagram @thereadyhand

Ici, ce n’est pas Las Vegas, loin de là… Dans cet antre avec pignon sur la rue Khalil Badaoui, le cœur d’un vieux Beyrouth bat à son rythme lent et passionné, mais toujours résolument nostalgique. Le linge des voisins danse au ralenti, bercé par ce délicieux vent d’automne. La tête dans le moteur d’une voiture, le garagiste discute avec son voisin épicier sous l’œil...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut