Face à la quasi-paralysie du Parlement et à l’impossibilité jusqu’à présent d’élire un président ou même d’adopter une loi importante comme celle sur le contrôle des capitaux, un scénario commence à circuler dans les coulisses politiques. Il se résume à l’idée de procéder à des élections législatives anticipées, une option souvent réclamée par les parties au sein de l’opposition, mais qui ne s’est jamais concrétisée au Liban. Toutefois, à ce stade, l’idée fait son chemin dans les coulisses des pouvoirs exécutif et législatif pour sortir de l’impasse actuelle, causée en grande partie par un Parlement formé d’une addition de minorités incapables de s’entendre entre elles. Car chaque bloc ne se sent pas assez fort pour aller de l’avant, et préfère par conséquent se cantonner dans une opposition et un négativisme destructeurs pour le pays, même s’il est fructueux au niveau de la popularité.
En effet, depuis l’annonce des résultats des élections législatives en mai dernier, le nouveau Parlement est scruté à la loupe en raison du rapport de force inédit qu’il a engendré. Pour la première fois depuis Taëf, le Liban est doté d’une Assemblée où la tendance générale est confuse et où la multiplicité des petits groupes parlementaires empêche la conclusion d’ententes, même provisoires, sur des sujets déterminés. Que serait-ce alors sur les grandes échéances du pays, comme l’élection présidentielle... ? Pour de nombreux observateurs, les nouveaux députés, élus dans la foulée du mouvement de protestation populaire, n’ont pu jusqu’à présent ni s’unir au sein d’un bloc ni lancer une initiative crédible pour sortir de la crise. Même le président de la Chambre Nabih Berry, pourtant passé maître dans l’art de nouer des ententes avec la plupart des parties et de trouver des sorties de crise (pas toujours satisfaisantes), a désormais du mal à gérer les petits groupes au sein de l’hémicycle. Alors qu’une huitième séance destinée en principe à élire un président est prévue aujourd’hui, le scénario est devenu lassant, et rien n’indique que des progrès en vue d’une entente prochaine sur l’identité du futur président sont en train d’être enregistrés.
Pour toutes ces raisons, l’idée d’organiser des élections législatives anticipées pour aboutir à un Parlement où les différentes forces chercheraient à faire avancer les choses, au lieu de passer leur temps à s’annuler réciproquement, serait en train de faire son chemin, apprend-on de sources concordantes. Le sujet a été évoqué lors de réunions en petit comité entre des responsables du pays pour sonder les possibilités de recourir à un tel scénario, et tous les aspects de la question ont été abordés. Il est ainsi apparu que cette idée se heurte à de nombreux obstacles, certains constitutionnels, d’autres concrets.
Sur le plan constitutionnel, pour organiser des élections législatives anticipées, il faudrait que le Parlement soit dissous. Or, depuis l’accord de Taëf, le président de la République n’a plus ce pouvoir. Par contre, le chef de l’État et le président du Conseil des ministres peuvent dissoudre la Chambre dans des cas précis strictement définis, comme par exemple lorsque le Parlement s’abstient de se réunir pendant toute la durée d’une session ordinaire. Là aussi, le scénario est compliqué, parce que non seulement il n’y a pas de président, mais surtout, le gouvernement actuel est démissionnaire. Un tel gouvernement pourrait-il décider de dissoudre le Parlement dans l’un des cas définis par la Constitution ? Ce sujet pourrait créer une nouvelle polémique dans le pays.
Reste une possibilité, celle que la Chambre se dissout elle-même. Ce qui est aussi possible, mais exige l’approbation de la majorité des deux tiers des députés. Or, s’il est possible de réunir deux tiers des députés de la Chambre sur un sujet aussi délicat, il serait aussi possible alors de le faire sur un candidat à la présidence. Mais indépendamment de cette logique, le scénario d’une dissolution de la Chambre sur une décision de la majorité des deux tiers de ses membres n’est pas impossible. À condition que, selon l’article 25 de la Constitution, les élections soient organisées dans un délai de 3 mois. À ce moment-là, une autre question se posera : un gouvernement démissionnaire dont le décret de démission a été signé par le chef de l’État avant son départ de Baabda peut-il organiser des élections législatives ? Les milieux proches du Premier ministre Nagib Mikati répondent par l’affirmative et assurent que, de toute façon, une telle décision serait prise en accord avec le président de la Chambre, le souci principal étant de sortir de l’impasse actuelle et de permettre aux institutions de l’État de se remettre à fonctionner. Si le Parlement actuel continue à s’autoparalyser et à être incapable de prendre une décision importante, et si la communauté internationale continue à ne pas placer le Liban sur son agenda, la vacance pourrait s’éterniser, alors que le pays se débat dans des crises multiples.
C’est pourquoi, ajoutent les sources proches du Sérail, il faudrait réagir au plus vite et pousser les différents groupes parlementaires à s’entendre. C’est dans ce contexte que le président de la Chambre a annoncé qu’il compte désormais privilégier les entretiens discrets en vue de parvenir à des ententes. Mais si cette approche ne porte pas ses fruits, il faudra envisager d’autres scénarios, dont les élections législatives anticipées. Pour l’instant, il s’agit donc d’une menace adressée aux députés, mais si, au printemps 2023, aucune percée n’était enregistrée au niveau de l’élection présidentielle, il se pourrait bien que le scénario des élections législatives anticipées se concrétise... avec l’aval, cette fois, de la communauté internationale.
commentaires (7)
Indeed, if the current Parliament is unable to elect a President within a specified deadline, early elections are in order. Israel had multiple elections within the last two years to reach a majority government. So why not us?
Mireille Kang
01 h 34, le 02 décembre 2022