Ce n'est pas encore pour cette fois... La huitième séance parlementaire consacrée à l'élection d'un président de la République au Liban a été levée jeudi, moins d'une heure après qu'elle ait débuté, sans aboutir à l'élection d'un successeur à Michel Aoun, dont le mandat est arrivé à son terme le 31 octobre.
Comme les semaines précédentes, le président de la Chambre, Nabih Berry, a levé la séance, à peine le décompte des voix du premier tour achevé, avant d'annoncer, alors que plusieurs députés avaient déjà quitté l'hémicycle, la tenue d'une nouvelle réunion le jeudi 8 décembre à 11h. Ce rituel désormais bien huilé d'un premier tour suivi de la levée directe de la séance, le quorum étant perdu après le départ de députés du Hezbollah, du mouvement Amal et du Courant patriotique libre, se poursuit depuis la première réunion parlementaire électorale organisée le 29 septembre dernier, malgré la vacance totale de l'Exécutif dans un Liban en plein effondrement.
Lors du premier tour, un total de 111 députés ont voté. Trente-sept ont voté pour le parlementaire de Zghorta Michel Moawad qui avait obtenu 42 voix lors de la septième séance et 52 ont voté blanc. Parmi les autres candidats ayant reçu des votes, le professeur et universitaire respecté Issam Khalifé a été plébiscité par quatre députés (contre six la semaine dernière), l'ancien ministre Ziyad Baroud par deux parlementaires (contre deux également jeudi dernier). Par ailleurs, neuf députés ont voté pour "Le nouveau Liban", un seul "Pour le Liban", un seul pour le candidat officiel Béchara Abi Younès, un seul pour l'ex-patron des Douanes, Badri Daher (actuellement emprisonné dans le cadre de l'enquête sur l'explosion au port de Beyrouth). Quatre bulletins on enfin été annulés, dont l'un en faveur de l'ex-président brésilien Lula da Silva.
Le nom de Sleiman Frangié, qui avait été glissé dans l'urne il y a deux semaines, n'est pas ressorti ce jeudi.
Réagissant, avant le début du vote, à une intervention du député des Forces libanaises Antoine Habchi qui lui reproche de ne pas vouloir faciliter l'élection présidentielle, Nabih Berry a assuré qu'il "veille à l'élection d'un président le plus tôt possible". "Ne m'adressez pas ces paroles", a-t-il ajouté, alors que les députés de sa formation continuent de voter blanc et de se retirer du Parlement à l'issue du premier tour de vote.
Moawad perd des voix
Michel Moawad, député de Zghorta et candidat à la présidentielle, a estimé que "la Constitution est piétinée à chaque séance avec la perte du quorum". "On ne peut pas continuer de la sorte. Ceux qui attendent des accords régionaux et internationaux pour élire un président ne sont pas conscients de ce qu'endure le peuple. Il y a un divorce avec le peuple", a-t-il fustigé, lors d'un échange avec la presse après la fin de la séance.
"J’ai perdu deux voix en raison de la décision du Conseil constitutionnel (qui a accepté la semaine dernière deux recours en invalidation des députations de Rami Fanj et Firas Salloum). Il y a également un recul de trois autres voix aujourd'hui. Nous n'arrivons pas à avoir assez de votes pour être en position de force", a-t-il concédé.
"Je suis certain que si nous élisons un président soumis aux armes (du Hezbollah) et à la logique du partage du gâteau ou un président qui arrondit les angles, nous irons vers plus d’effondrement", a affirmé M. Moawad.
De son côté, le vice-président de la Chambre Élias Bou Saab a affirmé avoir voté pour Ziad Baroud pour éviter de voter blanc, étant donné qu'il "n'y a pas d'horizon", selon lui, pour Michel Moawad. "Tous les partis ne s'entendent pas, preuve en est qu'un candidat a perdu des voix aujourd'hui", a-t-il souligné, en référence à M. Moawad. Il a ensuite plaidé en faveur d'une "entente". Il s'est par ailleurs prononcé contre une réunion du cabinet démissionnaire de Nagib Mikati, une option que le Premier ministre sortant envisagerait.
"Nous n’avons pas vu de réponse aux souffrances des gens. Je demande une session exceptionnelle pour le budget du ministère de la Santé et des hôpitaux. Ce n’est pas parce qu’on entrave la présidentielle que l’on doit entraver l’accès des gens aux hôpitaux", s'est insurgé pour sa part le député Bilal Abdallah, membre du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt.
"Brûler le nom" de Frangié
Le député de Tripoli (Liban-Nord) Fayçal Karamé, de retour au Parlement après que le Conseil constitutionnel (CC) a accepté jeudi dernier un recours en invalidation en sa faveur contre Rami Fanj, a plaidé en faveur d'une "entente". Il a également affirmé refuser de "brûler le nom" du chef des Marada Sleiman Frangié, considéré comme un candidat officieux à la présidentielle, estimant que "les propositions de Michel Moawad sont des propositions de défi". "Jusque-là, il est impossible de faire parvenir Michel Moawad à la tête de l'État, d'où la nécessité de l'entente", a-t-il précisé. "Sans dialogue ni entente, nous demeurerons dans ce cercle vicieux", a-t-il mis en garde.
Najat Aoun, députée du Chouf issue de la contestation populaire, a indiqué avoir voté "pour Michel Moawad", dans une déclaration après la séance. "On ne peut pas continuer comme cela, c’est douloureux de voir des séances qui ne mènent à rien. Les députés doivent rester à l’intérieur du Parlement jusqu’à élire un président", a-t-elle dit.
Le député issu de la contestation populaire Marc Daou a pour sa part critiqué le fait que l'élu alaouite de Tripoli (Liban-Nord) Haïdar Nasser, qui a rejoint le Parlement la semaine dernière après avoir gagné un recours en invalidation contre le député de la contestation Rami Fanj, a "quitté la séance sans même assister au dépouillement", contribuant ainsi à la perte du quorum.
"Il est triste de voir que l’on continue d’entraver la présidentielle alors que les institutions sont dans un état déplorable. Nous tirons la sonnette d’alarme parce que le gouvernement d’expédition des affaires courantes est devenu le gouvernement de l’enfer", a pour sa part réagi Ibrahim Mneimné, député de Beyrouth et issu de la contestation populaire.
Le député Michel Doueihy, qui a quitté le groupe parlementaire des Forces du changement, a affirmé avoir voté blanc. Il a également indiqué qu'il envisagerait de boycotter les prochaines séances étant donné que le même scénario se répète chaque semaine.
"Nous avons discuté avec les Forces libanaises à la fin de la session. Nous allons également nous réunir avec Michel Moawad demain (vendredi), puis avec le PSP. Nous allons voir s'il y a une possibilité d'élire un président consensuel qui fasse l'unanimité au sein de l'opposition", a indiqué Nabil Badr, député indépendant de Beyrouth II.
Plus de deux mois de blocage
Les séances législatives censées mener à l'élection d'un nouveau président restent stériles depuis plus de deux mois, faute de consensus entre les différents blocs politiques sur un candidat unique. Une telle entente est traditionnellement considérée comme un prérequis à l'élection d'un nouveau chef de l'Etat au Liban, et est actuellement réclamée régulièrement par le Hezbollah et ses alliés qui ont, lors des dernières séances, maintenu leur vote blanc. Face à eux, les Forces libanaises (de Samir Geagea), le Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt ainsi que le parti Kataëb et des députés indépendants se sont exprimés en faveur de leur collègue de Zghorta, Michel Moawad. Mais ils peinent toutefois à rassembler plus de suffrages autour de M. Moawad dont la candidature est de toute façon rejetée par le parti chiite et le CPL.
Si le Hezbollah a laissé clairement entendre que son candidat de prédilection est Sleiman Frangié, chef du mouvement des Marada, ce dernier est le grand rival des aounistes, qui ne sont donc pas prêts à lui accorder leurs votes et donc une couverture chrétienne.
Lors du premier tour, le président doit être élu avec 86 voix, alors qu'une majorité absolue de 65 voix est requise lors des tours suivants. Toutefois, jusque-là, la Chambre n'est toujours pas parvenue à un deuxième tour de vote, les députés du camp du Hezbollah et ses alliés se retirant de la séance à l'issue du dépouillement du premier tour, conduisant à chaque fois à la perte du quorum. A chaque nouvelle séance, M. Berry considère qu'il s'agit à nouveau d'un premier tour, et que le nombre de voix requis est de 86 pour élire un président. Une manœuvre toutefois contraire à la Constitution.
commentaires (11)
Pauvres types…
Gros Gnon
23 h 27, le 01 décembre 2022