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Nos Lecteurs ont la Parole

Qui suis-je ?

C’est le bordel dans ma tête depuis quelques années. Comment l’expliquer? Par où commencer ? Qu’est-ce qui m’empêche de m’exprimer ? Une vie pleine d’évènements, une enfance loin d’être enfantine, une adolescence chaotique, un adulte perdu dans le temps et une question qui me brûle les pensées : qui suis-je ?

C’est un samedi soir dans un bar à Bordeaux, les chansons des années 70 ambiancent les gens, venus des quatre coins du pays. Les clopes dans les cendriers attendent patiemment leur départ aux déchèteries. Ma toux s’aggrave avec chaque goutte de bière et je discute avec les gens. Il y a de tout dans ce bar, des étudiants, des retraités, des salariés, des personnes intéressantes et d’autres avec qui je ne partage aucun centre d’intérêt. Et puis il y a ce monsieur, pas très vieux mais pas très jeune non plus. Il me regarde, puis commence à me parler. Bien évidemment, avec l’alcool, je suis incapable de camoufler mon accent et ma façon de prononcer la lettre R ne l’empêche pas de cerner que je n’étais autre qu’un « étranger ».

Certes, la discussion entre nous n’était pas passionnante, mais sa phrase : « D’où viens-tu ? Parce que tu n’as pas la gueule d’un Français » me pousse à réfléchir aujourd’hui à qui je suis vraiment. J’ai grandi dans un environnement très sain, des parents bienveillants, un frère aîné qui joue bien son rôle de grand frère et des amis qui sont toujours là à l’écoute. J’ai vécu au sud du Liban, un théâtre d’affrontements fréquents entre le Liban et Israël, et à Beyrouth, une ville que l’histoire a massacrée. Mais est-ce que je me sens libanais ? Mais d’ailleurs, vous voulez dire quoi par « être libanais » ?

J’adore ce pays, Beyrouth a toujours été ma muse et elle le sera toujours. Les fêtes, les coutumes, la cuisine, la simplicité des rues, la volonté de vivre et la résilience me manquent. Mais est-ce que je me sens libanais ? Est-ce que vos questions identitaires incluent le fait de survivre au conflit israélo-libanais en 2006, aux dizaines d’attentats, à une crise économique puis à une explosion apocalyptique ?

Je vis en France depuis 2020, la devise de ce pays est incarnée en moi. Je parle français, je suis bien intégré, je suis passionné par la culture française et je connais l’histoire du pays qui m’a accueilli les bras ouverts pour mes études. Ce sont des critères essentiels pour constituer une identité. Mais est-ce suffisant pour dire que je suis français ?

J’ai voyagé partout en Europe, à Ljubljana je me suis senti slovène, au Portugal avec le monsieur de l’application couchsurfing je me suis senti portugais. Même en partant faire les courses en Andorre, je me suis senti andorran. Mais qui suis-je ? J’en ai marre de toujours devoir expliquer qui je suis alors que moi-même je suis perdu dans ma propre identité. J’en ai marre de ce complexe d’identité qu’Amin Maalouf a écrit dans son ouvrage Les identités meurtrières, qu’Amel Bent a chanté dans sa chanson Ma philosophie et que Cheyenne-Marie Carron a illustré dans son film Patries.

À quoi ressemble un Français ? À quoi ressemble une Togolaise ? Quels sont les traits physiques des Guatémaltèques ? Et les Australiens, les Syriens, les Norvégiens, les Chinois, les Canadiens, les Marocains ? Qui es-tu pour identifier l’identité d’une personne en fonction de son apparence physique ? Qui es-tu pour les catégoriser ? Qui suis-je ? Serai-je capable de répondre un jour à cette question ? Je n’en ai aucune idée, mais en attendant, je vais prendre ma douche dans une salle de bains sur le territoire français, en écoutant de la musique du sud de l’Amérique et en me douchant avec un gel douche polonais que j’ai depuis mon tour d’Europe.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

C’est le bordel dans ma tête depuis quelques années. Comment l’expliquer? Par où commencer ? Qu’est-ce qui m’empêche de m’exprimer ? Une vie pleine d’évènements, une enfance loin d’être enfantine, une adolescence chaotique, un adulte perdu dans le temps et une question qui me brûle les pensées : qui suis-je ? C’est un samedi soir dans un bar à Bordeaux, les chansons...

commentaires (2)

Et moi aussi, je suis si loin, ayant quitté à 18 ans ce pays, de retour de temps à autre même si tout a tellement changé. Je rêve de la petite maison libanaise au toit rouge perchée dans la montagne avec vue sur mer, un petit bassin où l’eau coule et des pins maritimes qui sentent bon comme au Bois de Boulogne de mon enfance. J’ai finalement peint le tout sur un meuble qui a eu la chance d’être exposé dans un musée canadien pendant deux ans ravivant cette formidable envie de monter les marches du village imaginaire à l’ancienne, des bidons d’essence recyclés en pots accueillants, ce rêve d’antan sur la terrasse faite de pierres brutes.

MIRAPRA

04 h 41, le 29 novembre 2022

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Commentaires (2)

  • Et moi aussi, je suis si loin, ayant quitté à 18 ans ce pays, de retour de temps à autre même si tout a tellement changé. Je rêve de la petite maison libanaise au toit rouge perchée dans la montagne avec vue sur mer, un petit bassin où l’eau coule et des pins maritimes qui sentent bon comme au Bois de Boulogne de mon enfance. J’ai finalement peint le tout sur un meuble qui a eu la chance d’être exposé dans un musée canadien pendant deux ans ravivant cette formidable envie de monter les marches du village imaginaire à l’ancienne, des bidons d’essence recyclés en pots accueillants, ce rêve d’antan sur la terrasse faite de pierres brutes.

    MIRAPRA

    04 h 41, le 29 novembre 2022

  • Comme moi je suis libanaise d’origine grecque j’adore le Liban , mon mari est français et nous vivons en Italie

    Eleni Caridopoulou

    10 h 50, le 25 novembre 2022

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