
L’intérieur du centre de la direction d’enregistrement des véhicules. Sami Ayad/Photo d’archives
Visés par une enquête pour corruption depuis plusieurs semaines, les centres d’enregistrement des véhicules de Dekouané et d’Ouzaï (banlieue est et sud de Beyrouth) se retrouvent au centre d’un véritable scandale qui a conduit, à ce jour, à l’arrestation de plus de 50 fonctionnaires, gérants d’auto-école et courtiers, dont l’actuelle directrice générale du département du trafic routier, Hoda Salloum, selon des informations fournies par le premier juge d’instruction du Mont-Liban Nicolas Mansour à L’Orient-Le Jour. Les arrestations, qui ont commencé il y a trois semaines, visent des personnes accusées d’encaisser des pots-de-vin pour enregistrer des véhicules, de falsification de permis de conduire, d’enrichissement illicite, de corruption et de négligence professionnelle. Une vingtaine ont déjà été incarcérées, selon le juge Mansour. D’autres fonctionnaires et courtiers des bureaux de Jounieh et de Tripoli sont également dans le viseur de la justice, et plusieurs arrestations ont été menées ces derniers jours dans ces centres jusque-là épargnés. « Cette secousse était nécessaire. On ne peut plus fermer l’œil sur ce qui se passe dans les centres d’enregistrement des véhicules. Je suis déterminé à aller jusqu’au bout dans ce dossier », assure le juge Nicolas Mansour à L’OLJ.
Le centre d’Ouzaï vidé de ses employés
Le travail dans les centres d’enregistrement des véhicules est paralysé depuis le début de la pandémie de Covid-19 et les confinements successifs, suivis par une vague de grèves motivées par la détérioration du pouvoir d’achat des fonctionnaires. Dernièrement, les nombreuses arrestations menées par la police ont donné le coup de grâce à ces centres. À l’heure actuelle, le centre d’Ouzaï est hors service, après l’arrestation de l’ensemble de ses 15 employés dans le cadre de l’enquête, confirme le juge Mansour. Celui de Dekouané est également fermé, même si ce ne sont pas tous les employés qui ont été arrêtés, « mais le travail est difficile à mener dans ces conditions », explique-t-il. Interrogé par L’OLJ sur la corruption au quotidien dans les centres, le propriétaire d’une auto-école de Beyrouth dénonce une « exploitation » systématique des clients. « Les gens sont exploités de manière inimaginable, surtout lorsqu’ils veulent se procurer des actes de vente de véhicule. Ces documents sont normalement obtenus gratuitement, mais les fonctionnaires et les courtiers les monnayent à hauteur de 100 dollars... Certes l’État s’effondre, mais ça ne justifie pas ce genre d’agissements », lance cet homme qui a requis l’anonymat. « Même si les salaires des fonctionnaires ne sont plus suffisants, cela ne justifie pas autant de corruption, les citoyens n’étant pas mieux lotis ! » ajoute-t-il.
L’entrée du centre d’enregistrement des véhicules de Dekouané. Photo ANI
Hoda Salloum toujours en détention
La directrice générale du département du trafic routier, Hoda Salloum, est pour sa part en état d’arrestation pour complément d’enquête depuis la semaine dernière, sur ordre de l’avocate générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Nazek el-Khatib. Face à cette arrestation qui risque de se prolonger, le juge Nicolas Mansour appelle les autorités à désigner un nouveau directeur temporaire à la place de Mme Salloum, en poste depuis 2014, « car le travail doit continuer ».
Il y a une dizaine de jours, le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, avait autorisé que des poursuites judiciaires soient engagées contre Mme Salloum pour « négligence professionnelle », selon les déclarations de son avocat, l’ex-député Hadi Hobeiche. « Nous savons que les pots-de-vin existent dans toutes les administrations et les ministères, et le crime de négligence professionnelle peut être imputé à tous les fonctionnaires », avait lancé Me Hobeiche à des médias, estimant que si Mme Salloum doit être jugée, « elle ne doit pas être la seule ».
Une source judiciaire qui a requis l’anonymat assure à L’OLJ que l’interrogatoire de Hoda Salloum est actuellement au point mort, depuis qu’un des avocats de la prévenue (qui fait partie de l’équipe de Hadi Hobeiche) s’est opposé à une décision de la juge Nazek el-Khatib. « La juge a voulu rouvrir un ancien dossier impliquant Hoda Salloum et remontant à 2019, transféré depuis à la chambre compétente. Ce qui est contraire à la loi », selon cette source judiciaire. Nous n’avons pu vérifier ces informations auprès de la juge el-Khatib. Par ailleurs, un développement important est venu marquer cette affaire lundi. Nazek Khatib a fait l'objet lundi d'un recours en dessaisissement présenté par l'avocat de Hoda Salloum, Marwan Daher. La notification du recours a la juge a eu pour effet immédiat de lui ôter sa mainmise sur le dossier impliquant la fonctionnaire. Le recours a été présenté devant la cour d’appel du Mont Liban présidée par Rima Chbaro. Il s’agit, selon les informations, d’un recours pour « fautes lourdes » contre la juge.
Mme Salloum avait été arrêtée en décembre 2019 pendant 44 jours puis libérée sous caution dans une affaire d’abus de pouvoir et d’enrichissement illicite. En juillet 2019, la Cour des comptes avait épinglé le manque de transparence de la gestion des contrats d’exploitation des parcmètres liant la Direction nationale du trafic routier aux municipalités. La directrice générale du département du trafic routier avait également été arrêtée en 2020 sur base d’un mandat de recherche émis par la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Ghada Aoun.
L’agonie de l’état est dû à la présence de milices plus forts que l’état. Il y a certainement des juges qui font bien leur travail mais vu l’ampleur de la corruption généralisée et même institutionnalisée, cela restera anecdotique. Dans ce pays, il y a un truc qui n’est confessionnel, c’est la corruption. Bravo et courage aux juges honnêtes qui se battent contre Goliath.
01 h 49, le 23 novembre 2022