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Lifestyle - Artisanat Libanais

Gilberte Abinader, brodeuse côté coeur

Ils sont brodeurs, cordonniers, ferronniers, horlogers, luthiers, menuisiers, potiers, restaurateurs, tanneurs. Ils ont en commun « l’intelligence de la main » et perpétuent des gestes ancestraux, hérités de leurs aïeux ou fruits d’une vocation. Retrouvez les vendredis, dans notre série Artisanat libanais, les portraits de ces femmes et hommes que l’initiative « The Ready Hand » s’emploie à répertorier. Aujourd’hui, Gilberte Abinader, brodeuse aux doigts de fée.

Gilberte Abinader, brodeuse côté coeur

Dans cet exercice qui la comble, Gilberte Abinader est concentrée et heureuse. Photo C.H.

Sa vie n’a certes pas été cousue de fils blancs… Elle suit plutôt un long fleuve tranquille et transparent bercée par la prière, et ce silence, cette solitude dans lequel elle se plonge, toute la journée, pour pouvoir méditer, travailler, oublier le monde extérieur. Pourtant, c’est surtout avec des fils bleus, parfois bordeaux ou noirs, que la vie de Gilberte Abinader s’écrit, depuis qu’elle brode des initiales sur des chemises masculines, côté cœur en général, ou sur le bas des manches. Infiniment petites, ces deux ou trois lettres, qui, souvent, affichent un statut social, sont tracées lentement, la main sûre, le regard précis aujourd’hui aidé par des lunettes. « C’est normal, à mon âge ! » confie-t-elle. Gilberte a 55 ans, trois garçons de 33 ans, 31 et 27 ans, « deux belles-filles et une fiancée ! » qu’elle continue de voir grandir seule.

Gilberte Abinader brode des initiales sur les chemises depuis plus de 30 ans. Photo C.H.

Son mari, autrefois militaire dans l’armée, est décédé en 2012. Dans ce coin du salon où elle reçoit clients, couturiers et amis, situé en rez-de-jardin, les sacs en nylon gonflés de chemises, de manches, les morceaux de tissu, les fils et les esquisses sur papier beurre sont déposés en douceur, dans un ordre qui n’est pas surprenant, sur et autour du canapé.

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Du texte, des dessins, des thèmes pour toutes les occasions. Photo DR

À l’image de notre brodeuse pleine de coquetteries, une robe blanche avec une grande fleur verte posée en son centre et une croix au cou, ce discret atelier improvisé a quelque chose de féminin, de maternel presque, même si elle s’adresse essentiellement à une clientèle masculine.

Demoiselle Loris

C’est « vers 25 ans, je ne me souviens plus précisément », avoue-t-elle, que Gilberte Abinader a appris cette drôle de calligraphie et cousu ses premières lettres. « Ma tante maternelle, demoiselle Loris Rustom, avait un atelier à Tabaris », dit-elle. Encore scolarisée chez les sœurs de Azarieh, elle commence par l’observer, par l’aider, timidement. « Elle m’a tout appris. Un jour qu’elle s’était fracturée la main, j’ai été obligée de m’atteler entièrement à la tâche. »

Même les cravates sont revisitées. Photo DR.

Loris a continué à travailler jusqu’à l’âge de 93 ans, « tant que ses yeux étaient en bonne santé, rien ne l’arrêtait ! » assure-t-elle. La technique peut paraître simple, deux initiales, cela semble aisé, mais « ce n’est pas évident, confie notre brodeuse. Certaines lettres étaient plus compliquées à tracer, au début. Je détestais le M, le W. Et puis, lorsqu’il faut broder deux mêmes initiales, des AA, des NN, par exemple, c’est difficile de les faire exactement pareilles. L’erreur se voit immédiatement… »

Différentes typographies dont s’inspire Gilberte Abinader dans son travail. Photo C.H.

Droit, ou italique, l’alphabet de Gilberte Abinader est quelquefois accompagné de dessins en fonction des circonstances. Baptêmes, premières communions, fiançailles, mariages, cadeaux personnalisés, vêtements et tissus liturgiques, Gilberte s’adapte et répond aux besoins de ses clients directs, des expatriés et des couturiers, « mes principaux clients. Tous les couturiers sur mesure au Liban me contactent et m’envoient leurs instructions. Et j’exécute. »

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Sur mesure

Pour satisfaire une demande qui se faisait de plus en plus importante, et parce que « les jours étaient heureux », Gilberte ouvre son atelier à Bourj Hammoud en 2010. « Je travaillais 30 à 40 chemises par jour. Nous étions jeunes et il y avait de quoi faire »,dit-elle fière et nostalgique. Politiciens, équipes sportives, particuliers, curés, écoles, et bien sûr les designers pour hommes, « tout allait bien », dit-elle en servant un sirop de mûres tout en précisant : « Goûtez-moi ça, c’est à ne pas rater. » Et de préciser, soucieuse du détail qu’elle voit avant les autres :

Un travail que Gilberte Abinader fait à la main, avec une attention particulière pour les détails. Photo The Ready Hand

« J’exécute n’importe quel dessin à la dimension voulue. J’aime ce métier, rien ne me paraît difficile. Je peux y passer des journées entières, des nuits même, tant que j’ai du courant... » Sept ans plus tard, et surtout « quand le dollar a commencé à grimper », elle se voit contrainte de fermer son atelier et de poursuivre son travail depuis la maison. « Cette mode des années 70 et 80 a connu un léger déclin, mais elle revient. Même les femmes font des commandes, pour leurs maris d’abord, puis pour elles. »

Le geste précis et lent, Gilberte Abinader brode. Photo C.H.

L’espace, ici, lui suffit, aussi discret qu’il peut l’être. Le calme l’apaise. « Quand je travaille, je suis heureuse, même si je suis épuisée. J’oublie tout… Je mets mon téléphone en mode silence, je suis concentrée et je me recueille, je ne vois plus les problèmes. » Et dans cet exercice, ce geste lent qu’elle reprend en se taisant, et qui ressemble à une prière, en tous cas une thérapie, le dé au doigt, les petits ciseaux et les fils à portée de main, la tête penchée, un spot dirigé sur son ouvrage, Gilberte sourit.

Pour contacter Gilberte Abinader : 70 02 13 88

Retrouvez ces portraits sur la page Instagram @thereadyhand

Sa vie n’a certes pas été cousue de fils blancs… Elle suit plutôt un long fleuve tranquille et transparent bercée par la prière, et ce silence, cette solitude dans lequel elle se plonge, toute la journée, pour pouvoir méditer, travailler, oublier le monde extérieur. Pourtant, c’est surtout avec des fils bleus, parfois bordeaux ou noirs, que la vie de Gilberte Abinader s’écrit,...

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