Tout candidat sérieux à la présidentielle doit flirter avec les capitales étrangères, et cela, Gebran Bassil l’a bien compris. En déplacement à Paris depuis hier après une visite à Doha la semaine dernière, l’homme fort du Courant patriotique libre, qui se considère comme « candidat logique » à la magistrature suprême, semble œuvrer à avancer ses pions dans la course à Baabda. En effet, même s’il ne s’est jamais déclaré officiellement candidat, le timing de la visite de l’ancien ministre des Affaires étrangères dans la capitale française interpelle. Et pour cause : samedi dernier, le président Emmanuel Macron s’est entretenu au téléphone avec le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane au sujet de l’élection présidentielle libanaise. Les deux dirigeants sont censés évoquer de nouveau le dossier libanais en marge du sommet du G20 qui se tient actuellement en Indonésie. Et sur le plan local, le Hezbollah semble sortir peu à peu de sa passivité dans la bataille présidentielle en faveur du zaïm de Zghorta Sleiman Frangié, au grand dam des aounistes.
Initiative personnelle
« La visite de Gebran Bassil à Paris est une initiative personnelle. Il n’a pas reçu d’invitation officielle de la part de la France », affirme à L’Orient-Le Jour une source diplomatique française. De sources concordantes, on sait que le leader chrétien va tout de même rencontrer des responsables politiques dans l’Hexagone pour évoquer avec eux le sujet de la présidentielle. Il s’agirait de Bernard Émié, directeur général de la Sécurité extérieure et ancien ambassadeur au Liban, d’Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique du président et également ancien ambassadeur au Liban, et de Patrick Durel, conseiller de l’Élysée pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. S’agira-t-il de faire sa propre promotion ? Du côté du CPL et des proches de M. Bassil, on préfère ne pas commenter la visite. « Le parti a pris la décision de ne pas évoquer ce dossier avec la presse », tranche May Khoreiche, vice-présidente du CPL. « Gebran Bassil essaye de montrer aux puissances internationales, à ses alliés locaux, mais aussi à ses rivaux, qu’il s’active pour pousser sa candidature à l’élection présidentielle », commente toutefois à L’Orient-Le Jour un cadre aouniste sous couvert d’anonymat. Le chef du CPL voudrait tirer profit de l’amélioration de ses relations avec Paris, surtout grâce à son rôle-clé dans les négociations sur la démarcation de la frontière maritime entre le Liban et Israël qui a ouvert la voie à l’exploitation du gaz libanais en Méditerranée par le géant français des hydrocarbures, TotalEnergies.
Ce déplacement parisien intervient alors que la candidature du gendre de l’ancien président Michel Aoun traverse actuellement une crise, surtout qu’aux yeux de plusieurs observateurs, c’est Sleiman Frangié qui demeure le favori non encore déclaré du Hezbollah, seul allié du CPL. C’est d’autant plus le cas que les caractéristiques énumérées la semaine dernière par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah s’appliquent au chef des Marada, son allié chrétien le plus constant. « Nous voulons un président qui ne trahirait pas la résistance et ne comploterait pas contre elle », avait déclaré le dignitaire chiite dans ce qui ressemble à la déclaration du leader du Nord, il y a quelques semaines, depuis Bkerké: « Je ne complote pas contre mes alliés, mais je ne reçois pas d’ordres d’eux non plus. »
« Gebran a son mot à dire »
Malgré le fait que les signaux envoyés par le Hezbollah pointent de plus en plus vers Sleiman Frangié et que, selon nos informations, la France s’est déclarée ouverte à ce scénario, Gebran Bassil ne semble pas prêt à baisser les bras. « La France souhaite voir l’élection d’un président rassembleur au Liban. Or, Gebran Bassil est un personnage très clivant. Reste que, si un compromis se dessine autour de sa candidature, nous ne nous n’y opposerons pas », avance un diplomate français. Une éventualité qui semble très difficile au moment actuel, alors que le chef du CPL est de plus en plus isolé sur la scène locale, sans parler des sanctions américaines auxquelles il est soumis. « Gebran Bassil n’est peut-être pas celui qui a le plus de chance d’accéder à la présidence… mais il a les clés de Baabda », souligne toutefois le cadre aouniste précité. « Sa position est centrale aujourd’hui, puisqu’il se trouve entre les deux camps (8 Mars et 14 Mars), mais n’est d’accord avec aucun des deux. Et aucun des deux camps ne pourra faire élire son candidat sans l’appui du bloc chrétien représenté par le CPL », analyse-t-il.
Le déplacement du chef du CPL vise donc à rappeler que s’il ne sera pas le prochain président de la République, le successeur de Michel Aoun ne sera pas désigné sans lui. « La France a conscience du fait que Gebran Bassil préside un groupe parlementaire chrétien de poids et qu’il a donc son mot à dire dans l’élection », ajoute-t-on du côté du CPL. Côté français, on se dit prêt à entendre ce que M. Bassil a à dire. « La France n’a jamais rompu la communication avec qui que ce soit. Du Hezbollah aux Forces libanaises, en passant par la contestation, nous nous concertons avec tout le monde », affirme la source diplomatique.
commentaires (21)
L’un vaut l’autre ???
Eleni Caridopoulou
22 h 11, le 17 novembre 2022