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Moyen-Orient - Éclairage

Iran International, bras médiatique de l’Arabie saoudite qui couvre les manifestations en Iran

Soupçonnée d’être liée à Riyad, la chaîne d’information symbolise les efforts de diffusion d’un soft power saoudien, capable d’atteindre une audience sur le territoire de son rival iranien. 

Iran International, bras médiatique de l’Arabie saoudite qui couvre les manifestations en Iran

Une rue de Téhéran, le 25 octobre 2022. Photo AFP

Elle se veut le porte-parole des protestataires en République islamique. Iran International, qui diffuse de Londres en farsi et serait financée par le royaume wahhabite, se retrouve dans le viseur des autorités iraniennes en raison de sa couverture médiatique des manifestations qui agitent le pays depuis 40 jours. Le 17 octobre, en marge d’un exercice militaire et alors que les manifestations font rage depuis quelques semaines déjà à Téhéran et d’autres grandes villes du pays, le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique, Hossein Salami, lance une menace à peine dissimulée à destination de la famille royale saoudienne : « Faites attention à votre comportement et contrôlez ces médias, sinon, vous en paierez le prix. » Sans les nommer, les coupables sont pourtant vite identifiés. Diffusés depuis l’Occident en farsi et accusés d’être influencés par l’Arabie saoudite, ils provoquent depuis leur création la colère de la République islamique qui les accuse selon les termes de Salami, d’« interférer avec les affaires internes de l’Iran » et de « pervertir la jeunesse ». En premier lieu, c’est Iran International qui est en ligne de mire. Basée dans la capitale britannique, la chaîne d’information en continu aux moyens titanesques a été lancée peu de temps avant l'élection présidentielle iranienne de 2017. Cette dernière inquiète particulièrement le régime qui l’accuse de répandre la désinformation et d’entretenir les troubles dans la société en soutenant les manifestations.

Opacité du financement

À plusieurs reprises, le traitement médiatique de l’actualité iranienne affiché par Iran International a mis la puce à l’oreille de nombreux observateurs quant au manque d’indépendance éditoriale du média. À commencer par sa couverture intensive du soulèvement populaire toujours en cours contre le régime iranien et que Riyad n’a encore jamais commenté publiquement. « Ils sont très hyperboliques quant aux velléités démocratiques de la population, commente Sina Toossi, professeur rattaché au Center for International Policy, spécialiste des relations entre l’Iran et les États-Unis. Une grande partie de leur couverture semble viser à attiser les divisions et les troubles plutôt qu’à aider le peuple iranien à atteindre la démocratie. »

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Sur son site internet, Iran International promet aux 80 millions de personnes résidant en Iran et aux 10 millions d’Iraniens en dehors du pays d’offrir « une fenêtre du monde sur l’Iran et une fenêtre de l’Iran sur le monde extérieur », de fournir « des informations équilibrées et impartiales ». La chaîne, qui dispose de bureaux au Moyen-Orient, en Europe et aux États-Unis, vante dans le même temps ses studios de diffusion « ultramodernes », au style calqué sur l’esthétique des chaînes d’info américaines. « Iran International a néanmoins été très discret et très peu transparent sur ses sources de financement. La chaîne a été lancée avec un budget énorme, dépassant ceux des autres organes d’information en langue perse », déclare Sina Toossi. Et pour cause, selon des révélations du média britannique The Guardian datant de 2018, les moyens colossaux du média viendraient directement de la famille royale saoudienne, qui aurait soutenu la chaîne à hauteur de 250 millions de dollars. Celle-ci serait financée par le biais d’une entité offshore secrète et de la société Volant Media, dont l’un des deux directeurs et actionnaire aurait été à l’époque Adel Al-Abdulkarim, un homme d’affaires saoudien ayant des liens étroits avec le prince héritier et désormais Premier ministre, Mohammad ben Salmane. Contacté par L’Orient-Le Jour, Iran International dément ces informations. La chaîne soutient une totale impartialité, renvoyant entre autres à sa « couverture de l’affaire Khashoggi », ce journaliste saoudien assassiné en octobre 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul lors d’une opération commando, approuvée selon les services de renseignements américains par le dauphin saoudien lui-même. Elle récuse également toute forme d’ingérence et évoque vaguement un propriétaire : « Citoyen britannico-saoudien sans lien avec la famille royale ou dirigeante d’Arabie saoudite. »

Stratégie d’influence

Ce ne serait pourtant pas la première fois que les Saoudiens s’intéressent aux médias étrangers. En septembre 2017, par exemple, Bloomberg al-Arabiya voit le jour, à l’issue d’un accord signé entre le leader mondial de l’information financière et Saudi Research and Marketing Group (SRMG), groupe d’édition et organe de soft power du régime. L’année d’après, c’est le quotidien britannique The Independent qui s’allie à SRMG pour lancer des sites web en différentes langues à travers le Moyen-Orient et le Pakistan, dont les contenus sont presque exclusivement produits par l’organe saoudien. La création d’Iran International en 2017 semble ainsi s’inscrire dans une stratégie saoudienne plus globale visant à construire un empire médiatique de grande ampleur.

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Pour l’Arabie Saoudite, qui occupe la 166e place sur 180 dans le classement établi en 2022 par Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, l’objectif de cette présence et ingérence médiatique est double. Sur la scène internationale, l’enjeu est de réhabiliter son image écornée par l’affaire Khashoggi. Sur la scène régionale, elle permettrait à l’Arabie saoudite d’influencer en catimini les opinions publiques afin d’affaiblir ses rivaux. « L’Arabie saoudite et l’Iran se livrent à une guerre de propagande dans un contexte de rivalité géopolitique au Moyen-Orient », analyse Sina Toossi, en référence notamment aux terrains syriens et yéménites. Pour le chercheur, cette stratégie a souvent pris la forme d’un soutien médiatique implicite de Riyad à des groupes séparatistes iraniens. En 2018 par exemple, au lendemain d’une attaque visant un défilé militaire, Iran International a été le seul média à recevoir pour une interview Yacoub Hor al-Tostari, porte-parole du Mouvement arabe de lutte pour la libération d’Ahvaz, capitale du Khuzestan dans le sud-ouest iranien, venu justifier les trente morts causés par l’attentat, dont des civils. Une plainte, déposée à l’encontre de la chaîne par l’ambassadeur d’Iran au Royaume-Uni, avait été rejetée par Ofcom, le chien de garde des médias britanniques, arguant que le présentateur avait « clairement contesté son point de vue et souligné la nature violente de l’attaque ». Par ailleurs, la chaîne d’information donne régulièrement la parole à Reza Pahlavi, fils de l’ancien chah d’Iran en exil et proche des Saoudiens, afin de commenter l’actualité dans ses studios.

Censure iranienne

Cette guerre des médias trouve certes sa réciproque en Iran. Sa chaîne d’information en continu, al-Alam, diffusée en arabe et centrée sur le Moyen-Orient, a elle aussi été taxée par la monarchie wahhabite d’ingérence dans ses affaires internes. « Mais les efforts iraniens ne sont pas aussi fructueux que ceux de Riyad et d’Iran International. Ils ne sont pas aussi bien financés et n’ont pas pénétré les sociétés saoudiennes ou arabes autant que la chaîne en farsi », pointe Sina Toossi. Émettant en Iran par satellite afin de contourner la censure d’État qui n’autorise que la diffusion des chaînes publiques, Iran International a dû faire face à plus grand qu’elle : début octobre, le gouvernement iranien a eu, à plusieurs reprises, recours au brouillage orbital des ondes pour limiter l’accès à ses contenus. Signe de l’inquiétude du régime face à l’influence du média qui y dispose d’une audience fidèle, ce procédé n’avait pas été employé depuis 2009. « Les Iraniens ne veulent plus suivre les médias locaux, indique le chercheur, ils veulent un changement fondamental. La couverture d’Iran International ne s’embarrasse pas de l’intégrité et de l’équilibre journalistique, mais en ce moment c’est ce que les gens veulent regarder. » 

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