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Moyen-Orient - Entretien express

« Sans demander le divorce, Riyad et Washington renégocient leur contrat de mariage »

Entre les deux pays, une dynamique d’éloignement semble s’accentuer chaque jour un peu plus. Firas Maksad, directeur stratégique des partenariats et chercheur au Middle East Institute, analyse pour « L’Orient-Le Jour » ce qui paraît être une redéfinition de la relation entre les deux partenaires.

« Sans demander le divorce, Riyad et Washington renégocient leur contrat de mariage »

Le président américain Joe Biden a rencontré le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Djeddah, en Arabie saoudite, le 16 juillet 2022. Mandel Ngan/POOL/AFP

La brouille se poursuit entre les deux alliés stratégiques. Alors que le forum économique surnommé « Davos du désert » s’ouvrait mardi dans la capitale saoudienne, les États-Unis démentent les accusations selon lesquelles ils auraient dissuadé des chefs d’entreprise américains d’y assister. Si la relation bilatérale s’est détériorée depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche, les dissensions s’étalent au grand jour depuis quelques semaines. Début octobre, à l’occasion de la réunion de l’OPEP+ sur la définition des quotas de production, l’Arabie saoudite annonçait une baisse de 2 millions de barils par jour, d’un commun accord avec le reste des pays membres, notamment la Russie, autre moteur de l’organisation. Une décision allant à l’encontre des espérances occidentales visant à faire baisser les cours des hydrocarbures qui ont atteint des records au début de la guerre en Ukraine.

À Washington notamment, la pilule est dure à avaler. Le président américain s’était en effet rendu en juillet à Djeddah pour y rencontrer le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane, malgré les critiques bipartisanes et le tournant que cela constituait dans sa politique vis-à-vis du royaume wahhabite, qu’il déclarait vouloir traiter en « paria » suite à l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018. Très commenté, ce déplacement a nourri l’espoir américain d’obtenir un geste qui atténuerait l’inflation à l’approche des élections de mi-mandat. Face à ce revers, la réponse américaine a été sans ambages. Le président déclarait il y a deux semaines dans un entretien à CNN qu’« il y aura des conséquences ». De son côté, Riyad dément avoir agi contre Washington et maintient avoir pris une décision « purement économique ».

À l’heure où l’Arabie saoudite cherche à maintenir un équilibre avec ses autres partenaires, elle semble remettre en cause sa relation avec les États-Unis, basée notamment sur l’accord « pétrole pour sécurité » et la doctrine Carter de 1980, selon laquelle Washington userait de la force si nécessaire pour défendre ses intérêts dans le Golfe. Pour analyser la dynamique qui se joue actuellement entre les deux pays, au seuil d’une redéfinition de leur relation, Firas Maksad, directeur stratégique des partenariats et chercheur au Middle East Institute, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.

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Dans quelle mesure la réduction de production entérinée récemment par l’OPEP+ représente-t-elle un tournant dans la relation américano-saoudienne ?

Cette décision est emblématique de l’évolution des relations de Riyad avec Washington : l’époque où l’on rendait des faveurs dans le but de consolider l’amitié est révolue. Elle n’est pas tant un défi lancé à l’administration de Joe Biden qu’un refus de se laisser entraîner dans une position où l’Arabie saoudite pourrait être perçue comme favorisant les démocrates au détriment des républicains à l’approche des élections de mi-mandat. En outre, en défiant les intérêts russes, une mesure alternative risquait de compromettre l’unité de l’OPEP+. La décision saoudienne reflète donc une plus grande confiance en soi et un refus de se voir pousser à faire des choix qui ne tiennent pas compte de ses intérêts économiques et de ceux de ses partenaires au sein de l’organisation des pays exportateurs d’hydrocarbures. Riyad a donc tranché en fonction de cela, ainsi que pour garder ses options politiques ouvertes.

Avec la diversification des partenariats côté saoudien, l’écart semble s’être creusé ces dernières années entre les deux alliés stratégiques et leurs dirigeants. Est-ce un pari risqué de la part de Riyad ?

Contrairement à certains de ses prédécesseurs, Mohammad ben Salmane n’a pas peur de dire « non » à Washington lorsqu’il estime que les intérêts de son pays l’imposent. Cela tient en partie à sa personnalité, mais reflète aussi l’image d’une Arabie saoudite plus mature, qui se considère désormais comme un partenaire junior de l’Amérique, et non plus comme son État satellite. À savoir si cela est une gageure ou pas est une question d’opinion personnelle. Certes, l’Arabie saoudite peut tirer parti de ses liens croissants avec la Russie et la Chine afin d’obtenir des concessions et de résister aux exigences américaines, mais aucun de ces pays n’est un allié plus confortable que Washington. Les liens personnels et culturels avec l’Amérique sont profonds, avec des dizaines de milliers de jeunes Saoudiens étudiant aux États-Unis chaque année et un partenariat qui atteint bientôt les 80 ans. Par ailleurs, la capacité de Washington à projeter sa puissance pour défendre des intérêts communs reste inégalée.


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Dans quelle mesure l’accord « pétrole contre sécurité » est-il encore d’actualité et peut-il tenir face aux défis actuels dans la relation américano-saoudienne ?

Si les États-Unis restent le partenaire de choix des pays arabes du Golfe en matière de sécurité, leur bilan et leur fiabilité laissent beaucoup à désirer. C’est la raison pour laquelle l’Arabie saoudite et d’autres pays régionaux ont décidé de diversifier leurs options et de ne pas mettre tous leurs œufs dans le panier américain. Néanmoins, la sécurité de Riyad et les intérêts de l’Amérique dans la région demeurent inextricablement liés. L’incapacité à défendre le royaume contre des attaques qui compromettent la libre circulation du pétrole ou menacent les goulots d’étranglement maritimes de Bab el-Mandeb et du détroit d’Ormuz constitue une menace directe pour l’économie mondiale. Les États-Unis ne peuvent pas se permettre d’abandonner l’Arabie saoudite, tout comme cette dernière ne peut pas se permettre un Moyen-Orient postaméricain. Les deux pays sont actuellement en train de renégocier leur contrat de mariage, pas de demander le divorce.

La brouille se poursuit entre les deux alliés stratégiques. Alors que le forum économique surnommé « Davos du désert » s’ouvrait mardi dans la capitale saoudienne, les États-Unis démentent les accusations selon lesquelles ils auraient dissuadé des chefs d’entreprise américains d’y assister. Si la relation bilatérale s’est détériorée depuis l’arrivée de Joe Biden à la...

commentaires (4)

Biden est allé à Canossa, mais l'excommunication n'a pas été levée.

Yves Prevost

08 h 00, le 26 octobre 2022

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Commentaires (4)

  • Biden est allé à Canossa, mais l'excommunication n'a pas été levée.

    Yves Prevost

    08 h 00, le 26 octobre 2022

  • Ils ont les Européens comme chiens fidèles. Ils ne coopèrent pas, ils veulent juste asservir les autres peuples!

    Politiquement incorrect(e)

    21 h 50, le 25 octobre 2022

  • LES AMERICAINS NE VEULENT PAS DES PARTENAIRES. ILS VEULENT DES VASSAUX TELS L,EUROPE EN EXEMPLE.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    20 h 27, le 25 octobre 2022

  • MBS semble rêver de puissance. Or, il n'arrive pas à se démêler de son implication dans la guerre du Yémen. Il est douteux qu'il puisse guider son royaume sur le bon chemin.

    Esber

    20 h 00, le 25 octobre 2022

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