Rechercher
Rechercher

Culture - Entretien

« La langue est aussi un objet politique ; en France, c’en est même une affaire d’État »

De passage à Beyrouth pour présenter le « Dictionnaire des francophones » lors du Festival Beyrouth Livres, Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France du ministère français de la Culture, s’est entretenu avec « L’Orient-Le Jour » autour de ce qu’on pourrait appeler la néofrancophonie, « un espace d’échanges privilégié, divers, riche et foisonnant, où les frontières sont abolies grâce à une langue commune ».

« La langue est aussi un objet politique ; en France, c’en est même une affaire d’État »

Paul de Sinety, délégué général à la langue française et aux langues de France du ministère français de la Culture, posant sous l’arbre de l’artiste calligraphe libanais Yazan Halwani implanté à la rue de Damas. Photo Nasri Messarra

Monsieur de Sinety, êtes-vous plus un d’Artagnan ou un Talleyrand de la francophonie ? Un mousquetaire qui défend corps et âme la langue française ou un diplomate chevronné aux relations internationales ?

La saga des Mousquetaires de Dumas – avec une prédilection pour Vingt après – m’a toujours enthousiasmé au point qu’elle a toute sa place parmi mes livres de chevet. La vie est une aventure surprenante et passionnante si nous la poursuivons ensemble grâce à l’amitié qui triomphe des obstacles : c’est, en gros, ce que nous apprenons de la lecture de nos Mousquetaires. Quelle belle leçon de vie ! Et puis, comment ne pas s’enthousiasmer aussi devant l’auteur, géant de notre langue, inventif et si gourmand, fils d’un mulâtre de Saint-Domingue, ce dernier quittant les chaînes de l’esclavage et finissant général de la République ? Le général comme son fils Alexandre sont bien les héros/hérauts d’une francophonie avant la lettre !

Pour répondre à votre question, je dois donc tout autant à l’esprit d’équipe et à l’énergie irrésistible d’Artagnan, plus que jamais nécessaires dans notre monde si menaçant, qu’à la détermination lucide d’un Talleyrand (ne jamais perdre de vue ses objectifs et le sens de son action).

Puisque vous êtes le chef d’orchestre du fameux « Dictionnaire des francophones », quelle est selon vous la meilleure définition de la francophonie ?

Un espace d’échanges privilégié, divers, riche et foisonnant, où les frontières sont abolies grâce à une langue commune, le français.

Comment est-il né ce dictionnaire ? Qui sont ses parents ? Quelle est sa fonction ? Va-t-il grandir avec le temps ?

Le 20 mars 2018, sous la coupole de l’Institut de France, le président de la République Emmanuel Macron appelait de ses vœux une nouvelle ambition pour la langue française et le plurilinguisme et partageait sa vision d’une francophonie décentrée, pleinement ouverte sur le monde. Le projet du Dictionnaire des francophones (DDF) était né ! Il s’agissait de rendre accessible sur internet l’exceptionnelle richesse du français dans sa diversité. Après avoir réalisé l’agrégation de nombreux corpus de dictionnaires francophones, le DDF compte désormais plus de 600 000 entrées... Quand on sait que le mythique Trésor de la langue française, édité en France à la fin des années 1980, en comporte 90 000, on mesure à quel point la langue française est enrichie, bien vivante grâce aux mondes francophones, comme elle s’invente depuis l’Afrique, le Liban, l’Amérique du Nord, l’océan Indien... et pas seulement en France !

Autre particularité : le DDF est collaboratif. Son enrichissement est aussi réalisé grâce à l’apport des internautes francophones du monde entier. Ces derniers peuvent ainsi proposer l’ajout de nouveaux termes. C’est une démarche tout à fait inédite dans l’histoire des dictionnaires. Avec le DDF, l’utilisateur a son mot à dire et, d’une certaine façon, il participe activement à l’élaboration de la norme.

Lire aussi

S’adapter à l’inadapté fait-il de nous un être inadapté ?

Porté par la délégation générale à la langue française et aux langues de France, on peut dire aujourd’hui que le défi a été relevé ! Un conseil scientifique a été constitué. Réunissant des linguistes et universitaires francophones du monde entier (dont l’académicienne et philologue Barbara Cassin), il est présidé avec brio par Bernard Cerquiglini.

De nombreux partenaires ont rejoint l’aventure : l’université Lyon 3 et son Institut international pour la francophonie, opérateur du projet, le CNRS, l’Agence universitaire de la francophonie, l’OIF, TV5 Monde, France médias mondes, les Alliances françaises, l’Institut français, l’Office québécois de la langue française, l’ASOM et tant d’autres !

Depuis sa sortie, comment évaluez-vous ce projet avec le recul ?

On observe depuis un an une fréquentation moyenne de 100 000 visiteurs uniques par mois. Le chiffre est encourageant, mais nous avons encore de la marge avec plus de 250 millions de locuteurs francophones sur la planète ! Nous devons davantage partager ce projet sur les réseaux sociaux, développer des applications ludiques, nous appuyer aussi sur les relais des jeunes influenceurs francophones. Le Dictionnaire des francophones illustre en tout cas l’importance centrale du numérique dans les pratiques culturelles comme scientifiques. L’implantation du français sur la toile et les objets numériques est, je crois, le grand défi à relever. La ministre française de la Culture, Rima Abdul-Malak, nous l’a d’ailleurs fixé comme l’une de ses principales priorités. La Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, qui ouvrira ses portes prochainement, prendra en compte cette dimension.

Justement, quel sera le rôle de cette Cité internationale de la langue française ?

Chantier présidentiel, la future Cité internationale de la langue française sera comme la pierre angulaire d’une politique renouvelée pour le français et le plurilinguisme en France et à l’international. Lieu de création et de résidences pour les artistes et chercheurs francophones, la cité sera une ruche pluridisciplinaire. L’innovation y aura bonne place avec la mise en œuvre d’un centre de référence sur les technologies de la langue accompagnant les initiatives autour de l’IA (intelligence artificielle) et du TAL (traitement automatique des langues), des enjeux majeurs pour l’avenir du français. Un parcours permanent sur plus de 1 500 m2, dédié à « l’aventure du français » et dont le commissariat a été confié à Xavier North, Barbara Cassin, Zev Gouravieh et Hassan Kouyate, éclairera enfin le visiteur sur l’histoire de notre langue commune, son invention et son évolution, sa diffusion, son enrichissement dans le dialogue permanent du français avec les autres langues : l’anglais, l’italien, l’arabe, notamment, auxquelles le français a beaucoup donné et emprunté. Le lieu n’est évidemment pas anodin : la cité sera abritée au sein du château royal de François Ier (admirablement restauré par le CMN) où fut signée la célèbre ordonnance, en 1539, qui a fait du français la langue du droit. Cela nous rappelle que la langue est aussi – avant tout ? – un objet politique ; en France, c’en est même une affaire d’État.

Vous qui prônez la francophonie « inventive », vous devez avoir entendu de belles expressions « franbanaises » lors de votre séjour à Beyrouth. Les avez-vous notées sur un carnet ? Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

Bien sûr ! Hier, un ami libanais a acheté « une boîte » de cigarettes, d’autres « estivent » en s’absentant de Beyrouth ce week-end. C’est impressionnant cette invention de la langue au Liban. Pour ma part, j’aime beaucoup l’expression « je quitte » pour dire que l’on s’en va... mais avec le remarquable Festival littéraire Beyrouth Livres mis en œuvre par l’Institut français du Liban, on entendait dans les rues de la ville bien d’autres expressions et mots du français venus du Togo, de Tunisie, de Belgique ou du Québec.

Quelle est votre mission aujourd’hui au Liban ? Êtes-vous porteur d’un message, de projets ?

Je suis là pour participer au festival. Aussi, être d’abord à l’écoute. Dans les rencontres très riches que j’ai pu également avoir en marge, de belles perspectives de coopération concrète s’ouvrent pour promouvoir le français notamment auprès des jeunes, mais aussi la traduction « dans les deux sens » avec l’arabe. Je suis admiratif de l’engagement et de la détermination des partenaires libanais !

Êtes-vous un lecteur de « L’Orient-Le Jour », premier grand quotidien francophone de la région et bientôt centenaire, et fier récipiendaire de la Médaille de la francophonie de l’Académie française ?

L’Académie française a très justement récompensé votre remarquable journal. Elle est très investie dans la cause francophone... la diversité des membres qui la composent en offre un beau témoignage. Il m’arrive très souvent de lire L’Orient-Le Jour et depuis 2002, année de mon premier séjour au Liban, où je compris enfin pleinement ce que le mot hospitalité pouvait signifier.

Dernière question : quelle est la question que vous auriez aimé qu’on vous pose ? Pouvez-vous y apporter une réponse ?

Celle que j’aimerais que l’on ne me pose pas plutôt : quand est-ce que tu quittes ? Car je n’ai vraiment pas envie de partir d’ici !

Monsieur de Sinety, êtes-vous plus un d’Artagnan ou un Talleyrand de la francophonie ? Un mousquetaire qui défend corps et âme la langue française ou un diplomate chevronné aux relations internationales ? La saga des Mousquetaires de Dumas – avec une prédilection pour Vingt après – m’a toujours enthousiasmé au point qu’elle a toute sa place parmi mes livres de chevet. La vie est...

commentaires (1)

CHEZ NOS ABRUTIS CORROMPUS, INCOMPETENTS ET MAFIEUX TOUS ENRICHIS PAR LE VOL DES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS C,EST POUR SE LANCER DES INSULTES ET DE LA BOUE MUTUELLEMENT.

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 54, le 09 novembre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • CHEZ NOS ABRUTIS CORROMPUS, INCOMPETENTS ET MAFIEUX TOUS ENRICHIS PAR LE VOL DES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS C,EST POUR SE LANCER DES INSULTES ET DE LA BOUE MUTUELLEMENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 54, le 09 novembre 2022

Retour en haut