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Culture - Disparition

Pierre Soulages, noir désir

Il y a le bleu Klein, le vert Véronèse, le brun Van Dyck... et l’outrenoir de Soulages. Le peintre français, décédé mercredi à l’âge de 102 ans, était en effet fasciné par ce pigment qu’il a réussi à sublimer de multiples façons.

Pierre Soulages, noir désir

Pierre Soulages au musée Fabre, à Montpellier, le 7 décembre 2006. Pascal Guyot/AFP

C’est un terme qu’il a créé lui-même : l’outrenoir. Il est tombé dedans par accident, en 1979, alors qu’il peignait sur une œuvre entièrement recouverte d’un noir épais, il réalise qu’il vient de franchir un cap en la striant. « J’étais au-delà du noir, dans un autre champ mental », a-t-il raconté. « Le pot avec lequel je peins est noir. Mais c’est la lumière, diffusée par reflets, qui importe. »

Soulages ne peignait-il qu’en noir? Attiré par le noir dès son enfance (sa mère lui reprochait de « déjà porter » son deuil), Pierre Soulages s’est également marié en noir, couleur qu’il a toujours arborée, tout comme son épouse, l’indéfectible Colette. C’est « le blanc la couleur du deuil », rappelait-il souvent.

Avant d’expérimenter l’outrenoir à la fin des années 70, ses œuvres laissaient filtrer des traces de blanc (celui de la toile) et il a parfois associé le noir à d’autres couleurs comme le bleu, ce qui constitue une infime partie de son œuvre.

L’outrenoir est-il une couleur? « Le noir qu’utilise Soulages se trouve dans le commerce. C’est ce qu’il en fait qui en fait un Soulages », affirmait, sans ambages, Alfred Pacquement, ami de longue date du peintre et commissaire d’une exposition-hommage au Louvre, fin 2019.

Rien à voir avec le noir profond (Vantablack) dont l’artiste Anish Kapoor a acquis les droits exclusifs en 2016, créant un précédent et une polémique dans le monde de l’art. Cette teinte plus noire que noire, du fait de sa capacité à absorber 99,96 % de la lumière, était initialement destinée à un usage militaire.

Peut-on parler de peinture monochrome ? Bien au contraire, disent les experts. Car au lieu de voir le noir dans les tableaux de Soulages, ce sont des « multitudes de gris plus ou moins lumineux qui se modifient en fonction » des « déplacements et des changements d’éclairage », soulignait l’historien de l’art Denys Riout dans son essai sur la peinture monochrome (Gallimard).

Pour les mêmes raisons, « il est à l’inverse de la monochromie » incarnée par un artiste comme Yves Klein (avec son bleu I.K.B.), renchérit M. Pacquement. Hasard ou coïncidence, Soulages a connu les parents de Klein ainsi que l’artiste alors qu’il était enfant, glisse-t-il.

L’outrenoir est-il une pratique artistique ? Soulages parle volontiers d’un territoire qu’il explore, « comme outre-Rhin et outre-Manche (qui) désignent un autre pays ». Pour Alfred Pacquement, l’outrenoir peut aussi être envisagé comme « un protocole resserré » ou une manière de travailler centrée autour d’un pigment unique.

Soulages l’a lui-même détaillé ainsi : « La totalité de ce pigment recouvre la toile, mais je ne travaille pas avec ce pigment aussi bizarre que cela puisse paraître. Ce qui m’intéresse, c’est la réflexion de la lumière sur les états de surface de cette couleur noire, états de surface qui varient », en fonction des stries, des coups de brosse qu’il va apposer avec ses outils.

Une révélation à l’église

Soulages est né le 24 décembre 1919 dans une maison modeste du début du XIXe siècle. Son père, artisan carrossier, meurt alors qu’il n’a que cinq ans. Il est élevé par sa mère qui tient un magasin d’articles de pêche et de chasse.

Lors d’une visite scolaire à l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, toute proche, l’adolescent a une révélation devant la beauté de cette église romane : il sera peintre.

Pierre Soulages est admis aux Beaux-Arts à Paris à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais il sèche les cours, préférant se former à Montpellier.

Il y rencontre en 1941 Colette Llaurens qu’il épouse un an plus tard, muni de faux papiers pour échapper au Service du travail obligatoire (STO), qui obligeait de jeunes Français à travailler pour l’Allemagne. Pierre et Colette sont inséparables.

Back to black

Dès 1947, le jeune peintre s’installe à Paris où il est remarqué par Francis Picabia qui l’encourage, ainsi que Fernand Léger. La peinture abstraite a alors la cote. Mais elle est rouge, jaune, bleue. Soulages, lui, choisit de travailler avec de l’humble brou de noix, utilisé pour teinter le bois, et des brosses de peintre en bâtiment.

Dans les années 1950, ses toiles entrent dans les plus prestigieux musées du monde comme le Guggenheim de New York ou la Tate Gallery de Londres. Il rencontre les principaux représentants de l’École de New York, dont Mark Rothko qui devient son ami.

Les grandes toiles des années 1950 à 1970 témoignent du travail du peintre sur le clair-obscur. Le noir s’affirme dans un rapport à d’autres couleurs comme le rouge ou le bleu, notamment grâce à la technique du raclage.

En 1959, Soulages se fait construire une maison-atelier sur les hauteurs de Sète, face à la Méditerranée, où il vivait toujours ces dernières années. Il avait également deux ateliers à Paris.

C’est un terme qu’il a créé lui-même : l’outrenoir. Il est tombé dedans par accident, en 1979, alors qu’il peignait sur une œuvre entièrement recouverte d’un noir épais, il réalise qu’il vient de franchir un cap en la striant. « J’étais au-delà du noir, dans un autre champ mental », a-t-il raconté. « Le pot avec lequel je peins est noir....

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