
Le député de Zghorta, Michel Moawad, lors de son entretien avec « L’Orient-Le Jour » le 23 octobre 2022. Photo Mohammad Yassine
Le député de Zghorta Michel Moawad a obtenu 36 voix lors de la première séance consacrée à l’élection présidentielle, puis 42 lors de la troisième jeudi dernier. Si le Hezbollah le considère comme un « candidat de défi », il est pour le moment soutenu par les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste, les Kataëb ainsi que plusieurs députés qui revendiquent leur appartenance au camp « souverainiste ». Compte tenu de son positionnement politique, il lui sera très difficile d’obtenir le soutien de 86 députés, requis pour une élection au premier tour, et pour le quorum au tour suivant. Mais il cherche pour le moment à rallier une majorité d’élus (65) derrière sa candidature, ce qui suppose que les députés de la contestation et les représentants sunnites proches de l’ex-Premier ministre Saad Hariri lui accordent son soutien. Comment peut-il y parvenir ? Quel est l’objectif de sa candidature? Quelle est sa vision pour sortir le Liban de la crise ? Entretien.
Vous demandez à « l’opposition » de s’unir derrière votre candidature. Mais pourquoi devrait-elle le faire en sachant que, compte tenu du veto du Hezbollah, vous ne pourrez pas être élu président ?
Dans le rapport de force actuel, le Hezbollah mettra son veto sur n’importe quel candidat qui n’acceptera pas ses desiderata stratégiques et ceux de ses alliés concernant la distribution du pouvoir pour les années à venir. Autrement dit, aucun candidat ne sera élu sans s’être soumis, au préalable, aux conditions du Hezbollah et de ses alliés. Est-ce que nous devons accepter cette soumission? N’avons-nous pas été élus pour changer les choses ? Est-ce que, par exemple, sous prétexte que le Hezbollah ne veut pas de justice dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth, nous devons arrêter l’enquête ?
Quelle alternative proposez-vous ?
Nous sommes aujourd’hui dans la situation d’une compagnie où un actionnaire (le Hezbollah et ses alliés) détient 45 % de l’entreprise mais peut décider de tout parce que le reste de l’actionnariat est éparpillé. Pourtant, si les 55 % restants s’unissent malgré leurs différences, ils deviennent majoritaires et nous entrons alors dans une autre dynamique. Si jamais cette opposition diverse, qui détient une majorité parlementaire, s’unit derrière ma candidature, avec une vision claire et une feuille de route précise, cela changerait complètement la donne. Cela ne me ferait pas élire automatiquement, puisqu’il faudra mener alors ensemble la bataille du quorum des 86 députés. Mais forts de cette majorité parlementaire et populaire, nous pourrions alors forcer un accord national qui ouvre la voie à un vrai changement.
Donc il faudra nécessairement passer par la case du compromis ?
Non, je ne parle pas d’un compromis boiteux qui amènerait un président faible, et qui ne serait qu’une nouvelle soumission à l’état de fait actuel, mais d’un accord de salut national dans une logique souverainiste et réformiste. Nous voulons un accord comme celui qui a permis l’arrivée au pouvoir de Fouad Chéhab en 1958 ou celle de René Moawad en 1989 avec, à chaque fois, un projet d’État clair.
Quelles seraient les bases de cet accord ?
Je propose un accord basé sur quatre grands points. Le premier, c’est la nécessité de se réconcilier avec le monde arabe, ce qui implique le retour du Hezbollah à l’intérieur des frontières libanaises. Le deuxième, c’est la construction d’une feuille de route vers la souveraineté. Cela suppose de délimiter les frontières maritimes et terrestres avec nos voisins, de trouver une solution à la question des réfugiés syriens mais surtout d’établir une stratégie de défense nationale qui remette les décisions stratégiques et les armes sous l’autorité de l’État. Le troisième point, c’est le respect de la constitution de Taëf. Elle peut être réformée mais il faut d’abord commencer par l’appliquer. Nous devons sortir de ce système de « vetocratie » qui empêche toute prise de décision. Le retour à une bonne gouvernance suppose par ailleurs plusieurs réformes institutionnelles comme l’indépendance de la justice, la décentralisation ou encore l’indépendance de l’administration par rapport aux partis politiques. Enfin le quatrième point concerne la mise en place d’une économie libre productive et juste qui nécessite des réformes monétaires et financières dans le cadre d’un accord avec le FMI.
Dans cet accord national, vous demandez au Hezbollah de faire beaucoup de concessions. Qu’êtes-vous prêt à lui donner en retour ? Faut-il ouvrir le dialogue sur une nouvelle répartition des pouvoirs qui accorderait à la communauté chiite une plus grande représentation au sein des institutions ?
Non, je refuse de lier les deux sujets. Le Hezbollah et la structure de pouvoir autour de lui sont dans une heure de vérité. Ils n’arrivent plus à gérer le pays et l’État est en train de disparaître.
Cela va aboutir à un chaos généralisé, qui serait une catastrophe pour tout le monde, y compris pour le Hezbollah. Nous ne sommes pas en train de lui dire « tu ne fais pas partie du pays ». Mais nous lui proposons un accord entre les Libanais qui inclurait tout le monde, sous l’égide de l’État. Pourquoi devons-nous rester prisonniers des rapports de force locaux et régionaux que nous savons changeants ? Pourquoi ne pas trouver, entre nous, un accord stable et durable ? La solution de facilité est bien sûr de dire « je suis le plus fort et je veux le rester ». Mais c’est la responsabilité de l’opposition de se réunir et de forcer la main pour un accord national souverainiste et réformiste.
Seriez-vous prêt à vous retirer au profit d’un candidat plus susceptible de réunir l’opposition ?
Je cherche toujours ce candidat. Je n’ai jamais dit « c’est moi ou personne ». Mais je suis aujourd’hui soutenu par 44 députés, ce qui représente une majorité de près de 70 % des forces de l’opposition. Vous ne pouvez pas demander à la majorité de se plier aux demandes de la minorité, d’autant plus que celle-ci est divisée et n’a pas de stratégie sérieuse pour le moment.
Je ne demande pas pour autant au reste de l’opposition de se rallier à ma candidature sans discussion de fond. Je propose une vraie entente sur la vision et sur la feuille de route, autant que sur le candidat.
Vous dites vouloir être le président de la souveraineté. En admettant que vous soyez élu, comment allez-vous faire respecter la résolution 1559 du Conseil de sécurité (qui demande entre autres « le désarmement et la dissolution de toutes les milices » et « l’extension du contrôle du gouvernement libanais sur tout son territoire ») ?
Je suis pour l’application des résolutions onusiennes qui sont un parapluie qui favorise la stabilité du Liban. Pour appliquer la 1559, nous devons construire une feuille de route libanaise pour la souveraineté. Dans une première phase, cela implique de s’entendre sur une stratégie de défense nationale sous l’égide de l’État.
Cette stratégie aura-t-elle notamment pour objectif de « résister » à Israël ?
Nous devons défendre notre pays face à toute menace contre la souveraineté nationale. Le Liban a payé le prix des ingérences et des occupations étrangères de la part d’Israël et d’autres pays, comme la Syrie. Nous ne pouvons pas avoir un occupant ami et un occupant ennemi. Une occupation est une occupation. Nous devons renforcer nos capacités de défense contre toutes les occupations et, dans le même temps, régler nos problèmes avec notre entourage. Cela suppose de régler les dossiers litigieux avec tous les pays mais toujours sur la base de notre intérêt national et sous l’égide de l’État.
Vous êtes accusé d’appartenir à « l’axe américano-saoudien ». L’intérêt du Liban est-il de s’aligner sur les politiques de ces deux pays dans la région ?
Tous ceux qui ont un autre discours que celui du Hezbollah sont accusés d’être des agents américains, mais ces accusations ne valent rien. Il est dans l’intérêt du Liban de retrouver ses relations avec le monde arabe et avec l’Occident. Mais celui-ci ne doit pas se retrouver dans un axe particulier. Je suis en faveur d’une politique de neutralité positive.
Est-il urgent selon vous de signer un accord avec le FMI ?
Je suis depuis hier pour un accord avec le FMI ! Il y a une urgence parce que chaque jour qui passe, c’est une perte supplémentaire pour les déposants libanais, et surtout les petits déposants qui sont en train d’en payer le prix.
Vous vous êtes pourtant opposé au « plan Diab » en 2020, et à celui de Saadé Chami plus récemment ?
Ce n’est pas parce que je me suis opposé au plan Diab que j’étais contre un accord. Nous devons trouver un accord rapide mais pas n’importe quel accord. Les gouvernements successifs depuis Diab sont en train de proposer un accord sans solution politique et sans responsabilisation de ceux qui nous ont fait arriver là. Or il sera d’abord difficile, pour ne pas dire impossible, de financer un plan FMI sans les pays arabes qui ne se contenteront pas d’un accord technique. Par ailleurs, ces plans montrent une absence claire de volonté de réformes, ce qui a été prouvé durant ces trois dernières années. Ils prônent un accord technique et financier qui fait peser tout le poids des pertes (évaluées à plus de 70 milliards de dollars) sur les déposants libanais et sur le secteur privé. On leur demande ainsi de payer pour refinancer le même système politique, sans visibilité de changement à l’avenir. Ce que je refuse catégoriquement.
Quelle alternative proposez-vous ?
Je veux d’abord préciser un point important : dans n’importe quelle solution, les banques devront perdre leur capital et on doit les pousser ensuite à se restructurer et à se recapitaliser. Mais je suis en faveur d’un plan qui protège l’ensemble des déposants. Nous voulons un accord fondé sur une solution politique durable, sur les bases du programme que j’ai présenté avec des réformes importantes dans le secteur public. Je propose entre autres la privatisation de la gestion des biens de l’État et non celle de ses biens, qui serait une catastrophe dans la situation actuelle. Tout cela pourrait permettre de minimiser la facture pour les déposants et favoriser le retour de la confiance et donc de la croissance.
Êtes-vous en faveur du maintien à son poste du gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé ?
Certainement pas.
Vous êtes membre de la commission des Finances. Le Parlement vient de voter une loi pour la levée du secret bancaire qui est très critiquée par les experts, alors même que c’est une condition essentielle pour un accord avec le FMI. Considérez-vous que c’est une bonne loi ?
Lors du premier vote, je n’étais pas présent, mais j’avais dit à l’époque que la version qui avait été votée ne correspondait pas à ce que je considère être une « bonne loi ». Nous avons fait quelques améliorations pour la faire passer, mais, bien qu’acceptable, elle est encore imparfaite. La difficulté de cette loi, c’est qu’il faut qu’il y ait un équilibre. D’un côté, le secret bancaire n’est plus une force pour l’économie libanaise, c’est même plutôt une faiblesse qui empêche la redevabilité. D’un autre côté, la levée complète du secret bancaire que je préconise stratégiquement doit s’accompagner d’une réforme du système administratif et judiciaire pour ne pas permettre que ça n’ouvre la voie à des usages discrétionnaires et des règlements de comptes politiques comme on le voit si souvent.
Le député de Zghorta Michel Moawad a obtenu 36 voix lors de la première séance consacrée à l’élection présidentielle, puis 42 lors de la troisième jeudi dernier. Si le Hezbollah le considère comme un « candidat de défi », il est pour le moment soutenu par les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste, les Kataëb ainsi que plusieurs députés qui revendiquent...
commentaires (20)
Espérons simplement que ce jeune homme ne paie pas l’ultime prix pour sa clairvoyance et son franc-parler. Ceux qui nuisent au Liban et qui n’ont aucun intérêt à trouver un terrain d’entente ne sont généralement pas friands de solutions logiques et posées… Un drame est si vite arrivé, et détourne rapidement les regards et l’attention (la tension?) du peuple vers des actes criminels et irréfléchis. Bonne chance à M. Moawad…que Dieu le protège.
Charles Ghorayeb
21 h 01, le 25 octobre 2022