Ce sont des catastrophes qui sont racontées dans les cinq récits de ce beau recueil publié en octobre aux éditions Inculte : celle du séisme qui frappe le Japon le 11 mars 2011, suivi d’un tsunami et de l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima dans « L’Insurrection des molécules » de Michaël Ferrier ; celle de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 dans « Silo » de Camille Ammoun et « Ma Grand-mère, une rose blanche et moi » de Fawzi Zebian ; celle de la crise économique grecque dans « La Fin du monde » de Ersi Sotiropoulos et la longue, lente catastrophe de la dictature haïtienne dans « Le Sang n’est pas une couleur » de Makenzy Orcel. La genèse elle-même du recueil, comme l’explique Charif Majdalani dans sa préface, est ancrée dans la série de catastrophes que connaît le Liban depuis 2019, notamment l’explosion du 4 août, qui donne à la Maison Internationale des Écrivains à Beyrouth l’idée de rassembler en un livre plusieurs fictions centrées sur le thème de la catastrophe.
Ce thème, chaque écrivain l’aborde à sa manière. Certains récits de ce recueil s’attachent à retracer avec précision les détails de l’événement, au moment où il surgit pour bouleverser la vie quotidienne. Ils racontent le moment terrible de la catastrophe – séisme, tsunami ou explosion – quand l’ordre du monde s’effondre : le vacarme qui accompagne le tremblement de terre, les objets qui se brisent, l’eau boueuse du tsunami qui recouvre tout, les gens qui tentent de fuir, mais qui meurent noyés ; ou encore les bâtiments détruits, les corps déchiquetés par l’explosion et l’émotion des secouristes qui découvrent l’horreur.
D’autres récits s’inscrivent dans un temps plus long, racontent le quotidien d’une catastrophe sans fin : la vie sous la dictature, la peur constante, les précautions qu’il faut toujours prendre pour éviter d’être arrêté. Ou tous les détails de la vie d’un pays en pleine crise économique : les mendiants dans les rues, les files d’attente devant les bureaux administratifs, le manque d’argent, tout ce qui fait la vie des hommes et des femmes pris au piège dans le désastre d’un effondrement économique ou d’un régime tyrannique, et dont la vie se réorganise, autrement.
Mais au-delà de la description de la catastrophe, il faut aussi en comprendre la cause, en déterminer la responsabilité. Les récits deviennent par moments des documentaires détaillés qui expliquent, chiffres à l’appui, les détails techniques du désastre ou retracent toute la série de causes qui y a mené. Souvent aussi, les textes deviennent accusateurs, faisant porter la responsabilité de ce qui arrive sur les hommes politiques, sur les dirigeants, sur ceux qui savaient le danger – que ce soit celui de l’entreposage du nitrate d’ammonium ou celui de bâtir en des lieux que l’eau du tsunami risque de recouvrir – et n’ont rien fait, ou ne savaient pas et auraient dû savoir, sur ceux qui font passer leurs intérêts personnels avant ceux de la collectivité, qui sacrifient à leur avidité sans limites les peuples dont ils sont responsables et la planète elle-même.
Par ailleurs, au-delà d’une réflexion sur les catastrophes, ce recueil propose aussi une réflexion sur le pouvoir de la littérature : elle est ce qui demeure, quand tout s’effondre. C’est elle qui peut, par la description de la beauté du monde, transformer nos manières de vivre ou qui peut pousser les peuples à la révolte pour renverser un régime dictatorial. C’est sur elle que se porte l’espoir de pouvoir un jour changer le monde, même si cet espoir s’accompagne, parfois, d’un certain scepticisme. C’est elle aussi qui accomplit un devoir de mémoire ou qui nous aide à mieux comprendre le monde, ce que fait ce recueil en racontant ce qui nous arrive.
Ce qui nous arrive de Camille Ammoun, Michaël Ferrier, Ersi Sotiropoulos, Fawzi Zebian et Makenzy Orcel, Inculte, 2022.
Ce qui nous arrive au Festival :
« Japon, Haïti, Grèce, Liban : les catastrophes et l’espoir » avec Ersi Sotiropoulos, Camille Ammoun, Fawzi Debiane, modéré par Charif Majdalani, Makenzy Orcel et Michaël Ferrier, dimanche 30 octobre à 19h15 (Café des Lettres).