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Santé - Cancer du sein

Le réveil des cellules dormantes après un sommeil profond

Un travail de recherche mené en Suisse a permis de découvrir les mécanismes qui permettent aux métastases du cancer du sein de se développer après des années de dormance.

Le réveil des cellules dormantes après un sommeil profond

Cette image en trois dimensions du sein humain montrant les canaux lactifères a remporté le prix du public de la 5e édition de l’exhibition internationale Figure 1A en Suisse. Les structures bourgeonnantes sont les lieux de la production de lait. © Dr Patrick Aouad et Pr Cathrin Brisken (EPFL)

Tout comme les arbres sont essentiels à la vie, l’arbre canalaire du sein se ramifie pour fournir un lait nourrissant essentiel aux nouveau-nés. Le sein subit la plupart de son développement après la naissance sous l’action des hormones féminines, l’œstrogène et la progestérone.

Derrière la complexité et la beauté du sein, se cache un problème clinique qui est le cancer du sein. Les statistiques mondiales révèlent qu’une femme sur 7 sera atteinte d’un cancer du sein, et malgré les progrès dans le traitement du cancer, les cas ne cessent d’augmenter. Plus de 70 % de tous les cancers du sein expriment les récepteurs hormonaux (RH+) d’œstrogène et/ou le récepteur de la progestérone, et sont par conséquent « hormonosensibles », ou « hormonodépendants ». Cela signifie que la croissance des cellules cancéreuses dépend de la présence des hormones féminines. Les patientes avec un cancer RH+ reçoivent un traitement hormonal pour cibler le récepteur d’œstrogène ou la production des hormones. Dans les 30 % des cas restants, les cellules tumorales manquent l’expression des RHs (RH-) et prolifèrent sans la présence d’hormones féminines. Ce sous-type étant plus agressif, il prolifère plus rapidement que le sous-type RH+.

Image fluorescente montrant les cellules dormantes (en vert) dans le poumon des souris. La plupart des cellules marquent l’expression du gène de la prolifération (en rouge). Le bleu marque les noyaux des cellules. © Dr Patrick Aouad et Pr Cathrin Brisken (EPFL)

Manifestations cliniques : les métastases

Il est important de souligner que le cancer du sein n’est pas mortel. Plus de 95 % des mortalités sont dues aux métastases répandues. Durant le développement du cancer, des cellules tumorales réussissent à se propager par l’intermédiaire des vaisseaux sanguins ou lymphatiques, et à coloniser d’autres organes du corps, comme les poumons, le foie, le cerveau et les os. Comparé aux RH- du cancer du sein, le cancer du sein RH+ se manifeste souvent par une maladie dormante qui récidive des décennies après le diagnostic initial. Comme le nom l’indique, un état dormant est celui durant lequel une cellule métastatique arrête sa prolifération/croissance dans l’organe colonisé. Cependant, cette cellule est toujours vivante mais inactive. Elle peut à un moment donné, sous l’intermédiaire de différents signaux, se réveiller et reprendre sa prolifération. Les mécanismes contrôlant la dormance et la récurrence à distance des tumeurs RH+ restent insaisissables en raison du manque de modèles précliniques.

Manque de modèles précliniques

Malgré le fait que plus que 70 % des cas du cancer du sein soient RH+, ce sous-type reste peu étudié à cause d’un manque de modèles adaptés. Quand on parle de modèles, nous nous référons à des modèles de souris adaptés (in vivo) qui peuvent récapituler les manifestations cliniques chez les femmes atteintes d’un cancer du sein. Plusieurs modèles de souris existent pour le sous-type RH- ; ce qui n’est pas le cas pour le sous-type RH+. Les modèles RH+ couramment utilisés consistent à injecter des millions de cellules tumorales humaines sous la peau ou dans la matière graisseuse des glandes mammaires des souris. Ces modèles ne récapitulent pas les différents aspects cliniques du cancer RH+.

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Grâce à une collaboration avec l’équipe médicale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et le Réseau lausannois du sein de l’ICPI (International Cancer Prevention Institute), nous avons réussi à établir un nouveau modèle de souris, qui s’appelle intracanalaire, dans le laboratoire de la professeure Cathrin Brisken à l’EPFL. Les cellules cancéreuses RH+ sont injectées dans les canaux lactifères des souris. Ce modèle imite différents aspects de la maladie, dont le plus important est la dormance. Durant mes cinq ans de doctorat dans le laboratoire, je me suis concentré sur les mécanismes de dormance et les voies de signalisation qui permettent aux cellules dormantes de se réveiller dans les poumons.

Le réveil des cellules dormantes

Nous avons observé que les cellules tumorales qui prolifèrent dans les glandes mammaires des souris sont dans un état « épithélial » ; cela signifie que les cellules sont bien structurées et connectées l’une à l’autre par l’intermédiaire de jonctions épithéliales ou protéines appelées E-cadhérine. Ces dernières se trouvent sur la surface des cellules et les lient, comme quand on croise nos mains. Or, les cellules dormantes dans les poumons sont désormais dans un état « mésenchymateux » : elles ont perdu leurs caractéristiques épithéliales et ne sont plus attachées l’une à l’autre. Elles sont plus allongées, manquent l’expression des gènes de prolifération et expriment des gènes spécifiques à l’état « mésenchymateux », comme les protéines ZEB1, ZEB2 et VIM. Pour proliférer de nouveau, les cellules ont besoin de restaurer l’expression de la protéine E-cadhérine et de retrouver leur état épithélial d’origine, tout en réprimant l’état « mésenchymateux ». Plusieurs voies de signalisation peuvent induire l’expression de la protéine E-cadhérine, comme les cytokines et les voies de signalisation inflammatoires. En effet, les cellules métastatiques qui prolifèrent ont des voies de signalisation inflammatoires actives. Ce qui ouvre des pistes thérapeutiques pour empêcher les cellules dormantes de reprendre leur prolifération, tout en promouvant leur état dormant ou « mésenchymateux ». En comprenant les mécanismes de dormance, nous pourrons développer des thérapies qui ciblent la E-cadhérine et empêchent les récidives après plusieurs années de diagnostic. C’est dans ce sens que se dirigent nos prochaines études.

Note : les résultats du travail de recherche ont été publiés dans la revue scientifique « Nature Communications ».

* Le Dr Patrick Aouad est titulaire d’un doctorat en biologie cellulaire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) où il a intégré le laboratoire de la professeure Cathrin Brisken, réputée pour ses travaux sur le développement et le cancer du sein. Actuellement, il poursuit ses recherches sur le rétinoblastome et le mélanome uvéal à l’hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne.

Tout comme les arbres sont essentiels à la vie, l’arbre canalaire du sein se ramifie pour fournir un lait nourrissant essentiel aux nouveau-nés. Le sein subit la plupart de son développement après la naissance sous l’action des hormones féminines, l’œstrogène et la progestérone. Derrière la complexité et la beauté du sein, se cache un problème clinique qui est le cancer du sein....
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