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Société - Un an après

« Tayouné, c’était un incident comme un autre... Le narguilé, par contre, est passé de 10 000 à 70 000 LL »

« Tayouné, c’était un incident comme un autre... Le narguilé, par contre, est passé de 10 000 à 70 000 LL »

Un an après, à Tayouné, une façade encore criblée de balles. Photo A-M.H.

Les klaxons d’automobilistes impatients retentissent dans la chaleur d’octobre. Des employés sortent des bureaux après leur journée de travail. Dans un café du coin, des hommes tuent le temps, fumant un narguilé. Des femmes affairées font leurs dernières courses. Désespérément vides, les boutiques d’habillement affichent déjà des soldes. Une journée normale en ce début d’automne, dans les quartiers voisins de Chiyah et de Aïn el-Remmané. L’un est à majorité chiite, l’autre à majorité chrétienne, séparés par l’ancienne route de Saïda qui a servi de ligne de démarcation durant la guerre civile (1975-1990). Seules les façades d’immeuble encore criblées de balles, rond-point Tayouné, attestent de la violence des échanges meurtriers qui ont fait sept morts et des dizaines de blessés, le 14 octobre 2021. Ce jour-là, des combattants du tandem Amal-Hezbollah et d’autres positionnés dans des quartiers chrétiens, présumés proches des Forces libanaises, avaient échangé des tirs, en marge d’un rassemblement de partisans du tandem chiite devant le Palais de justice, contre le juge Tarek Bitar en charge de l’enquête sur l’explosion au port du 4 août 2020.

Les habitants plutôt soucieux de leur pouvoir d’achat

Un an plus tard, la vie a repris le dessus. Et si les récits diffèrent parfois d’un quartier à l’autre, d’un habitant à l’autre; si les craintes d’un nouvel incident sanglant resurgissent, les soucis de la population se concentrent sur son pouvoir d’achat et ses fins de mois difficiles. Le tout dans un contexte de crise aiguë et d’effondrement record de la monnaie nationale qui a récemment frôlé les 40 000 LL pour un dollar.

Eclairage

Que s'est-il vraiment passé, il y a un an, à Tayouné ?

Qu’il habite à Chiyah ou Aïn el-Remmané, le Libanais est aujourd’hui plus concerné par le prix du pain ou du narguilé que par les affrontements d’il y a un an. « C’est un incident comme un autre qui entache notre quotidien depuis la guerre civile. Ce qui a changé par contre, c’est le prix de la chicha qui a grimpé de 10 000 à 70 000 livres libanaises », gronde André, assis à la terrasse d’un café à Tayouné. Quartier Notre-Dame de Lourdes, à quelques mètres de la rue Laure Moghaïzel où tout a commencé (débouchant sur le boulevard Sami el-Solh), une habitante pressée fustige la classe au pouvoir. « Ils ont volé notre argent bloqué dans les banques. Nous n’arrivons même plus à vivre décemment, dénonce celle qui refuse de révéler son identité. Alors ce jour-là, malgré les tirs de roquettes qui retentissaient tout près, je n’ai pas arrêté de peindre. Je voulais juste que cela s’arrête, parce que je devais terminer un tableau commandé à l’étranger. »

Vivre ensemble, une priorité

Au fil des conversations, chacun exprime son envie de vivre avec l’autre en bonne coexistence. « Il a suffi ce jour-là d’un claquement de doigts des chefs communautaires pour que les miliciens envahissent les rues et que des personnes soient tuées. C’était un coup de folie ! Et nous, les citoyens normaux qui vivons en paix et en bonne entente avec nos compatriotes, nous payons les pots cassés », regrette Hassan Dia, dont la boutique d’habillement, côté Chiyah, a subi « des dégâts d’une valeur de 40 000 dollars ». « Il n’y a pas d’avant et d’après les affrontements. Il y a juste une grave crise économique qui touche plus de 90 % de la population et qui a réduit notre activité à zéro », souligne-t-il. Du côté opposé de la rue, dans sa boutique d’antiquités, Mohammad Moussaoui dresse aussi son lourd bilan : « 180 000 dollars de dégâts, toutes les devantures brisées et 43 tapis persans endommagés. » En dépit du traumatisme que sa famille a vécu le 14 octobre 2021, certains s’étant réfugiés en sous-sol, d’autres ayant fui par le balcon, l’antiquaire a remis les locaux à neuf. « Le quartier est redevenu aussi beau qu’avant, et je garde espoir », assure-t-il. Espoir que les choses s’améliorent (politiquement), que l’effondrement économique du pays s’arrête, que la coexistence prenne le dessus. « Je suis de confession chiite, non partisan. J’ai des amis dans les régions chrétiennes, de Chiyah et Aïn el-Remmané. Et je continuerai », insiste-t-il.

Éclairage

Comment le Hezbollah a perdu la rue chrétienne

Le discours est le même, plus loin, dans le quartier chrétien. On espère juste ne plus revivre de tels événements, vivre en paix avec ses voisins d’autres confessions. « J’ai vu les partisans des deux bords sous ma fenêtre. J’ai entendu les provocations, les insultes et la tension qui montait. J’ai assisté, terrorisé, aux affrontements », se souvient Marc Ata, étudiant en droit. Il se dit toutefois persuadé que cet épisode doit être « une leçon pour tous les protagonistes » qui cherchent à rompre la stabilité. « Nul ne peut annuler l’autre », affirme-t-il.

Pour beaucoup, cependant, la peur est toujours là. À Aïn el-Remmané ou Furn el-Chebback, une bonne partie de la population a vécu la guerre civile. Elle craint une répétition de l’histoire. « Il y a un an, j’étais à mon travail, boulevard Sami el-Solh. Lorsque les partisans chiites ont fait irruption, je me suis tapi dans le dépôt de l’immeuble. Je n’en suis sorti que quelques heures plus tard, à la sauvette », raconte Fady, habitant de Aïn el-Remmané, qui dénonce « la prolifération des armes » et se dit « tenaillé par la peur de voir des combattants armés envahir son quartier ». « Les choses ne sont plus comme avant », reconnaît le commerçant Souheil Sinno, qui vit depuis à la montagne et souhaite que « de tels débordements ne se reproduisent plus jamais ».

Les klaxons d’automobilistes impatients retentissent dans la chaleur d’octobre. Des employés sortent des bureaux après leur journée de travail. Dans un café du coin, des hommes tuent le temps, fumant un narguilé. Des femmes affairées font leurs dernières courses. Désespérément vides, les boutiques d’habillement affichent déjà des soldes. Une journée normale en ce début...

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