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Lifestyle - Patrimoine

Le musée national de Beyrouth est-il en danger ?

Dans un État en faillite, plongé dans l’obscurité, avec une monnaie complètement dépréciée, comment sont préservés les trésors archéologiques libanais ?

Le musée national de Beyrouth est-il en danger ?

Le musée national de Beyrouth souffre de nombreuses coupures de courant. Photo N. B.

Au pied des colonnes du musée national de Beyrouth, un chat noir se prélasse au soleil. Les gardiens sont assis de part et d’autre d’un portique de sécurité hors service. « Il n’y a pas d’électricité, mais vous pouvez quand même entrer », prévient d’emblée l’un des gardes. Le ticket d’entrée coûte 5 000 livres libanaises, presque rien aujourd’hui avec la dépréciation de la livre libanaise. La chaleur est étouffante, il n’y a ni climatisation, ni lumière, ni ascenseur fonctionnel au moment où nous y sommes. Le rez-de-chaussée avec ses pièces maîtresses, comme le sarcophage d’Ahiram, la tribune d’Echmoun, la mosaïque du Bon Pasteur, est plongé dans la pénombre. Ne pouvant assurer que 4 heures d’électricité par jour, cela fait six mois que les portes du musée sont ouvertes de 10h à 14h plutôt que jusqu’à 19h. Et durant le mois d’août, le musée national a connu – au moins – dix jours consécutifs d’obscurité totale.

Cette coupure de courant, d’au moins 18 heures par jour, n’est pas sans conséquences pour les pièces du musée. « La fluctuation de la température et de l’humidité relative peut être un facteur déterminant dans la détérioration des artefacts quelles que soient leurs matières », explique Nathalie Hanna, restauratrice d’objets archéologiques. Les musées doivent « assurer des exigences de base pour prolonger la vie de leurs collections », et les coupures d’électricité « font tout l’inverse ». En l’absence de climatisation donc, « les objets encourent une dégradation sérieuse pouvant être irréversible, telle que la moisissure, la corrosion et la déformation de matières organiques ». La restauratrice note également que « le travail quotidien de la gestion des œuvres, du nettoyage et de l’inspection de leur état se fait plus difficilement sans courant ».

Un musée qui attire des touristes du monde entier. Photo Michel Sayegh

Des moisissures visibles

Chaque jour, surtout en été, au moins 150 personnes entrent au musée et parfois malgré l’absence de lumière et de climatisation. Emilia, une touriste allemande, essaie tant bien que mal de lire les signalétiques. « Je rentre à Francfort demain et je voulais absolument voir le musée avant de partir », justifie-t-elle. Mais lorsqu’elle essaie de se rendre au sous-sol, elle tombe nez à nez avec une imposante porte métallique noire. Cet étage, où se trouve la plus grande collection de sarcophages anthropoïdes, est fermé au public les jours de coupure de courant. C’est là que sont aussi exposées les momies découvertes en 1989 dans la grotte de Assi el-Hadath, dans la vallée de Qadicha. Pour préserver ces momies ainsi que leurs habits, un déshumidificateur doit être constamment fonctionnel. Ce n’est plus le cas en raison des coupures de courant. Désormais, des moisissures minimes sont visibles sur les vêtements des momies. Mme Hanna confirme que ces pièces « seraient éventuellement à risque sans contrôle des conditions climatiques ». Elle précise toutefois que les pièces qui connaissent un début d’altération ont été prises en compte par la DGA, et des mesures appropriées ont été mises en place pour minimiser les conséquences dues aux coupures d’électricité. « Pour l’instant, la situation est gérable, mais à long terme, les conséquences risquent d’être beaucoup plus graves », conclut la restauratrice.

Un peu de fraîcheur à l’extérieur pour les courageux visiteurs du musée. Photo Michel Sayegh

500 000 dollars de donations

Au siège de la Direction générale des antiquités, Sarkis el-Khoury a retroussé les manches de sa chemise blanche. Le bâtiment de la DGA est adjacent au musée et suit les mêmes horaires de courant. Après 14h, M. Khoury et ses équipes travaillent donc sans électricité. « La situation est très difficile, confie-t-il. Le Liban est entièrement impacté et nous sommes dans le même bateau. » Aujourd’hui, toute sa stratégie et celle de son administration sont tournées vers « la préservation du patrimoine en temps de crise ». « La DGA, explique son directeur général, compte énormément sur les donations, surtout après le 4 août 2020, à Beyrouth, qui n’a pas épargné le musée. Ces donations proviennent notamment de la fondation Aliph (Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit), de l’Unesco et de plusieurs ambassades. » Et c’est la dernière donation d’Aliph qui pourra sortir le musée de l’obscurité. Une enveloppe de plus de 300 000 dollars est prévue pour permettre l’installation de panneaux solaires. Grâce à cette donation, seront également installés un système de contrôle du niveau d’humidité des vitrines ainsi que des déshumidificateurs. En attendant la mise en place de panneaux solaires, la fondation a déjà financé à deux reprises, depuis novembre 2021, la fourniture de carburant pour le générateur du musée pour un montant total de 30 000 dollars. « Après la double explosion du 4 août 2020, Beyrouth est devenue une priorité pour nous, et nous nous sommes mobilisés très vite », confie à L’Orient-Le Jour Valéry Freland, directeur exécutif d’Aliph. C’est ainsi que plus de 140 000 dollars ont permis de remplacer les fenêtres et portes, de réparer les faux plafonds et les ascenseurs… Grâce à cette somme, des déshumidificateurs et des climatiseurs mobiles ont été installés et le système de sécurité du musée a été renforcé.

Pour mémoire

Le Musée national de Beyrouth souffle ses 80 bougies

Pour M. Freland, « le musée national représente la mémoire du Liban et de son histoire. C’est un lieu d’émerveillement et qui redonne espoir. Il est donc important de le préserver, surtout dans une ville qui a subi les affres de la guerre et de l’explosion ».

Les derniers vacanciers profitent de l’électricité pour visiter les trésors de notre musée. Photo Michel Sayegh

Sous-payés et en sous-effectif

Malgré les donations, d’autres difficultés subsistent. Lorsque la crise économique a commencé, de nombreux employés ont décidé d’émigrer. « Pour protéger le patrimoine au Liban, il faut protéger le cadre chargé de le faire », affirme M. Khoury. Si, avant la crise économique, le salaire des archéologues, architectes et autres employés de la DGA valait plus de 2 000 dollars au taux officiel de 1 507 LL, il n’équivaut plus aujourd’hui qu’à 100 dollars (au taux du marché parallèle avoisinant les 39 800 LL le dollar). Quant au salaire des gardiens, il ne vaut aujourd’hui que 40 dollars. Les prix d’entrée aux sites archéologiques et musées ont récemment été revus à la hausse. Mais cela se reflétera-t-il sur les salaires des fonctionnaires ? Pour entrer au musée national par exemple, les visiteurs libanais, syriens et palestiniens paieront 40 000 LL, les visiteurs en provenance des pays arabes paieront 80 000 LL et ceux venus d’autres pays paieront 250 000 LL.

En attendant le retour du courant, le musée perd légèrement ses couleurs. Photo N. B.

Depuis le début de la crise, plusieurs employés ont démissionné. Ceux qui restent travaillent trois jours par semaine. Et faire fonctionner une administration avec un manque d’argent liquide rend la moindre chose compliquée : comment tout simplement acheter de l’encre ou du papier ? Face à cette situation, le ministre de la Culture Mohammad Mortada reste confiant. « La situation est sensible, certes, mais nous n’avons aucune crainte, que ce soit pour le domaine de la culture au Liban ou pour le musée, dit-il. Il faut être inventif, réfléchir out of the box pour trouver des solutions. » Pour M. Mortada, « le plus dangereux est de penser que ce pays est un cas désespéré. Le Liban a un potentiel énorme malgré tout. Nous devons continuer à résister ». Ainsi, à la fin de l’été, et pour les quelques touristes et expatriés qui restaient encore dans le pays, M. Mortada avait annoncé, pour célébrer la Journée internationale du tourisme, que l’entrée aux sites archéologiques et culturels serait gratuite du 27 au 30 septembre.

Au pied des colonnes du musée national de Beyrouth, un chat noir se prélasse au soleil. Les gardiens sont assis de part et d’autre d’un portique de sécurité hors service. « Il n’y a pas d’électricité, mais vous pouvez quand même entrer », prévient d’emblée l’un des gardes. Le ticket d’entrée coûte 5 000 livres libanaises, presque rien aujourd’hui avec...

commentaires (4)

Quand j'ai lu un article, il y a quelques années de l'inauguration de l'exposition des momies découvertes en 1989 dans la grotte de Assi el-Hadath, dans la vallée de Qadicha, je me posais pourtant la question si un musée ou une exposition "in situ" c.a.d. au Liban Nord n'était pas mieux. Apparement le micro-climat specifique des grottes était bien pour préserver pendant des siècles ces mommies, donc pourquoi les transferer vers Beyrouth où on a besoin d'énergie (électricité) pour les conserver ? Comme personne avec interêt dans cette découverte, on doit prendre son temps pour visiter tous les endroits, et ce n'est pas possible de collectioner tout dans un seul endroit.

Stes David

18 h 53, le 16 octobre 2022

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Commentaires (4)

  • Quand j'ai lu un article, il y a quelques années de l'inauguration de l'exposition des momies découvertes en 1989 dans la grotte de Assi el-Hadath, dans la vallée de Qadicha, je me posais pourtant la question si un musée ou une exposition "in situ" c.a.d. au Liban Nord n'était pas mieux. Apparement le micro-climat specifique des grottes était bien pour préserver pendant des siècles ces mommies, donc pourquoi les transferer vers Beyrouth où on a besoin d'énergie (électricité) pour les conserver ? Comme personne avec interêt dans cette découverte, on doit prendre son temps pour visiter tous les endroits, et ce n'est pas possible de collectioner tout dans un seul endroit.

    Stes David

    18 h 53, le 16 octobre 2022

  • Ce musee est la synthèse de notre patrimoine. De grace, que les libanais expatries qui viennent faire la fête au Liban avec leurs devises fortes contribuent un tant soit peu pour le sauver… ainsi que nos milliardaires de politiciens qui ne fichent rien et qu’une donation de quelques millions n’affecterait en rien leur compte en banque, mais elle pourrait contribuer a préserver notre héritage.

    CW

    10 h 27, le 16 octobre 2022

  • Comment donner la responsabilite du Ministere de la Culture a une personne comme M. Mortada, dont la profonde conviction religieuse est que les ancetres des libanais etaient des idolatres et que l'eradication totale de leur passe est un acte de foi, bien recompense dans l'au dela? A l'evidence il s'en f. completement...

    Mago1

    14 h 14, le 14 octobre 2022

  • Quelle tristesse de voir se détériorer en silence la mémoire culturelle du Liban. Comment les libanais fortunés peuvent ils continuer à vivre en étalant leur richesse sans regarder leur histoire si dissoudre dans la pauvreté. Par pitié pensez à vos enfants mais aussi à vos anciens qui ont créé ce musée merveilleux Christian

    M./Mme.

    12 h 22, le 14 octobre 2022

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