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Culture - Patrimoine

Le Musée national de Beyrouth souffle ses 80 bougies

Il a ouvert ses portes le 27 mai 1942, sur une terre de légendes… En cette occasion, retour sur la naissance du musée et de sa collection, et des aménagements successifs qu’il a connus à travers les années. 

Le Musée national de Beyrouth souffle ses 80 bougies

Le Musée National renferme la plus grande collection au monde de sarcophages anthropoïdes en marbre blanc de paros, découverts dans la région de Saïda. Photo DR

Dans le cadre d’une cérémonie célébrée vendredi soir, qui a regroupé un nombre d’invités ainsi que les membres de l’Alesco (l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences), le ministre sortant de la Culture Mohammad Mortada a remis à Mona Hraoui, présidente du Comité national du patrimoine, une plaque commémorative en hommage à son dynamisme et son engagement dans la reconstruction du musée après la guerre civile (1975-1990) et au travail accompli avec son équipe pour mettre en lumière cette grande institution devenue l’emblème de la mémoire du Liban, depuis 1942. À cette occasion Anne-Marie Afeiche, directrice générale du Conseil des musées, qui signe en collaboration avec Joanne Farchakh, responsable de l'association Biladi, une brochure retraçant les différentes étapes du bâtiment, devait déclarer à L’Orient-Le Jour que « Mona Hraoui a redonné au musée tout son panache », et de déplorer qu’« en période de crise, la culture est celle qui reçoit le moins d’attention et de financement. Or il ne faut pas laisser notre patrimoine mourir ou péricliter. Le patrimoine est l’élément rassembleur d’un peuple. Et ce musée continue à jouer son rôle d’unité nationale ».

Le ministre sortant de la Culture Mohammad Mortada remettant à Mona Hraoui, présidente du Comité national du patrimoine, une plaque commémorative en hommage à son engagement dans la reconstruction du musée après la guerre civile. Photo Nabil Ismaïl

Quand les sites nourrissent le musée, celui-ci illustre leur histoire

La collecte des premières antiquités a commencé en 1919, à l’initiative du commandant français Raymond Weil, féru d’histoire de l’Orient ancien. Les pièces sont alors exposées dans une salle de l’immeuble des Diaconesses allemandes (missionnaires protestants), rue Georges Picot à Beyrouth. Pour rendre à cette collection sa juste place, un Comité des amis du Musée est créé en 1923. Constitué de personnalités politiques et d’hommes d’affaires, dont Béchara el-Khoury, Omar Daouk, Ali Joumblatt, Henri Pharaon, Albert Bassoul, Jean Debs, Alfred Sursock ou encore Camille Eddé, pour ne citer que quelques-uns, le comité s’est fixé comme objectif de réunir des fonds pour construire un musée dédié à la préservation et à la promotion de l’héritage historique du Liban. Un terrain est alors offert par la municipalité de Beyrouth près de l’hippodrome de la ville. Deux architectes, le Français Pierre Leprince-Ringuet et le Libanais Antoine Sélim Nahas, signent un imposant édifice de style "égyptisant", en pierre calcaire, d’une superficie de 6.000 mètres carrés.

Les travaux de construction débutent en 1930 et s’achèvent en 1937. Mais le musée ne sera inauguré que le 27 mai 1942 par le président Alfred Naccache. Le conservateur en chef, l’émir Maurice Chéhab, va désormais œuvrer à enrichir une collection d’environ 1.500 pièces archéologiques, qui prendra de plus en plus d’ampleur avec les fouilles des années 1960 et 1970, menées notamment à Byblos, Tyr, Saïda, Baalbeck et Kamed el-Loz dans la Békaa. Des sites qui ont révélé des richesses insoupçonnées. Aujourd’hui, à travers 2.500 objets exposés, le musée déploie la mémoire fastueuse de 6.000 ans de civilisation, de la Préhistoire à la période ottomane.

La tombe de Tyr, un chef d’œuvre de l’art funéraire romain du IIe siècle après JC. Photo DR

Tenant compte des fouilles urbaines de Beyrouth, qui ont livré des centaines de tonnes d’objets archéologiques, « l’établissement possède plus de trésors cachés qu’exposés », avait signalé en 2008 feu l’ancien ministre Ghassan Tuéni, membre du Comité du Musée national, lors d’une table ronde des Cafés culturels organisés par L’Orient-Le Jour, en collaboration avec la Maison du livre à l’Atelier de l’Université Saint-Joseph. Effectivement, malgré la politique de la tabula rasa appliquée par la société immobilière Solidere, les objets sauvés de la destruction se chiffrent par plusieurs milliers. Ils sont entreposés dans des dépôts sécurisés de la capitale.

Des chapes de béton pour sauver les collections

Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille. La guerre civile éclate le 13 avril 1975. Situé sur la ligne de démarcation qui séparait Beyrouth en deux secteurs antagonistes, le musée sert de bunker aux combattants, ignorant qu’à leurs côtés et sous leurs pieds reposent des chefs-d’œuvre. En effet, Maurice Chéhab et son équipe avaient dissimulé sous des caissons de béton armé les œuvres majeures, statues, sarcophages et mosaïques, trop difficiles à déplacer, et muré l’accès au sous-sol où dormaient d’un long sommeil 31 exceptionnels sarcophages anthropoïdes en marbre blanc de Paros découverts dans les nécropoles phéniciennes de la région de Saïda, à Aïn el-Héloué : Dakermann et Mgharet Abloun. C’est ainsi que cette collection, la plus grande au monde, avait pu être sauvée. Par ailleurs, dès septembre 1975, Maurice Chéhab avait demandé à sa femme Olga et à Élie Abboud, chef des travaux, de retirer tous les objets précieux, bijoux, statuettes et pièces de monnaies, conservées dans les vitrines. Déposée dans des boîtes scellées à la cire rouge, la collection trouvera refuge dans les coffres de la Banque du Liban. Initiative louable, car les dégâts provoqués sur le bâtiment par les impacts des obus des miliciens et les bombardements israéliens de l’été 1982, sont immenses. De plus, la nappe phréatique sur laquelle est construit l’édifice a débordé causant des dommages sévères dans les dépôts du sous-sol.

Premières mesures de restauration

À la fin des hostilités, le gouvernement avait peu de moyens pour remettre le Musée en état. Aussi à l’initiative de l’émira Khawla Arslane, qui présidait alors l’Association des amis du Musée national, des fonds sont récoltés pour reconstruire le bâtiment administratif (jouxtant le musée) en grande partie démoli. Cette première étape, qui a permis à la Direction des antiquités de reprendre ses quartiers, a nécessité une enveloppe de 400 000 dollars, débloquée principalement par Les Amis du Musée au Liban et la Lebanese British Friends of the National Museum à Londres. Cette dernière assurera également la création d’un laboratoire pour la restauration des objets endommagés par l’humidité et la montée des eaux de la nappe phréatique dans les dépôts du sous-sol. Déterminée à réhabiliter l’édifice muséal, la Première dame à l’époque, Mona Hraoui, prend alors la relève des Amis du Musée, en mettant sur rail la Fondation nationale du patrimoine, en 1996. Laquelle a regroupé une élite d’hommes et de femmes soucieux de la sauvegarde de l’héritage pour le bénéfice des générations futures. Avec l’appui de généreux donateurs, la Fondation accomplira un gigantesque travail de restauration, dont le coût devrait atteindre environ six millions de dollars. Le 25 novembre 1997, en grande pompe et en présence de toute la République, le président Élias Hraoui inaugure le rez-de -chaussée du Musée et une partie du sous-sol. La cérémonie lève le voile sur une plaque commémorative portant les noms des principaux donateurs. Petit bémol toutefois, l’émir Maurice Chéhab, décédé le 24 décembre 1994, n’a pas eu le bonheur de revoir le Musée ouvert. À la tête de la Direction générale des Antiquités lui a succédé Camille Asmar, qui sera relayé par Chaker Ghadbane, Frédéric Husseini et Sarkis Khoury. Ces messieurs sont accompagnés successivement par les conservatrices Suzy Hakimian (1991-2009), aujourd’hui directrice du Musée Mim, puis par Anne-Marie Afeiche nommée directrice générale du Conseil des Musées du Liban.

Le 15 juillet 1998, le Musée referme provisoirement ses portes pour effectuer la seconde phase des travaux qui englobe l’installation des ascenseurs pour les personnes du troisième âge et les handicapés, la climatisation l’insonorisation, la sécurité, l’étanchéité et la création de la boutique du Musée. Mais aussi et surtout la réfection du premier étage où le célèbre architecte-urbaniste français Jean-Michel Wilmotte signe la muséographie et le design des vitrines. Rouvert au public le 8 octobre 1999, le Musée renoue avec son passé en présentant des vestiges que les Libanais n’ont plus revus depuis 1975.

La pierre d'Abillama et l’entrée en jeu des Italiens

En 2010-2011, la direction générale de la Coopération au développement du ministère italien des Affaires étrangères intervient pour restaurer la tombe de Tyr, un chef-d'œuvre de l'art funéraire romain du IIe siècle après J.C., conservé depuis 1940 dans le sous-sol du Musée. Découvertes en 1938 dans la région de Bourj el-Chemali près de Tyr, les peintures de l'hypogée avaient été transportées et déposées au Musée national de Beyrouth et se trouvaient dans un état de détérioration avancée. L’opération, financée à hauteur de 194.000 euros, est menée conjointement par des équipes de restaurateurs italiens et libanais. « Les techniques utilisées à cet effet figurent parmi les plus développées », selon les responsables.

Une vue générale de la soirée qui s’est tenue au Musée national le vendredi 3 juin. Photo Nabil Ismaïl

En 2016, le gouvernement italien débloque une nouvelle enveloppe de 1.020.000 euros, pour étendre l'aménagement muséographique à tout l'étage du sous-sol du Musée, où une sélection de 520 pièces relate les rites et pratiques funéraires, du Paléolithique jusqu'à la période ottomane. À cet étage est exposée la plus importante collection de sarcophages anthropoïdes au monde et les momies de chrétiens du Liban médiéval découvertes en 1989-1991 dans la grotte de Assi el-Hadath, dans la vallée de Kadicha, par le groupe des spéléologues GERSL (Groupe d’études et de recherches souterraines du Liban).

Également à l’actif de l’Italie, le financement du Guide du Musée national, ouvrage conçu et rédigé par Anne-Marie Afeiche, et publié en quatre langues : arabe, français, anglais et italien. Décliné en 256 pages illustrées de 75 pièces archéologiques, il propose une synthèse de l’histoire de l’archéologie au Liban, de l’Antiquité à la période ottomane. Le guide est vendu à la boutique du Musée.

Et ce n’est pas tout. Poursuivant sa mission de mettre en lumière la culture, la Fondation nationale du patrimoine a chargé l’architecte star Raëd Abillama d’implanter un café-restaurant et une annexe destinée à accueillir des conférences et des manifestations artistiques. Le programme, réalisé dans le jardin qui jouxte le Musée du côté de l’avenue Abdallah el-Yafi, décline une structure d’une simplicité imposante, s’intégrant avec bonheur au paysage qui l’entoure. Le projet a été livré en 2020, mais la date de son inauguration n’a jamais été fixée.

Avec sa réhabilitation en profondeur, ses collections et sa nouvelle extension, le musée brille de toutes sa splendeur architecturale et patrimoniale. Mais le souffle de l’explosion du 4 aout 2020 lui fait subir un nouveau coup, causant la destruction des fenêtres et des portes et endommageant les systèmes de sécurité. Le musée et ses vestiges se retrouvent sous la protection exclusive de gardiens qui leur sont affectés. ALIPH (Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit) et le musée du Louvre se mobilisent alors pour assurer le plus rapidement possible la sécurisation du bâtiment et des collections. Mission accomplie. Aujourd’hui cependant, le musée est affecté par la pénurie de mazout ou de son coût, devenu hors de portée de la Direction générale des Antiquités. Les portes du musée ne sont ouvertes au public que de 10h à 14 heures.

Dans le cadre d’une cérémonie célébrée vendredi soir, qui a regroupé un nombre d’invités ainsi que les membres de l’Alesco (l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences), le ministre sortant de la Culture Mohammad Mortada a remis à Mona Hraoui, présidente du Comité national du patrimoine, une plaque commémorative en hommage à son dynamisme et son...

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