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Politique - Histoire

Charles Debbas : premier président du Liban et... grec-orthodoxe

Quand le pays du Cèdre avait un chef d’État grec-orthodoxe, un Premier ministre maronite et un président du Parlement sunnite... 

Charles Debbas : premier président du Liban et... grec-orthodoxe

L’ancien président Charles Debbas. Archives L'OLJ

Un vieil adage qui revient souvent à l’approche de l’élection présidentielle au Liban veut que tout maronite soit candidat à la présidence. En pratique, seule une poignée de membres des élites politiques est considérée pour le poste, mais il est vrai que, par convention, le poste est réservé à cette communauté. Bien que ce ne soit pas exigé par la loi, le pacte national de 1943 – un accord verbal entre les élites des différentes communautés du Liban – stipule que le président doit être maronite, le Premier ministre sunnite et le président du Parlement chiite. Mais le premier détenteur du titre de président de la République libanaise n’était pas maronite. Cet honneur est revenu à Charles Debbas, un grec-orthodoxe. Ce journaliste et avocat devenu homme politique a présidé la république naissante de 1926 à 1934.

Debbas est né à Damas en 1885, durant les dernières décennies de l’Empire ottoman. Il était un parent éloigné de l’aile beyrouthine de l’éminente famille Debbas, célèbre notamment pour la compagnie d’éclairage haut de gamme ainsi que pour la collection de photos de Fouad Debbas au musée Sursock. César Debbas, membre de l’aile beyrouthine, indique à L’Orient Today que l’ancêtre commun remonte au XVIIe siècle d’une lignée qui comprend également l’ancien patriarche grec-orthodoxe d’Antioche Athanase III Debbas.

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Charles Debbas obtient un diplôme de droit de l’Université Saint-Joseph (USJ), un précédent que suivront de nombreux autres présidents de la République. Il s’installe ensuite à Paris, où il est actif au sein de la communauté arabe francophone. Il est secrétaire du Congrès arabe de 1913 dans la capitale française, qui réclame plus de pouvoirs pour les régions arabes de l’Empire ottoman.Debbas s’implique dans les affaires libanaises après la fin de la Première Guerre mondiale lorsque, à l’invitation du secrétaire général du haut-commissariat français Robert de Caix, il rejoint l’administration locale du mandat français au Liban en tant que ministre de la Justice. Après la promulgation de la Constitution du Liban en 1926, la première élection présidentielle du pays est organisée. À l’époque, la principale rivalité opposait deux hommes politiques maronites, Émile Eddé et Béchara el-Khoury. Charles Debbas profite de sa position de candidat de consensus.

Dans les coulisses, la France a poussé à l’élection de Debbas notamment pour apaiser les musulmans et les chrétiens non maronites qui craignaient tous que le nouvel État soit exclusivement maronite. C’est ce qu’affirme Joshua Donovan, chercheur à l’Université de Californie à Berkeley, spécialiste de l’histoire des chrétiens orthodoxes en Syrie et au Liban.

M. Donovan ajoute que la Commission King-Crane – la commission américaine qui s’est rendue dans les anciens territoires ottomans de la Méditerranée orientale pour demander aux populations comment elles souhaitaient s’auto-administrer – a révélé une division au sein de la communauté orthodoxe, certains souhaitant faire partie de la Grande Syrie plutôt que de s’en séparer pour un Liban à majorité chrétienne.

« Les Français ont compris qu’ils avaient un problème orthodoxe. Je pense donc que c’était une façon de montrer à cette communauté qu’elle n’avait pas à craindre un Grand Liban et que les grecs-orthodoxes y auraient leur mot à dire », souligne M. Donovan. L’élection de Charles Debbas « était un signal, je pense, de la part des Français, qu’il s’agirait d’une entité politique chrétienne plus large (et non exclusivement maronite)... C’était un signal pour les orthodoxes que leurs intérêts seraient effectivement préservés dans l’État libanais », analyse le chercheur. Et de poursuivre : « Ce n’était pas tout à fait unanime, mais le premier président remporte l’élection avec une marge confortable. »

Cela a, bien sûr, irrité les deux figures maronites principales du pays, Béchara el-Khoury et Émile Éddé. Ils occuperont toutefois tous deux le poste de Premier ministre à différents moments sous le mandat Debbas.

En consultation avec les Français
Dans le discours d’acceptation de Charles Debbas, qui est cité en première page de L’Orient en mai 1926, il promet d’assumer ses responsabilités, de représenter le peuple et d’être loyal envers le Liban, tout en maintenant des relations solides avec la France. « En aucun cas une cession territoriale ne sera faite à la Syrie », promet-il dans un autre discours un mois plus tard. Il s’agissait d’un exercice d’équilibriste entre ceux qui voulaient céder des terres pour faire pencher la démographie du pays en leur faveur et ceux qui envisageaient que le Liban fasse partie d’une Grande Syrie.

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Sous le mandat de Debbas, de nombreuses normes présidentielles libanaises ont vu le jour. En 1927, il amende avec le haut-commissaire français la Constitution pour accorder à la présidence des pouvoirs étendus au détriment du cabinet, pouvoirs qui ont ensuite été restreints par les accords de Taëf en 1989 qui a mis fin à la guerre civile. Au début de son second mandat en 1929, Debbas porte la durée du mandat présidentiel de trois à six ans, limite qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

À l’approche de l'élection de 1929, le président doit faire face à une concurrence féroce de la part de Habib Loutfallah, un riche banquier et industriel grec-orthodoxe proche du roi Fayçal de Syrie et, plus tard, d’Irak. Loutfallah dépense sans compter pour gagner du soutien parmi les députés, mais, avec l’appui de la France, Charles Debbas est finalement assuré d’une victoire nette de 42 voix sur 44 parmi les députés qui se sont présentés au Parlement pour le vote.

Cela souligne le rôle joué par la France dans l’administration du pays, estime Donovan : « Il y avait une certaine marge, bien sûr (pour les Libanais), mais je dirais que, vous savez, les Français avaient un veto ultime ; Paris a clairement indiqué ce qui allait se passer. Mais cela ne veut pas dire que Charles Debbas n’avait pas son mot à dire. »

Le premier président « a gouverné par décret pendant un certain temps, la Constitution étant suspendue. Il a également été responsable de la réduction de la taille du (Parlement), bien que celui-ci ait été à nouveau élargi », poursuit M. Donovan. Il « a pris des décisions », mais en consultation avec les Français, et « tout était soumis à l’approbation du Haut-Commissariat français », ajoute le chercheur.

Bien sûr, Debbas remplit ses fonctions cérémonielles de président. Un incident notable est l’enterrement du dernier sultan ottoman, dont la dépouille est amenée à Beyrouth avant d’être transportée en train à Damas pour y être enterrée. En 1928, il inaugure le Grand Théâtre du centre-ville de Beyrouth conçu par l’un de ses ministres des Travaux publics Youssef Aftimos. En 1930, il inaugure aussi un mémorial sur la place des Martyrs : une statue nommée La femme qui pleure, par Youssef Hoayek. Elle est ensuite retirée et se trouve maintenant dans la cour du musée Sursock.

Au cours de son second mandat, M. Debbas est confronté à d’autres crises, comme la grande dépression qui commence aux États-Unis et se propage pour avoir des répercussions dans le monde entier, y compris au Liban. Il s’expose alors à des critiques sur sa gestion de l’économie, tandis que les maronites s’impatientent pour la présidence.

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Un président pour quel projet politique ?

En 1932, le mandat présidentiel de Debbas prend fin, et il semble qu’il ne sollicitera pas un nouveau mandat. Émile Eddé et Béchara el-Khoury sont tous deux en lice pour lui succéder, le second semblant avoir de meilleures chances. Éddé et d’autres députés chrétiens manœuvrent alors pour faire élire à la présidence le patron du Parlement de l’époque Mohammad el-Jisr, un politicien sunnite de Tripoli. Avec le soutien des députés musulmans, son élection serait assurée. Selon l’historien Kamal Salibi, le patriarche maronite Antoun Arida n’a pas soutenu la démarche, mais ne s’y est pas non plus opposé. Cependant, l’objection est venue du Haut-Commissariat français. Malgré la politique profrançaise de Jisr, on lui demande de retirer sa candidature. Lorsqu’il refuse de le faire, les Français prennent une mesure unilatérale, et le 9 mai 1932, ils suspendent la Constitution et dissolvent le Parlement. Une semaine avant la tenue de l’élection présidentielle, celle-ci est reportée. Les Français demandent à Charles Debbas de rester dans ses fonctions de président pendant deux années supplémentaires.

Salibi affirme que la suspension de la Constitution visait surtout à limiter les pouvoirs du Parlement et n’était donc pas liée uniquement à l’élection. Mais ce fut la première des nombreuses impasses des présidentielles dans l’histoire du Liban.

« Je ne vais pas entrer par la fenêtre »
Entre-temps, les maronites étaient soucieux d’élire un président issu de leur communauté. En 1933, les communautés chrétiennes envoient une pétition au haut-commissaire français lui demandant de modifier la Constitution afin qu’elle stipule clairement que le chef de l’État doit être chrétien. Cette pétition faisait suite à une démarche similaire en Syrie qui avait inscrit dans sa Constitution que le président devait être musulman.

Selon M. Donovan, Debbas envisage de se représenter à l'élection, mais, en 1934, les Français veulent qu’un maronite prenne la tête du pays, en particulier Émile Éddé qui est l’un de leurs favoris. Cependant, ils demandent à l’avocat grec-orthodoxe de rester au Parlement. Selon M. Donovan, Debbas déclare alors : « Je ne vais pas entrer par la fenêtre alors qu’auparavant, j’avais été invité à entrer par la porte. » Il est resté brièvement président du Parlement avant de démissionner la même année.

Depuis lors, tous les présidents du Liban, que ce soit pendant le mandat ou après l’indépendance, sont maronites – à l’exception d’Ayoub Tabet, un protestant, et de Petro Trad, un grec-orthodoxe, qui ont été présidents par intérim pendant quelques mois.

Après l’adoption du pacte national en 1943, les rôles de vice-président du Parlement et de vice-Premier ministre sont attribués aux grecs-orthodoxes, mais leurs pouvoirs sont mal définis. Bien qu’ils aient été écartés du pouvoir exécutif, M. Donovan estime que l’influence des orthodoxes ne s’est pas dissipée pour autant. Au contraire, ils se sont tournés vers « des voies d’influence informelles : l’un des journaux les plus célèbres de Beyrouth, an-Nahar, est fondé par Gebran Tuéni et dirigé ensuite par son fils Ghassan », tous deux orthodoxes.Outre la presse, de nombreuses personnalités orthodoxes se distinguent dans le monde de la diplomatie, comme Charles Malek, ancien ministre des Affaires étrangères qui a coécrit la Charte universelle des droits de l’homme de l’ONU.

Les données des élections législatives libanaises de 2022 montrent qu’il y avait 263 033 électeurs grecs-orthodoxes inscrits, soit 6,63 % de tous les électeurs inscrits, contre 744 028 maronites. Au total, il y avait 617 518 électeurs chrétiens non maronites inscrits.

Charles Debbas, homonyme et parent éloigné du président défunt, architecte et conférencier à l’Université de Stanford, déclare à L’Orient Today qu’il espère voir un système politique laïc au Liban. « Je crois fermement que la religion doit rester privée et que les qualifications politiques doivent être fondées sur les meilleurs intérêts de chaque citoyen, indépendamment de toute affiliation religieuse ou classe sociale », dit-il. 

Un vieil adage qui revient souvent à l’approche de l’élection présidentielle au Liban veut que tout maronite soit candidat à la présidence. En pratique, seule une poignée de membres des élites politiques est considérée pour le poste, mais il est vrai que, par convention, le poste est réservé à cette communauté. Bien que ce ne soit pas exigé par la loi, le pacte national de 1943...

commentaires (7)

Le "Grand Liban" est né par l'extension de la Moutassarrifiya du Mont-Liban, exactement comme, en Algèbre, un ou plusieurs nombres irrationnels sont ajoutés au Corps Q des nombres rationnels pour former une "extension de Corps" capable de résoudre certains problèmes. Mais les nombres ajoutés seront toujours étrangers au Corps initial...

Georges MELKI

12 h 27, le 15 octobre 2022

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Commentaires (7)

  • Le "Grand Liban" est né par l'extension de la Moutassarrifiya du Mont-Liban, exactement comme, en Algèbre, un ou plusieurs nombres irrationnels sont ajoutés au Corps Q des nombres rationnels pour former une "extension de Corps" capable de résoudre certains problèmes. Mais les nombres ajoutés seront toujours étrangers au Corps initial...

    Georges MELKI

    12 h 27, le 15 octobre 2022

  • L’exemple à ne jamais suivre, c’est de constituer une nation multiethnique et multi-cultuelle où l’ethnie et le culte sont les vecteurs de base de la politique. Il faudra, pour qu’un régime soit vertueux, que la citoyenneté reste l’unique vecteur de la politique. Toutes les nations qui n’ont pas suivi cette vertu sont en perpétuelle crise.

    DAMMOUS Hanna

    11 h 20, le 12 octobre 2022

  • Et pourquoi pas druze ou Armenien catholique? Le monopole maronite fut un fiaso. Total……

    Robert Moumdjian

    12 h 21, le 11 octobre 2022

  • OUI , POUR UN PRÉSIDENT ORTHODOXE, PREMIER MINISTRE SUNNITE/CHIITE AUCUNE DIFFÉRENCE. LES MARONITES , « DANS LES NUAGES » MAIN DANS LA MAIN AVEC TOUS LES AUTRES COMMERÇANTS DE DIEU QUI CONTINUENT À NOUS RAPPELER L’OBJECTIF VERS LEQUEL NOUS DEVONS TENDRE : LES ÉTOILES DANS LE CIEL . PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE UN ARMÉNIEN….

    aliosha

    19 h 37, le 10 octobre 2022

  • Quel bel article …

    Eleni Caridopoulou

    17 h 05, le 10 octobre 2022

  • C'est vrai. Que les montagnards paysans maronites avce leur mentalités sclerosées reviennent dans leur montagnes. Que les minorités chretiennes redeviennent presidents.

    Mon compte a ete piraté.

    13 h 55, le 10 octobre 2022

  • LES ABRUTIS, INCOMPETENTS, VOLEURS, MAFIEUX ET QUI ONT DETRUIT LE LIBAN AVEC L,AIDE UNE FOIS DE NASSER, UNE AUTRE FOIS D,ARAFAT ET AUJOURD,HUI DE L,IRAN ET SES MERCENAIRES SONT TOUS DE LA BERGERIE DU PATRIARCHE RAI. IL EN EST ASSEZ. QUE LES AUTRES CHRETIENS GOUVERNENT. NOUS AVONS EU ASSEZ D,INCOMPETENTS ET DE MAFIEUX ET DE TRAITRES A LEUR PAYS. METROPOLITE AUDE ELEVE TA VOIX ET EXIGE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 19, le 10 octobre 2022

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