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Culture - Entretien

Ghassan Salhab : Il faut une sorte d’abandon pour pénétrer dans mes films

Ce soir et demain jeudi, MC Distribution propose aux cinémas VOX* la projection du triptyque du cinéaste libanais. Une occasion de s’immerger dans cette expérience filmique.

Ghassan Salhab : Il faut une sorte d’abandon pour pénétrer dans mes films

Ghassan Salhab : « Je ne choisis pas un acteur parce qu’il joue bien uniquement mais parce que j’ai envie de le filmer. » Photo Creative Commons

« La Montagne » (2010), « La Vallée » (2014) et « La Rivière » (2021), trois films qui, tournés à (de longs) intervalles, ont éloigné Ghassan Salhab de Beyrouth. Pourquoi avoir quitté la capitale libanaise et pourquoi l’avoir appelé triptyque et pas trilogie ? Quel lien relie ces trois films qui semblent si différents les uns des autres ?

Le mot trilogie est de l’ordre du récit. Il évoque le narratif. J’ai voulu l’appeler triptyque en pensant à ces fameuses peintures anciennes, les retables, où il y a trois volets auxquels on fait face. Deux petits volets de côté avec un ou deux personnages (La Montagne et La Rivière) et un grand au milieu (La Vallée) avec plein de figures. Ce qui relie ces films organiques, autant en termes géographiques que dans le fait qu’il y a une menace intérieure et extérieure dans les trois œuvres qui rappelle le contexte dans lequel ils sont tournés, c’est bien le Liban. Dans cette région du monde, on ne vit pas dans un « nulle part ».

« La Montagne » (2010), « La Vallée » (2014) et « La Rivière » (2021), un triptyque de Ghassan Salhab à voir en salle. Photo DR

Lorsque j’ai commencé La Montagne, j’étais sur un autre projet avec Abbout (la boîte de production de Georges Schoucair, NDLR) que j’ai laissé tomber car je n’étais plus capable de tourner à Beyrouth. Je ne ressentais plus de lien géographique ou organique avec la ville. Et comme je suis un cinéaste qui ne raconte pas un récit, mais qui va au-delà pour voir où il m’emmène, j’ai pensé d’abord à ce rôle que pourrait occuper Fadi Abi Samra physiquement sur l’écran. Fadi Abi Samra qui, au lieu de se diriger vers l’aéroport au début du film, va s’isoler dans un coin de montagne. Nous nous sommes entendus Georges et moi pour nous lancer vers La Montagne. C’était la première fois que je tournais chronologiquement. D’ailleurs, je ne fais plus que cela depuis. J’écrivais ainsi la veille ce que je devais tourner le lendemain, tout en ayant quand même une trajectoire à suivre.

La fin de La Montagne, tournée à Ouyoun el-Simane, avec un plan de pas dans la neige, annonce sans trop s’appesantir le début de La Vallée. Lequel s’ouvre sur un paysage lunaire. Un homme venu de nulle part, après un accident, marche un peu hagard. Il se rend compte qu’il a perdu la mémoire. Le film commence par cette phrase reprise du grand poète libanais Wadih Saadé qui vit en Australie : « Et il est descendu de la montagne vers la vallée. » Les titres, je les dois simplement à la géographie libanaise et à la simplicité des petits poèmes japonais, les haïkus, que je lisais beaucoup à l’époque. Je voulais faire dans la simplicité. La Rivière a (dé)coulé aussi de là, de là où s’arrête La Vallée, sur ce point d’interrogation : est-ce qu’il y a une guerre ? S’est-elle arrêtée ou continue-t-elle ? Et c’est ce ballet lugubre et sonore dans le ciel qui assure la liaison de cette rivière qui signe la fin d’un amour.

Carlos Chahine dans « La Vallée ». Photo DR

Il est évident que dans les trois volets, il y a une quête vaine mais sans fin (de soi, de l’amour…). Pour vous, un film se fabrique à partir d’éléments qui s’assemblent, formant des strates, mais aussi à partir d’imprévus. Comment relayer ces strates au public ?

J’aime l’idée de la fabrication d’un film, tant au niveau du montage, de la photo, de l’éclairage ou des éléments naturels qui interviennent quelques fois volontairement et d’autres accidentellement. La photo de Fadi Abi Samra qu’on retrouve dans La Rivière et mes acteurs Fadi et Youmna Marwan qui se retrouvent physiquement, l’un dans La Montagne et La Vallée et l’autre dans La Vallée et La Rivière, ne sont pas simplement des clins d’œil mais un rappel que toute quête humaine, quoique vaine, est continue. De plus, les éléments, accidents de la nature qui entrent en jeu et deviennent des acteurs à part entière, comme le brouillard dans La Rivière, renforcent l’idée que non seulement nous sommes coupables dans la dénaturation de la nature, mais aussi qu’elle, de son côté, n’est pas très innocente quant à son impact sur nos vies. Je propose au spectateur une immersion dans les images. Dans un film, je ne lui donne pas un glossaire. Mais il faut une sorte d’abandon pour pénétrer dans mes films. Je sais que de notre temps, c’est difficile de s’abandonner, tout comme dans l’amour ou l’amitié.

Ghassan Salhab et Fadi Abi Samra sur le tournage de « La Montagne ». Photo DR

Comme vos films ne sont pas narratifs, ils ne sont pas par conséquent une explication de texte comme vous venez de le préciser. Vous aimez laisser le film ouvert aux multiples interprétations qui viennent achever sa construction...

Oui. Je n’aime pas imposer quoi que ce soit au public. D’ailleurs, au nom de quoi je vous dirais que votre interprétation n’est pas la bonne ? J’aurais pu raconter dans La Rivière cet amour qui n’en finit pas de finir, mais je préfère que le spectateur vive une expérience, tout comme dans La Montagne. Abbas Kiarostami disait : « Je mets des petits trous dans mes films et que le spectateur les remplisse s’il le veut. » Le cinéma est un art ouvert à la pensée, à l’esprit, mais aussi aux sensations du corps. Mais il y a certainement deux éléments fondamentaux dans un film : le temps avec ce qu’il propose comme plans et le travail sonore.

Ali Suleiman et Youmna Marwan dans « La Rivière ». Photo DR

Ce travail sonore commence-t-il après le tournage du film ou se déroule-t-il en même temps ? Est-ce que vous intervenez dans cette étape ?

Le travail sonore commence avant le tournage, alors même que je pense au film. En lisant mes scénarios, on trouve déjà des références sonores (sans entrer dans les détails, bien sûr). Tout au début d’un film, j’ai des sensations fortes, visuelles et sonores. Mais quand je fais le montage du film, je fais le montage son aussi avec toute mon équipe. Je ne sépare jamais les deux. J’ai la chance d’avoir des gens très dédiés qui travaillent avec moi. Depuis le film 1958 (sorti en 2009), j’ai la même ingénieure du son, Karine Basha, et Tatiana Dahdah s’est ajoutée à cette équipe. Je travaille aussi avec Rana Eid et Michèle Tyan. Ce sont mes complices sur qui je compte totalement. Car je porte en moi l’univers sonore.

Finalement, la vie est-elle un grand théâtre où l’homme joue plusieurs rôles et ne sait plus discerner entre la réalité et la fiction ? Comment, dans cette optique, dirigez-vous vos acteurs et vos actrices ?

Il est vrai que l’homme est multiple et riche. Mais, malheureusement, le jeu social le réduit souvent à un seul et unique personnage, en l’étouffant parfois. C’est pourquoi on ne peut simplifier, dans un film, et être réducteur. Il y a un personnage fictionnel en nous, inconscient ou conscient et qui n’est pas de l’ordre de l’imaginaire. Il existe vraiment.

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« La Rivière », de Ghassan Salhab, à Locarno

J’aime accompagner et guider mes acteurs. Je leur fais lire le scénario et après je leur dis de le mettre de côté car finalement ce n’est pas une équation mathématique. Plus tard, j’aime m’asseoir avec eux pour en parler, pour qu’ils posent des questions. Je ne fais jamais de répétitions, mais je les vois énormément l’un sans l’autre ou ensemble. Peu importe. Dans La Rivière, Youmna et Ali se sont bien entendus dans le sens amical. Fadi dans La Montagne et tous les acteurs dans La Vallée savaient très bien dès le début pourquoi ils étaient là et ce qu’ils devaient faire. Pour moi, ils ne sont pas des marionnettes. Je travaille avec eux avec beaucoup de confiance. D’autre part, je ne choisis pas un acteur parce qu’il joue bien uniquement, mais parce que j’ai envie de le filmer. Sans oublier que si sa voix ne me plaît pas, il n’est pas question que je travaille avec lui (rires). Je dois beaucoup à Carole Abboud qui m’a appris dans Terra Incognita que l’acteur était un collaborateur. Tout cela pour dire que j’adore les tournages car j’aime travailler autant avec l’équipe technique qu’avec les acteurs. Et c’est pourquoi les tournages me manquent.

Maintenant que le triptyque est bien achevé, je planche déjà sur un prochain projet qui sera un retour vers Beyrouth. Je reviens à la capitale avec une sorte de suite au Dernier homme (film tourné en 2006).

*Mercredi 5 octobre, 16h30 : « La Montagne » ; 19h00 : « La Vallée ». Jeudi 6 octobre, 16h30 : « La Vallée » ; 19h00 : « La Rivière », suivi à 21h00 par une conversation avec le réalisateur Ghassan Salhab. Entrée libre.

« La Montagne » (2010), « La Vallée » (2014) et « La Rivière » (2021), trois films qui, tournés à (de longs) intervalles, ont éloigné Ghassan Salhab de Beyrouth. Pourquoi avoir quitté la capitale libanaise et pourquoi l’avoir appelé triptyque et pas trilogie ? Quel lien relie ces trois films qui semblent si différents les uns des autres ? Le mot...

commentaires (1)

S,IL FAUT DE L,ABANDON POUR ENTRER CAD POUR LES COMPRENDE C,EST QU,ILS NE VALENT RIEN. UN FILM DOIT ATTIRER ET CAPTIVER LE SPECTATEUR DURANT TOUTE LA SEANCE POUR QU,IL SOIT UN FILM DE CLASSE. NE M,EN VOULEZ PAS MONSIEUR. JE SUIS FRANC.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 46, le 05 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • S,IL FAUT DE L,ABANDON POUR ENTRER CAD POUR LES COMPRENDE C,EST QU,ILS NE VALENT RIEN. UN FILM DOIT ATTIRER ET CAPTIVER LE SPECTATEUR DURANT TOUTE LA SEANCE POUR QU,IL SOIT UN FILM DE CLASSE. NE M,EN VOULEZ PAS MONSIEUR. JE SUIS FRANC.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 46, le 05 octobre 2022

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