Quand Moustapha Misto a décidé de prendre la mer avec sa famille, il ne rêvait que d’une chose : fuir la crise économique au Liban et vivre dignement. Il a péri en mer avec ses trois enfants, seule sa femme a survécu. Cet homme fait partie d’une centaine de migrants parmi lesquels des Libanais et des réfugiés syriens qui ont embarqué à bord d’un bateau parti du Liban-Nord et qui a coulé jeudi au large de la Syrie. Le bilan de ce nouveau drame est le plus meurtrier depuis le récent phénomène d’émigration illégale en partance du Liban : au moins 87 morts. Et ce bilan risque de s’alourdir encore, les opérations de sauvetage n’étant pas achevées. Le bateau, sur lequel un drapeau libanais était hissé, avait quitté le village de Minié, dans le Nord, en début de semaine, en direction de l’Italie avec à son bord 120 passagers, dont des personnes âgées, des femmes et des enfants des trois nationalités libanaise, syrienne et palestinienne. Selon la télévision syrienne, environ 150 personnes, principalement des Libanais et des Syriens, se trouvaient à bord de la petite embarcation qui a fait naufrage au large de la ville portuaire de Tartous, dans l’ouest de la Syrie. « Le nombre de victimes du naufrage s'élève jusqu'à présent à 87 », a déclaré dans la soirée le ministre libanais sortant des Transports Ali Hamiyé, cité par l'Agence nationale d'Information (Ani, officielle). Vingt personnes sont par ailleurs soignées à l'hôpital al-Bassel de Tartous. Le nombre de Libanais faisant partie des victimes n’est toujours pas clair. Selon le ministre Ali Hamiyé, 19 personnes ont été secourues, dont six Libanais. De nombreux autres migrants sont encore portés disparus. Des réfugiés palestiniens du camp de Nahr el-Bared dans le nord du Liban faisaient également partie des victimes, selon des responsables du camp.
« Nous avons affaire à l’une de nos plus grandes opérations de sauvetage », a déclaré un responsable du ministère syrien des Transports Sleiman Khalil. « Nous couvrons une vaste zone qui s’étend sur toute la côte syrienne », a-t-il ajouté, précisant que de hautes vagues compliquaient les opérations de secours. Selon le ministre syrien de la Santé, la marine russe a participé aux opérations de sauvetage. Les autorités libanaises restent en contact avec leurs homologues syriens pour obtenir des mises à jour sans intervenir dans les opérations de recherche, a déclaré pour sa part à L’Orient Today Hassan Choucair, porte-parole de M. Hamiyé.
« Que font les responsables ? »
De nombreux passagers libanais du bateau sont originaires de régions pauvres du Liban-Nord, notamment de la ville de Tripoli. La région est devenue une plaque tournante de l’immigration illégale, la plupart des bateaux de migrants partant de ses côtes.
Parmi les survivants, Wissam el-Tallawi, un père de famille habitant à Tripoli et originaire du Akkar, autre région pauvre du Liban-Nord, a été hospitalisé, a déclaré son frère Ahmad. Les corps de ses deux filles, âgées de cinq et neuf ans, ont été rapatriés au Liban et enterrés hier, a déclaré Ahmad. La femme de M. Tallawi et ses deux fils sont toujours portés disparus. « Ils sont partis il y a deux jours, a révélé Ahmad. Au réveil, jeudi, nous nous sommes rendu compte que Wissam était parti. » Wissam, qui travaille dans une entreprise de nettoyage, « n’était plus en mesure de couvrir ses dépenses et de payer les 10 millions de livres libanaises (environ 260 euros) nécessaires pour inscrire ses enfants à l’école ». « Aucun responsable n’a daigné se rendre en Syrie pour suivre cette affaire », lance Ahmad.
Le frère de Moustapha el-Maneh, l’un des passagers originaires du quartier de Bab el-Raml, à Tripoli, et toujours porté disparu en mer, a déclaré à notre correspondant Souhayb Jawhar que son frère est chauffeur de taxi. « La vie lui semblait difficile à cause de la hausse des prix des carburants, et son revenu ne suffisait plus pour acheter du pain et de la nourriture », a-t-il déploré, ajoutant que son frère « n’était pas en mesure d’inscrire ses deux fils à l’école ». « Il a donc choisi d’émigrer par bateau après avoir vendu sa voiture pour payer le passeur qui a organisé le voyage », a-t-il précisé. Un de ses proches révèle que Moustapha a payé aux passeurs de 3 000 à 5 000 dollars par personne. Sa famille a commencé à accepter les condoléances, craignant que son corps ne soit jamais retrouvé. Elle a essayé en vain de contacter le Premier ministre désigné Nagib Mikati, originaire de Tripoli. « Que font les responsables ? Nous ne savons pas si nos proches sont vivants ou morts », s’interroge nerveusement un proche de Moustapha. Depuis que la nouvelle du drame s’est répandue, parents et amis affluent au domicile de la famille endeuillée. Parmi eux Omar Misto, un ami d’enfance de Moustapha. « La pauvreté et les conditions de vie difficiles ont poussé Moustapha à quitter le Liban », a-t-il déclaré. « Je partirai, même si je dois mourir. Soit j’y parviens, soit je meurs », n’avait-il de cesse de répéter, selon Omar.
Un membre de la famille de Samer el-Hosni, un autre passager originaire du quartier de Bab el-Tebbané à Tripoli, a confié à notre correspondant que Samer a survécu à ce tragique incident, mais que sa femme et ses quatre enfants sont toujours portés disparus en mer. Chauffeur routier sur la place al-Tall de la ville, il avait perdu son emploi « et a été obligé de vendre tout ce qu’il possédait, même les fenêtres de sa maison ». À Arida, poste-frontière nord entre le Liban et la Syrie, des dizaines de proches des victimes attendaient les corps de leurs proches. Ici, un vieil homme attend des nouvelles de ses deux nièces. « Si j’avais l’opportunité de prendre la mer, au risque de mourir, j’irais pour ne plus vivre une vie indigne dans ce pays », lâche-t-il. Pour d’autres, l’attente était impossible. « Des proches de victimes sont venus du Liban (...) pour y identifier les morts », a ainsi déclaré Ahmad Ammar, un responsable de la Santé de Tartous.
Trois passeurs arrêtés
Réagissant à ce drame, le président Michel Aoun a appelé « les organismes spécialisés à assurer les facilités nécessaires aux rescapés et aux familles des victimes ». Nagib Mikati a de son côté annoncé qu’il avait chargé le Haut Comité de secours de coordonner avec les familles des victimes du naufrage le rapatriement des dépouilles mortelles de leurs proches. M. Mikati a également demandé au commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, de surveiller « strictement » les côtes libanaises, de lutter contre les traversées migratoires illégales et d’arrêter les personnes impliquées dans leur organisation. Jeudi, l’armée libanaise a arrêté trois passeurs présumés liés au drame. La troupe a en outre effectué un raid dans la ville de Bebnine, au Akkar, et arrêté deux suspects pour leur implication présumée dans la facilitation de la contrebande illégale à travers la mer.
À la suite de l’effondrement économique au Liban, des réfugiés syriens et palestiniens ainsi que des Libanais ont tenté de traverser la Méditerranée à bord d’embarcations de fortune pour se rendre vers des pays européens, notamment l’île de Chypre, située à 175 kilomètres des côtes libanaises. Selon l’ONU, au moins 38 bateaux transportant plus de 1 500 personnes ont quitté ou tenté de quitter illégalement le Liban par la mer entre janvier et novembre 2021. Jeudi, un parent de migrants se trouvant dans un autre bateau qui avait quitté le Liban-Nord a déclaré à L’Orient Today qu’ils avaient été secourus par les gardes-côtes grecs puis transportés à Izmir, en Turquie, après que leur bateau se fut brisé près de la Crète. L’embarcation transportant 55 personnes avait quitté le pays la semaine dernière, et les proches avaient perdu le contact avec les passagers lundi. L’opération de sauvetage a eu lieu mardi. Alarm Phone, une initiative indépendante qui soutient les personnes traversant la mer Méditerranée, avait tweeté jeudi en évoquant un autre bateau de migrants, affirmant que « des proches nous ont informés hier qu’un bateau a quitté le Liban le 19 septembre et était en détresse dans la mer Ionienne. Il semblerait qu’ils soient à court d’eau et de nourriture. Nous n’avons pu joindre les gens qu’une seule fois avec une mauvaise connexion ». Le réseau de volontaires a indiqué jeudi soir, en citant les médias grecs, que les personnes en détresse ont été transférées au port de Kalamata jeudi après-midi par deux cargos, ajoutant qu’il n’y a pas eu de victimes et espérant « que l’État grec respectera leur droit de demander l’asile ». La plupart de ces bateaux – souvent surchargés de passagers et dans des conditions délabrées – n’atteignent pas leur destination prévue. Ils sont souvent interceptés par l’armée libanaise ou nécessitent un sauvetage en mer.
91 corps repêchés + 50 disparus + 20 soignés + 19 secourus , ( d’après votre article ) , fait un total de 180 personnes !? Capacités des barques disponibles : MAX. 25 personnes pour un trajet de 5 km. ! Voilà cette pauvreté/misère QUI FAIT LE BONHEUR ET LA POPULARITÉ DE TOUS NOS NOUVEAUX ET ANCIENS POLITICIENS QUI INTERVIENNENT ( !!) ( CHOQUES !!? comme il se doit ) LE LENDEMAIN D’UN DRAME. ILS ADORENT QUE L’ON SONNE A LEUR PORTE ; INÉVITABLEMENT AYANT LE CIGARE DE L’INDIFFÉRENCE A LA BOUCHE ….
15 h 41, le 24 septembre 2022