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Culture - Éclairage

Est-ce vraiment la fin de Mashrou’ Leila ?

Après que Hamed Sinno a brisé le silence au cours d’un entretien mené par Médéa Azouri et Mouïn Jaber lors du podcast « Sarde After Dinner », où le leader du groupe est revenu sur le parcours tumultueux du quatuor et a annoncé l’arrêt « à l’heure actuelle » de ses activités, une vague d’indignation et de déception a secoué les réseaux sociaux.

Est-ce vraiment la fin de Mashrou’ Leila ?

Mashrou’Leila au Festival de Baalbeck en 2012. Press Photo

L’annonce a été faite dimanche soir, alors que Hamed Sinno, leader du groupe Mashrou’ Leila, était l’invité du podcast libanais Sarde After Dinner, conçu et présenté par Médéa Azouri et Mouïn Jaber.

« Le projet est-il terminé ? » avait demandé de but en blanc Azouri. Le chanteur ouvertement homosexuel, récemment de passage à Beyrouth après avoir terminé sa maîtrise à New York, n’a pas précisé si Mashrou’ Leila était officiellement dissous ou simplement en mode pause, mais il a dit qu’« avec toutes ces choses, nous avons atteint un point où nous avons dit : “Arrêtons un moment et chacun de nous peut aller dans une direction et, plus tard, nous verrons ce qui se passera.” » Sa déclaration laisse apparemment la porte ouverte (ou plutôt légèrement entrouverte) à une future collaboration.Les membres du groupe ont décliné tout commentaire lorsqu’ils ont été contactés par L’Orient Today. Lundi, Hamed Sinno a écrit sur Instagram : « Je suis super-reconnaissant pour le déluge de témoignages de soutien depuis hier soir. Je ne vais pas répondre aux messages, mais je veux que vous sachiez que je vous vois. Je me sens bercé et aimé. »

Mashrou’ Leila (qui signifie « le projet d’une nuit » ou « le projet de Leila ») a été formé à l’Université américaine de Beyrouth en 2008 par Hamed Sinno, Haig Papazian, Carl Gergès et Firas Abou Fakhr. Après la sortie de leur premier album éponyme, les chouchous de l’indie rock ont connu une ascension fulgurante, devenant rapidement l’un des groupes les plus populaires du Moyen-Orient. Ils se sont depuis produits dans des salles combles d’Amsterdam à Paris, en passant par New York, et ils ont fait la couverture du magazine Rolling Stone.

Le quatuor n’a pas sorti d’album depuis The Beirut School en 2019 et ses membres ne se sont produits ensemble que deux fois depuis leur dernière tournée en 2019, ce qui a donné l’impression à certains fans que le groupe était en désaccord, tandis que d’autres pensaient qu’ils s’étaient discrètement séparés. En 2021, cependant, ils ont travaillé ensemble et ont contribué au nouvel album du musicien et violoniste Yo-Yo Ma.

La dernière fois que le groupe a fait des remous dans la presse, c’était en février 2020, lorsque sa conférence à l’Université Northwestern de Doha sur les médias au Moyen-Orient a été annulée pour des raisons de « sécurité » après qu’une campagne sur les réseaux sociaux a été lancée contre la participation du groupe via le hashtag en arabe « Nous refusons la conférence de Mashrou’ Leila ».

Bien que certains organes de presse se soient concentrés sur ce qu’ils considèrent comme une révélation qui a fait l’effet d’une bombe sur la rupture du groupe, une lecture plus attentive de l’interview de Sinno montre que la situation est plus nuancée.

Durant l’épisode, le leader du groupe a commenté avec franchise les événements entourant l’annulation du concert prévu au festival de Byblos en 2019, le suicide de la militante queer égyptienne Sarah Hegazi et l’explosion au port de Beyrouth. Des événements qui l’ont bouleversé sur le plan personnel et en tant qu’artiste. Par conséquent, Mashrou’ Leila a été affecté dans son ensemble.

Pour mémoire

Beyrouth, Boston, Mashrou’ Leila et Yo-Yo Ma...

Beyrouth, Boston, Mashrou’ Leila et Yo-Yo Ma...

Beyrouth, Boston, Mashrou’ Leila et Yo-Yo Ma...

« Quand il y a eu cette histoire avec Sarah (Hegazi) et puis avec le festival (de Byblos), c’était honnêtement très éprouvant pour moi, psychologiquement et émotionnellement... J’ai décidé que c’était assez », a déclaré Hamed Sinno lors de l’interview sur Sarde. « Je sentais aussi que chaque membre du groupe avait une énorme quantité de stress sur lui, a-t-il déclaré. Et ce n’est pas une vie normale d’avoir 100 000 personnes sur Facebook qui vous disent “Vous devez mourir”. Il y avait une quantité incroyable de fiel, de mesh maa’oul (incroyable). Et personne ne peut passer par là et finir par être normal ou sain d’esprit ou s’adapter à cela. »

Le chanteur a raconté l’impact émotionnel de ces événements sur le groupe, qui a été banni de divers pays arabes et dont les concerts en Jordanie ont été annulés en 2015 et 2016 en raison d’objections des autorités, notamment parce que le groupe « contredisait » les croyances religieuses, comme l’a déclaré le gouverneur de Amman, Khaled Abou Zeid, cité par l’Associated Press en 2016.

En 2017, une grosse controverse a eu lieu en Égypte après que des spectateurs dans la foule de 35 000 personnes ont brandi des drapeaux arc-en-ciel, parmi lesquels Sarah Hegazi. À la suite du concert, les autorités égyptiennes ont interdit Mashrou’ Leila dans le pays et arrêté la militante égyptienne ainsi que plus de 75 autres personnes. Cette dernière a été victime de harcèlement sexuel et de torture pendant ses trois mois de détention, comme l’a documenté Human Rights Watch. Elle a ensuite obtenu l’asile politique au Canada, mais a mis fin à ses jours en 2020.

Le groupe Mashrou’Leila sur la scène du Dubai International Marine Club le 7 avril 2017. Karim Sahib/AFP

En songeant à ces faits « horribles », Hamed Sinno a affirmé : « C’était très difficile, je me suis senti coupable pendant longtemps et j’avais l’impression que je ne voulais pas faire de la musique. »

Deux ans après que les retombées du concert du Caire ont ébranlé les fans et la communauté LGBTQ, Mashrou’ Leila s’est vu interdire le Festival international de Byblos au Liban, suite aux accusations d’organisations et de politiques chrétiens selon lesquelles certaines paroles de leur album Ibn el-Leil faisaient la promotion du satanisme et insultaient le christianisme. Ironiquement, lors de leur première apparition au festival de Byblos en 2010, Hamed Sinno a déployé un drapeau arc-en-ciel qui lui avait été remis par un spectateur. C’était la première fois que le fanion de la gay pride était brandi par un artiste au Liban.

Lors de ce même concert, le groupe avait interprété des chansons dénonçant la brutalité policière et la corruption politique, en présence du Premier ministre de l’époque Saad Hariri. Aucune répercussion significative n’avait suivi.

Une semaine avant le festival de 2019, l’éparchie catholique maronite de Jbeil a déclaré que les chansons « sapent les valeurs religieuses et humaines et attaquent les symboles sacrés du christianisme ». L’éparchie a demandé l’annulation du concert, tandis que des utilisateurs de Facebook ont menacé d’arrêter le spectacle par la force, certains se désignant comme les « soldats de Dieu ».

Les Jounoud al-Rab sont toujours très actifs dans leur croisade contre la communauté LGBTQ au Liban. Pendant les célébrations du mois de la gay pride en juin, ils ont détruit un panneau publicitaire de fleurs avec le drapeau arc-en-ciel LGBTQ, installé par la Beirut Pride sur la place Sassine, à Achrafieh, avec le hashtag #LoveAlwaysBlooms.

Pendant ce temps, les députés de Jbeil ont exhorté les organisateurs du festival à retirer le concert pour « respecter les saints et la morale ». Le concert de Mashrou’ Leila a été officiellement annulé « dans une démarche sans précédent (...) pour éviter une effusion de sang et préserver la sécurité », selon les organisateurs du festival.

Lorsque le groupe avait annoncé sa participation au festival, un message Facebook vieux de quatre ans a soudain commencé à circuler en ligne. Ce message, partagé par Hamed Sinno, montrait une image du visage de la pop star Madonna photoshopé sur une relique religieuse de la Vierge Marie. La réémergence du post a déclenché une vague de harcèlements en ligne et des menaces de mort contre le groupe.

« Soudain, nous avons vu des organisations religieuses influencées politiquement et portant des armes à feu... agir maintenant comme si elles étaient opprimées et persécutées à cause d’une chanson ? Walaw ? Aayb (honte à eux) », a dénoncé le leader du groupe dans l’interview de Sarde, apparemment encore incrédule. « Les gens s’affichaient sur WhatsApp et Facebook avec les fusils dont ils allaient se munir pour tirer sur la foule, au cas où le concert aurait lieu, a ajouté le chanteur. Et je ne me permettrais jamais de mettre mon public en danger, personne dans le groupe ne le permettrait, ni le Festival de Byblos. »

Bien que les raisons définitives de l’interdiction n’aient pas été explicitement mentionnées à l’époque, Hamed Sinno s’est déclaré convaincu que la véritable raison derrière l’interdiction était une vendetta politiquement motivée par son franc-parler sur les médias sociaux.

Le groupe Mashrou’Leila sur la scène du Dubai International Marine Club le 7 avril 2017. Photo Karim Sahib/AFP

« Je peux vous assurer, quatre ans après, que le scandale ne concernait pas ce qui s’est passé à l’époque, c’est certain. Il a été utilisé comme une justification », a-t-il déclaré aux hôtes de Sarde, ajoutant qu’il avait activement critiqué des personnalités politiques sur les médias sociaux à une date proche de l’incident et soupçonne l’une d’entre elles d’avoir poussé à la répression contre le groupe. « Je pense que c’était plus lié à ce que je disais sur Facebook et à ce que le groupe symbolisait en général. Bien sûr, ce n’était pas lié aux chansons. »

Aya Majzoub, chercheuse à Human Rights Watch pour le Liban, a affirmé à L’Orient Today, après avoir revu certains clips de l’épisode de Sarde: « C’est un indicateur vraiment accablant des libertés au Moyen-Orient que le groupe Mashrou’ Leila, de renommée internationale et de premier plan, ait cité les facteurs de stress dû au travail comme raison pour arrêter de produire de la musique. » Elle a ajouté : « À de multiples reprises au cours des dernières années, nous avons vu les autorités libanaises ne prendre aucune mesure pour protéger les membres du groupe des menaces violentes qu’ils recevaient sur les médias sociaux, mais elles ont agi très rapidement en réponse aux plaintes des autorités religieuses et d’autres groupes puissants pour faire taire le groupe. »

Hamed Sinno a également donné les raisons pour lesquelles il s’est longtemps tu. « À l’époque, ce n’était pas le moment, a-t-il déclaré. J’avais peur de dire quelque chose qui pourrait éventuellement nuire aux gars parce que j’étais aux États-Unis et qu’eux étaient au Liban. » Cependant, il a souligné devant les hôtes de Sarde qu’il se sent maintenant libre de dire que « même s’ils insultaient une religion, et alors »...

« Vous avez le droit de croire en ce que vous voulez et de vivre comme vous l’entendez, mais vous n’avez pas le droit de me forcer à vivre selon votre religion. Je peux critiquer cela, a conclu Hamed Sinno. La religion est un attachement culturel. C’est un choix. »

Cet article est paru dans sa version originale anglophone dans l’édition du 14 septembre courant de « L’Orient Today ».

L’annonce a été faite dimanche soir, alors que Hamed Sinno, leader du groupe Mashrou’ Leila, était l’invité du podcast libanais Sarde After Dinner, conçu et présenté par Médéa Azouri et Mouïn Jaber. « Le projet est-il terminé ? » avait demandé de but en blanc Azouri. Le chanteur ouvertement homosexuel, récemment de passage à Beyrouth après avoir terminé sa...

commentaires (5)

"Que celui qui n'a jamais pêché jette la première pierre." Qu'un groupe comme Mashrou3 Leila soit la cible de la bande d'incultes qui n'ont même pas lu ou compris leur propre livre, passe encore, mais l'eglise maronite ? Cette église se range une fois de plus du mauvais côté de l'histoire. Elle ferait mieux de se concentrer sur le nettoyage de ses rangs des pédophiles qu'elle protège. Courage et soutien aux membres de Mashrou3 Layla.

K1000

00 h 04, le 16 septembre 2022

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Commentaires (5)

  • "Que celui qui n'a jamais pêché jette la première pierre." Qu'un groupe comme Mashrou3 Leila soit la cible de la bande d'incultes qui n'ont même pas lu ou compris leur propre livre, passe encore, mais l'eglise maronite ? Cette église se range une fois de plus du mauvais côté de l'histoire. Elle ferait mieux de se concentrer sur le nettoyage de ses rangs des pédophiles qu'elle protège. Courage et soutien aux membres de Mashrou3 Layla.

    K1000

    00 h 04, le 16 septembre 2022

  • C’est absolument sidérant et ahurissant de voir une partie du peuple de ce monde dans lequel les guerres, la pauvreté, l’injustice, les maladies et pandémies font rage se focalisent et déversent leur haine et leurs frustrations sur une bande de jeunes beaux, intelligents, talentueux honnêtes et inoffensifs et dont leur seul tort est de ne pas leur ressembler ou simplement à cause de leur orientation sexuelle qu’ils n’ont pas choisie. Ces gens là feraient mieux de s’investir pour combattre les voleurs, corrompus, envahisseurs tortionnaires , assassins des innocents et les voleurs de leurs rêves et de leurs vies depuis plus de quarante ans au lieu de se défouler sur des panneaux en fleurs qui représentent un symbole qui leur déplaît et qui de toute façon ne changerait pas le cours de leur vie misérable et croissant dû à leur lâcheté de lutter contre leurs vrais ennemis qui ne cessent de leur rendre la vie impossible. Pour conclure occupez-vous donc de vos fesses et défendez votre peau au lieu de vous mêler de la vie des autres qui ne demandent qu’à s’exprimer et vivre pacifiquement. Médéa Azouri, son talent journalistique, sa loyauté et son style incisif manquent à ce journal tout comme Gaby Nasr d’ailleurs qu’on n’a plus le bonheur de lire les vendredis.

    Sissi zayyat

    12 h 34, le 15 septembre 2022

  • de la sous-culture qui balance un tas d'insulte dans toutes les directions sous couvert d"art". Et oui ! ils ont gravement -et gratuitement- insulté le Christianisme puis ont été pleurnicher partout ou il y'avait un micro. Typique LGBTQ ! l'OLJ a quand meme l'honneteté journalistique qu'aucune violence ne leur a été faite au Liban. Bon debarras.

    Lebinlon

    09 h 27, le 15 septembre 2022

  • Ce ne sont quand même pas les Beatles…

    LeRougeEtLeNoir

    02 h 25, le 15 septembre 2022

  • Je suis complètement d’accord. Et je trouve abject que les autorités religieuses (surtout chrétiennes) s’acharner sur ce groupe! N’est-ce pas le Pape lui-même qui a dit: qui suis-je our condamner l’homosexualité? C’est Dieu qui condamne et pas l’homme!

    Karim Yazbek

    00 h 53, le 15 septembre 2022

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