Le patriarche maronite Béchara Raï a pointé du doigt dimanche le ministre sortant des Finances Youssef Khalil, l'accusant d'être la cause de la suspension, depuis plusieurs mois, de l'enquête sur l'horrible explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, qui a fauché plus de 220 vies, blessé plus de 6.500 personnes et traumatisé à jamais un Liban déjà exsangue du fait de la crise économique. À cause du ministre Khalil, qui n'a pas signé un décret de nominations judiciaires qui permettrait de relancer l'enquête, suspendue depuis des mois, le juge d'instruction en charge de ce dossier Tarek Bitar, "a les mains liées", a dénoncé Mgr Raï.
Des accusations dont le ministère des Finances s'est rapidement défendu en indiquant que ledit décret "a été renvoyé depuis près d'un mois aux autorités judiciaires compétentes pour corriger son déséquilibre et ses ambiguïtés".
L'accusation du patriarche a été lancée alors que l'enquête fait l'objet d'une vive polémique depuis une décision prise mardi dernier par le Conseil supérieur de la magistrature de nommer un juge d'instruction suppléant dans ce dossier.
Des proches de victimes du drame du 4 Août voient cette initiative comme une nouvelle ingérence politique dans une enquête déjà bloquée de toutes parts. La décision avait été prise après une réunion entre les membres du CSM et des députés du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), dont est proche un des détenus, l'ex-directeur général des douanes, Badri Daher.
Méfiance et politisation
Le patriarche a dans ce cadre critiqué le manque de confiance entre les Libanais et les autorités "qui mène à douter de toutes les intentions et à politiser chaque décision", en allusion à la réaction du ministre sortant de la Justice, Henri Khoury, qui avait accusé les familles des victimes manifestant devant son domicile mercredi soir d'être "à la solde des ambassades" et payées par d'autres parties politiques.
"La méfiance et la politisation conduisent à l'obstruction", a déploré le prélat lors de son homélie dominicale au siège estival du patriarcat à Dimane (Liban-Nord), avant de déplorer le fait que les partis et groupes politiques vivent "dans une atmosphère de haine et de malveillance" et que chaque opinion, "même objective, est considérée comme douteuse et politisée".
"Tout le monde sait que le juge Tarek Bitar reste à son poste et à la tête de l'instruction sur l'explosion, mais qu'il a les mains liées à cause du refus du ministre des Finances de signer les décrets de nominations judiciaires", a affirmé le chef de l'Église maronite. Youssef Khalil, proche du président du Parlement Nabih Berry, doit signer ce décret qui permettrait de nommer plusieurs membres de l'Assemblée générale de la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire chargée notamment d'examiner tous les recours lancés contre le magistrat Bitar par les responsables politiques concernés par l'instruction, notamment les anciens ministres et députés Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, membres du mouvement Amal de Nabih Berry. Le ministre avait refusé de signer le décret qui, selon lui, ne respecte pas l'équilibre confessionnel.
"La proposition du ministre de la Justice de nommer un suppléant au juge d'instruction n'influence pas les prérogatives du juge Bitar", a-t-il ajouté. Estimant qu'il est du droit des personnes incarcérées depuis deux ans dans le cadre de l'enquête d'être libérées, il a insisté sur le fait que cela ne peut pas être effectué "parce que Tarek Bitar a les mains liées", et non parce qu'il ne veut pas se pencher sur le sort de ces détenus. Le patriarche a dès lors proposé de prendre l'avis des anciens présidents du CSM sur cette question afin d'adopter une décision qui "rassurerait les familles des victimes".
Dans l'après-midi, le ministère des Finances a répondu aux attaques du prélat : "Le projet de décret de nominations des membres des chambres de la Cour de cassation a été renvoyé il y a près d'un mois par le ministère des Finances sur base d'une note du ministère de la Justice, aux autorités judiciaires compétentes pour corriger son déséquilibre et ses ambiguïtés", a réagi le ministère.
Critiques de Mgr Audi
Le métropolite grec-orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, a également critiqué la décision du CSM et du ministre Khoury lors de son homélie : "Plutôt que de nommer un juge suppléant, ne faudrait-il pas plutôt poursuivre le travail du juge initial ? Il est douloureux et scandaleux d'obstruer le travail initial et d'introduire un suppléant", a-t-il affirmé dimanche. "C'est comme s'ils négligeaient l'esprit des gens, la douleur des blessés et des familles de victimes. Peut-on tolérer l'absence de vérité plus de deux ans après l'explosion qui a fauché la vie des gens et l'âme de la capitale ?", a-t-il demandé.
Président issu d'un milieu "indépendant"
Le chef de l'Église maronite a par ailleurs abordé l'élection présidentielle à venir, alors que le Liban est entré depuis le premier du mois en période électorale : le Parlement doit se réunir pour élire un successeur à Michel Aoun, dont le mandat prend fin le 31 octobre.
"Nous refusons que le pays soit paralysé, qu'un gouvernement ne soit pas formé, que l'on empêche l'élection d'un nouveau président et que l'on impose une vacance présidentielle", a dans ce cadre lancé Mgr Raï, qui a à plusieurs reprises ces dernières semaines détaillé les caractéristiques de son président idéal : un candidat qui ne soit pas de confrontation, mais qui ne soit pas non plus issu du camp du Hezbollah pro-Iran, cible favorite des critiques de Bkerké. Il a dans ce cadre à nouveau réclamé que le futur chef de l'Etat soit issu "d'un milieu national et indépendant".
Le Patriarche est courageux certainement tout comme l’OLJ est un trouillard …
21 h 32, le 11 septembre 2022