Critiques littéraires Critique

Alexandrie, le génie d’une ville

Une exposition itinérante retrace l’histoire de l’ancienne capitale de l’Égypte, des origines à nos jours, accompagnée d’un catalogue* où figurent aussi des œuvres d’artistes arabes contemporains.

Alexandrie, le génie d’une ville

D.R.

Alexandrie est née en 333 av. J.-C., à l’emplacement du village de Rhakôtis, à l’extrémité nord-ouest du delta du Nil, sur une bande de terre entre la Méditerranée et le lac Mariout, bien loin des anciennes capitales de l’Égypte des Pharaons et en rupture avec elle. De la volonté d’un homme, le roi de Macédoine Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), qui avait déjà conquis une partie de l’Asie mineure, dont la Phénicie, et ne comptait pas s’arrêter là : sa folle quête le conduira jusqu’en Inde, sur les rives de l’Indus, atteintes en -326.

Comme tous les conquérants, Alexandre, homme de guerre mais aussi lettré instruit par le philosophe Aristote, de surcroît colérique et porté sur la boisson, était capable des pires violences et destructions : Thèbes en Grèce, Tyr en Phénicie, Persépolis en Perse en firent les frais pour lui avoir résisté. Mais il se voulait également bâtisseur, fondateur de villes, des Alexandries, une quinzaine environ, de l’Égypte jusqu’en Bactriane, dans l’actuel Afghanistan. Le Macédonien était animé par un double rêve. L’immortalité : laisser son nom dans l’histoire de la manière la plus pérenne qui soit, à travers une ville destinée à lui survivre pour les siècles des siècles, alors que son Empire, comme tous les empires, était voué à disparaître avec lui. À sa mort, l’immense territoire qu’il possédait, du nord de la Grèce jusqu’à l’Inde, fut morcelé entre ses différents généraux. C’est ainsi que l’Égypte échut à Ptolémée, fondateur de la dynastie lagide, avec Alexandrie pour capitale, où mourut, en 30 av. J.-C., l’illustre Cléopâtre VII, dernière reine d’un pays devenu simple province de l’Empire romain. Mais Alexandre, en semant de villes nouvelles l’itinéraire de son épopée, nourrissait un autre rêve, visionnaire : réaliser la fusion de deux mondes, l’Occident et l’Orient, en une seule civilisation, multiethnique, pluriculturelle, polythéiste, et, de facto, pacifiée. Ce qui n’allait pas de soi et suscita des oppositions, en premier lieu chez ses compatriotes, rudes guerriers des montagnes grecques effarouchés par le luxe inouï et la licence de mœurs qu’ils découvraient chez leurs hôtes conquis. Alexandre donna l’exemple en épousant, en secondes noces, en -324 à Suse, deux princesses achéménides, dont Satira, l’une des filles de Darius, qu’il avait vaincu en -330. Il n’eût pas le temps de voir les effets de ces mariages mixtes, ni le résultat de ce crossover culturel : l’art « gréco-bouddhique » du Gandhara, qui fascina tant André Malraux.

Napoléon Bonaparte, dans une certaine mesure, reprit à son compte le rêve d’Alexandre, d’où sa campagne d’Égypte de 1798-1801, conçue comme une étape sur la route des Indes. Mais les Anglais et les événements ne lui ont pas laissé le temps de persévérer.

Alexandrie, elle, fut et demeure, dans une certaine mesure, la grande réussite de cette idée. Une ville dotée de monuments exceptionnels, de merveilles du monde antique – la Bibliothèque, le Phare, le Musée, de temples vénérés (un Serapeum notamment) –, vivante, active, intellectuelle, avec bientôt son million d’habitants de toutes races, origines et religions. Cette tradition a perduré jusque dans les années 1950 et le coup d’État de Nasser. Ensuite, le nationalisme et l’intégrisme firent de la ville ce qu’elle est devenue aujourd’hui, une belle endormie secouée régulièrement par des violences. Mais la vieille Alexandrie possède encore bien du charme, et ses sites antiques n’ont pas livré tous leurs mystères : par exemple, on n’a jamais retrouvé le tombeau de Cléopâtre. Quant à celui d’Alexandre le Grand, il a disparu on ne sait trop quand. Jules César, Marc Antoine ou Trajan s’y sont rendus en pèlerinage. Depuis, mystère ! Mais le célèbre archéologue français Jean-Yves Empereur, qui a voué sa vie à Alexandrie, ne désespère pas de les trouver un jour.

Cette histoire unique au monde d’une ville d’exception vient d’être reconstituée dans une exposition itinérante, Alexandrie futurs antérieurs, présentée actuellement à Bozar Bruxelles (jusqu’au 8 janvier 2023). Elle viendra ensuite à Marseille, au Mucem, du 8 février au 8 mai 2023. L’exposition, assortie d’un catalogue, présente environ 200 œuvres issues des musées européens qui retracent l’histoire de la ville antique, de manière thématique (urbanisme, politique, religion, sciences…). Mais elle propose aussi l’intervention d’artistes contemporains, à travers une vingtaine d’œuvres, qui réinterprètent la cité, la questionnent par rapport à aujourd’hui. Parmi ces artistes, le peintre et poète égyptien Ahmed Morsi, né en 1930 à Alexandrie et qui vit aujourd’hui à New York, tente une fusion entre les deux univers, dans des tableaux étonnants, marqués par le surréalisme. La présence de la Méditerranée et d’une Alexandrie fantomatique y est récurrente. D’un roi grec du IVe siècle avant notre ère à un créateur du XXIe siècle, une vaste boucle est bouclée.

On aimerait que l’exposition vienne ensuite à Alexandrie et circule en Orient, pourquoi pas au Liban ?


*Alexandrie futurs antérieurs, sous la direction d’Arnaud Quertinmont, Actes Sud/ Fonds Mercator/ Bozar/ Mucem, 2022, 240 p.


Alexandrie est née en 333 av. J.-C., à l’emplacement du village de Rhakôtis, à l’extrémité nord-ouest du delta du Nil, sur une bande de terre entre la Méditerranée et le lac Mariout, bien loin des anciennes capitales de l’Égypte des Pharaons et en rupture avec elle. De la volonté d’un homme, le roi de Macédoine Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.), qui avait déjà conquis...

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