Rechercher
Rechercher

Idées - Commentaire

L’absence d’un « soft power » iranien efficace pourrait coûter cher à son influence régionale

L’absence d’un « soft power » iranien efficace pourrait coûter cher à son influence régionale

Des membres du Hachd al-Chaabi irakien prennent des selfies devant un monument portant l’épave de la voiture dans laquelle le général iranien Kassem Soleimani a été tué à Bagdad, en janvier 2022. Archives AFP

Le 1er août courant le quotidien al-Akhbar publiait un article au titre révélateur, évoquant « la bombe Sadr-Maliki ». Un choix de mots qui, pour une publication considérée comme proche du Hezbollah, trahit pour le moins une certaine inquiétude quant au risque de confrontation armée à venir entre les deux grands pôles chiites irakiens, dirigés respectivement par Moqtada al-Sadr et des personnalités chiites pro-Téhéran, dont l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki.

Dans un autre article du même périodique, le journaliste Hussein Ibrahim souligne que tout conflit entre ces groupes chiites ouvrirait la porte à de nombreux développements en Irak – et notamment un renforcement de la « situation séparatiste » au Kurdistan irakien, qui conduirait à une « normalisation avec Israël », ainsi qu’à une plus grande intervention de la Turquie et des pays du Golfe dans le pays par le biais d’« agents locaux ». En lisant entre les lignes, on peut en déduire que, du point de vue de l’auteur, un tel conflit interchiite conduirait à un affaiblissement des intérêts iraniens en Irak, au profit des puissances régionales antagonistes.

Retour de bâton

Pourtant, l’impasse Sadr-Maliki, qui a débuté après les élections parlementaires d’octobre dernier, résulte en partie des agissements de l’Iran dans le pays et notamment de la crainte des groupes pro-iraniens d’être écartés du futur gouvernement irakien. Certes, cette situation ne peut sans doute pas être imputable uniquement à l’Iran, étant donné les rivalités personnelles en jeu et le fait que Sadr, le principal adversaire des groupes pro-iraniens, entretient depuis longtemps des relations complexes avec Téhéran. Mais la réalité est que les intérêts iraniens ne seraient pas servis si ses alliés irakiens les plus loyaux étaient écartés d’un gouvernement qui repose sur le soutien des Kurdes et des sunnites, des communautés dont les agendas régionaux diffèrent – voire s’opposent – de ceux de l’Iran.

Lire aussi

Nucléaire iranien : l’optimisme de retour après des mois de blocage

Le Liban est au cœur de la stratégie régionale de l’Iran, dans la mesure où c’est là que les Iraniens ont compris pour la première fois les gains qui pouvaient être réalisés dans des sociétés arabes divisées selon des lignes politico-confessionnelles. Après avoir, joué sur les divisions confessionnelles libanaises pour transférer lentement le pouvoir à la communauté chiite à partir des années 1980, Téhéran a étendu cette approche, avec certaines variations, dans d’autres sociétés plurielles telles que l’Irak, le Yémen et la Syrie. Et même en l’absence de divisions tribales ou confessionnelles, comme dans les territoires palestiniens, la République islamique a exploité les divisions entre les factions locales pour se créer des opportunités profitables.

Pourtant, cette capacité iranienne a conduit à un paradoxe. Dans les États arabes où l’Iran a fait des progrès, il l’a fait en tirant parti de la discorde et de la violence intérieures. Être affilié à l’Iran signifie généralement être mis à genoux : dans les endroits où les Iraniens ont eu de l’influence, leurs alliés ont tracé un chemin fait de destruction et de pauvreté pour leurs sociétés. Si s’allier à l’Iran entraîne de telles souffrances, le projet régional néo-impérial de Téhéran pourra-t-il jamais devenir durable ? Les appareils de sécurité et de renseignement de l’Iran, et leurs alliés locaux dans les pays arabes, peuvent bien sûr intimider pour conserver le pouvoir, mais à un moment donné, cela ne fait que créer un plus grand ressentiment, conduisant à ce qui peut finalement être un dur retour de bâton.

L’histoire et les évolutions de la présence syrienne au Liban fournissent un parallèle intéressant à cet égard : pendant 29 ans, l’hégémonie syrienne semblait inattaquable, jusqu’à ce que soudainement, en février 2005, elle ne le soit plus. Depuis le retrait militaire syrien en avril de cette année-là, les alliés locaux de Damas ont vu leur pouvoir s’éroder régulièrement, jusqu’à ce que le soulèvement syrien accélère cette tendance. Personne ne regarde les années syriennes avec nostalgie, car la plupart des Libanais savent que ce que Damas a contribué à mettre en place et à défendre a été un long interrègne de corruption généralisée, de brutalité, de destruction de l’héritage constitutionnel du Liban et de soumission aux priorités syriennes. À bien y penser, cela ressemble assez à ce que l’Iran offre au Liban aujourd’hui.

Rendement limité

L’Iran ne semble pas particulièrement doué en matière de « soft power », qui est généralement défini comme la capacité d’influencer les autres sans recourir à la coercition. Et pourtant, comme l’ont écrit d’innombrables commentateurs, dont le créateur du concept, Joseph Nye Jr, le soft power peut être extrêmement efficace lorsqu’il s’agit de renforcer l’attrait des nations dominantes. Pour l’historien Niall Ferguson, le libéralisme politique et économique a été un aspect intrinsèquement positif de l’Empire britannique et lui a permis de survivre plus longtemps qu’il n’aurait pu le faire. L’écrivain américain Charles Paul Freund a soutenu que la culture populaire américaine a joué un rôle important dans l’affaiblissement de l’Union soviétique. Les institutions éducatives françaises, à leur tour, ont continué à jouer un rôle vital dans ses anciennes colonies et mandats, contribuant à maintenir l’influence française dans ces pays longtemps après la fin de leur contrôle direct.

Il est donc surprenant qu’un pays à l’histoire et à la culture aussi riches que l’Iran ait au contraire choisi de proposer comme message au monde une idéologie austère, basée notamment sur un militantisme armé perpétuel et une révolution islamique, qui a souvent dérivé vers le sectarisme chiite, comme lors du conflit syrien. Au Liban, par exemple, le principal soutien de l’Iran, Hassan Nasrallah, a maintes fois exprimé sa vision d’un pays qui deviendrait effectivement un «État-garnison», dans lequel le Hezbollah jouerait un rôle d’avant-garde dans la défense contre les menaces venues d’Israël, des États-Unis et d’autres ennemis potentiels de ce que l’on appelle « l’axe de la résistance ». Si de nombreux Libanais partagent l’hostilité du Hezbollah à l’égard d’Israël, ils ne veulent pas nécessairement être en première ligne dans cette bataille, et n’ont pas non plus envie de rompre leurs liens avec l’Occident.

Lire aussi

Quand un jeu vidéo iranien veut « sauver la liberté » aux États-Unis

Autrement dit, en termes d’attractivité, le message iranien offre un rendement limité : s’engager dans une guerre destructrice avec Israël au nom de l’Iran n’est guère une option à même de susciter l’engouement des masses arabes, que ce soit au Liban, à Gaza ou en Syrie. Plus alarmant encore, au Liban, la mainmise du Hezbollah sur l’État commence à inciter certains opposants du parti à envisager la partition du pays, en partant du principe que si l’on ne peut pas battre le Hezbollah, on peut au moins s’en séparer. Des réactions négatives similaires à l’égard de l’Iran existent en Irak, où les chiites qui protestent contre la politique de leur gouvernement ont été pris pour cible par des milices pro-iraniennes à plusieurs reprises.

À défaut de vouloir renforcer son pouvoir d’attraction idéologique, quel est le but ultime de l’Iran au Moyen-Orient ? S’il s’agit de créer une zone d’influence qui lui permettrait d’affirmer son importance régionale, cela est-il envisageable dans les pays arabes où de nombreuses personnes, dans certains cas des majorités, considèrent l’Iran comme une source majeure de leurs problèmes ?

Il se pourrait que les Iraniens, à ce stade, soient dans une phase d’expansion et qu’ils aient simplement choisi de profiter momentanément d’opportunités préjudiciables aux sociétés dans lesquelles ils opèrent. Dans cette optique, ils ne changeraient d’approche, en essayant d’attirer des segments plus larges des populations arabes, qu’une fois qu’ils auront consolidé leur autorité. Une telle approche peut sembler prometteuse, mais un régime théocratique qui vit encore dans le souvenir d’une révolution qui a eu lieu il y a près d’un demi-siècle n’est pas le mieux placé pour guider cet effort prospectif, et il ne l’a d’ailleurs pas fait chez lui. La désintégration sociale et économique frappe le monde arabe, et la plupart des jeunes de la région ne semblent intéressés que par l’amélioration de leurs conditions de vie.

À moins que l’Iran ne parvienne à développer sa puissance douce, à moins qu’il ne s’oriente vers une vision qui réponde aux véritables préoccupations d’une nouvelle génération d’Arabes, son hégémonie sur plusieurs sociétés arabes restera à la fois ténue et instable. Mais peut-être les Iraniens le savent-ils déjà, car s’adapter aux désirs de la région par le biais d’un modèle plus ouvert, plus séduisant, moins martial et qui séduit les jeunes générations pourrait à terme menacer le régime de Téhéran. En essayant de se préserver, ce régime pourrait en fait jeter les bases de l’échec de son projet au Moyen-Orient.

Le 1er août courant le quotidien al-Akhbar publiait un article au titre révélateur, évoquant « la bombe Sadr-Maliki ». Un choix de mots qui, pour une publication considérée comme proche du Hezbollah, trahit pour le moins une certaine inquiétude quant au risque de confrontation armée à venir entre les deux grands pôles chiites irakiens, dirigés respectivement par Moqtada...

commentaires (4)

L’Iran renoncera à sa stratégie de gouverner par la terreur en se servant de la religion comme appui, le jour où elle aura en face d’elle un peuple ouvert et avisé qui dirait NON à la tyrannie et à l’humiliation et se battrait pour la chasser de la région. Reste à savoir, quel pays trouverait le courage dans cette région déjà exténuée par des décennies de guerres et de violences pour franchir le pas. Ou alors une révolution du peuple iranien comme il sait bien la faire.

Sissi zayyat

11 h 41, le 20 août 2022

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • L’Iran renoncera à sa stratégie de gouverner par la terreur en se servant de la religion comme appui, le jour où elle aura en face d’elle un peuple ouvert et avisé qui dirait NON à la tyrannie et à l’humiliation et se battrait pour la chasser de la région. Reste à savoir, quel pays trouverait le courage dans cette région déjà exténuée par des décennies de guerres et de violences pour franchir le pas. Ou alors une révolution du peuple iranien comme il sait bien la faire.

    Sissi zayyat

    11 h 41, le 20 août 2022

  • Un souffle d’air frais sur l’ OLJ ! Certaines idées peuvent être discutées mais ça nous change de Mme Haddad…

    Prinzatour

    10 h 48, le 14 août 2022

  • And now, we need a hard power to get rid of them once for all before we get extinguished first !!

    Wow

    13 h 59, le 13 août 2022

  • Article tres interessant.

    Michel Trad

    08 h 32, le 13 août 2022

Retour en haut