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Moyen-Orient - Éclairage

Quand un jeu vidéo iranien veut « sauver la liberté » aux États-Unis

Les gardiens de la révolution lancent un « divertissement » informatique dont le but est de sauver George Floyd – homme noir américain tué par un policier blanc en mai 2020 – de la police. L’exploitation de cette tragédie par le régime suscite la colère et les rires jaunes de nombreux Iraniens.

Quand un jeu vidéo iranien veut  « sauver la liberté » aux États-Unis

Mohamed Reza Naghdi, commandant au sein des IRGC. Atta Kenare/AFP

Au cours du mois d’octobre, c’était la sortie du jeu vidéo américain Six Days in Fallujah qui avait défrayé la chronique et soulevé les indignations. En cause, la banalisation par le loisir – et en épousant le point de vue des marines – de l’opération Phantom Fury qui avait eu lieu du 7 novembre au 23 décembre 2004 et au cours de laquelle les forces armées US – dans le cadre de l’invasion de l’Irak – avaient traqué, maison par maison, des insurgés présumés dans ce fief de Saddam Hussein. Selon la Croix-Rouge, près de 800 civils avaient été tués au cours des combats tandis que plusieurs ONG locales avancent le nombre de 6 000.Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Téhéran de faire scandale, mais dans une moindre mesure. La branche paramilitaire des gardiens de la révolution iranienne (IRGC) – la milice Bassidj – a ainsi inauguré mardi le lancement d’un nouveau jeu mobile modestement intitulé Saving Freedom. L’objectif ? Sauver George Floyd de la police américaine. Le jeu contiendrait près de 30 niveaux dont la difficulté augmente progressivement, à travers des configurations de plus en plus hostiles au principal protagoniste.

Une initiative qui, sans surprise, apparaît aux yeux de ses pourfendeurs d’un goût pour le moins douteux puisqu’elle transforme en amusement et à des fins de propagande le meurtre à Minneapolis, le 25 mai 2020, d’un homme noir – en l’occurrence George Floyd – tué par un policier blanc. La tragédie avait à l’époque fait le tour du monde et marqué les esprits par sa puissance symbolique, en projetant sur le devant de la scène la persistance du racisme antinoir ainsi que la prégnance des violences policières aux États-Unis, et par ricochet dans d’autres démocraties occidentales.

« Mort à l’Amérique »
Le jeu Saving Freedom avait été suggéré le 23 septembre 2020 – à l’occasion de la seconde édition d’une compétition nationale en vue de produire du « contenu digital » pour la force Bassidj – par le coordinateur adjoint des IRGC, le commandant Mohammad Reza Naghdi, qui avait alors demandé aux programmeurs de logiciels au sein de la milice de concevoir le « divertissement » informatique. En Iran, la fonction de la force Bassidj est de réprimer fermement toute contestation et d’assurer l’application des règles liées à la morale islamique. Quant à Mohamed Reza Naghdi, il est notamment connu dans le pays pour avoir été à la tête d’un service de renseignements durant le mouvement étudiant de 1999, l’un des principaux cerveaux derrière l’attaque des dortoirs du 9 juillet. Dix ans plus tard, en 2009, l’homme dirige le Bassidj alors que le Mouvement vert – mobilisation populaire postélectorale inédite – est sévèrement écrasé.

« Le premier défi est de concevoir un jeu pour les téléphones mobiles et les ordinateurs intitulé Sauver George Floyd », avait déclaré M. Naghdi en septembre 2020, ajoutant que le but serait de « sauver le citoyen noir de la police américaine ». Plus qu’un jeu, il s’agit surtout d’un outil de soft power. « Le seul endroit qui reste à l’Amérique pour transformer ses défaites en victoires est internet », avait-il alors soutenu. « Le Mossad, la CIA et les services de renseignements sont derrière ces jeux psychologiques, pas les gens », avait-il précisé comme s’il s’agissait d’ancrer sa démarche dans le cadre d’un combat culturel en ligne contre Washington, en prenant soin de distinguer le pouvoir de la population, comme il est en somme souvent coutume de le faire en Occident vis-à-vis de Téhéran, en accusant le régime de crimes contre son peuple. « Les gens à l’intérieur des États-Unis crient “mort à l’Amérique” et brûlent le drapeau américain », avait poursuivi M. Naghdi.

Rires jaunes
Très vite après le meurtre de George Floyd, Téhéran s’était emparé du drame pour retourner contre Washington la rhétorique fondée sur les droits humains que la Maison-Blanche a coutume d’employer contre la République islamique, donnant à entendre des sorties iraniennes pour le moins ironiques étant donné le « tableau de chasse » de Téhéran en la matière. Les officiels du pays avaient ainsi condamné le meurtre, appelé à « l’arrêt urgent » de « l’effacement des Américains souffrants » dénoncé le « profilage racial meurtrier aux États-Unis » et exhorté les autorités à « rendre justice pour chaque cas ».

L’investissement de Téhéran dans cette affaire avait suscité la suspicion d’une partie des Iraniens, interloqués par l’organisation d’une petite cérémonie à Machhad pour commémorer la mémoire de George Floyd et soutenir le mouvement Black Lives Matter alors que les autorités avaient précédemment répondu par la répression aux manifestations visant à demander des comptes après le crash de l’avion ukrainien, abattu « par erreur » le 8 janvier 2020 par la défense nationale antiaérienne. Au moins 176 personnes avaient péri, des ressortissants nationaux en majorité. Avant de reconnaître la faute, le pouvoir s’était embourbé dans une communication chaotique, niant sa responsabilité durant trois jours avant de se rétracter et de présenter ses excuses à la population.

L’adoption d’une posture fondée sur la défense des peuples opprimées à travers internet et les jeux vidéo a d’ores et déjà suscité colère et rires jaunes parmi les opposants et les critiques du pouvoir. Car depuis janvier 2018, les autorités iraniennes se sont illustrées par la brutalité de leur réponse face aux manifestations récurrentes qui s’emparent du pays. L’une des formes les plus aiguës de cette répression avait abouti en novembre 2019 à la mort d’au moins 304 personnes selon Amnesty International. Le pays figure en outre à la 174e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières cette année. En 2020, l’Iran caracolait à la deuxième place du classement mondial des États appliquant la peine de mort avec, toujours selon Amnesty, près de 246 exécutions enregistrées. Exemple parmi d’autres, un tweet estime sous un article relatant le lancement du jeu qu’il faut aussi « créer un jeu avec pour titre Sauver les jeunes gens de ce pays des mains des Bassidj et des IRGC ».

Au cours du mois d’octobre, c’était la sortie du jeu vidéo américain Six Days in Fallujah qui avait défrayé la chronique et soulevé les indignations. En cause, la banalisation par le loisir – et en épousant le point de vue des marines – de l’opération Phantom Fury qui avait eu lieu du 7 novembre au 23 décembre 2004 et au cours de laquelle les forces armées US – dans le cadre...

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