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Société - Crise

Files interminables et querelles devant les boulangeries

L’exaspération d’une population excédée par cette nouvelle pénurie donne lieu à des scènes violentes et parfois des accusations contre des ressortissants syriens.

Files interminables et querelles devant les boulangeries

Une photo prise à Qab Élias hier en matinée. Photo fournie par Sarah Abdallah

Dans la longue liste des pénuries de produits subventionnés depuis deux ans, celle du pain donne lieu aux mêmes files interminables devant les boulangeries que celles qui bloquaient les routes devant les stations d’essence durant l’été 2021. Plus encore que pour le carburant, le manque de pain, denrée essentielle par excellence, exaspère la population dans les différentes régions libanaises. Une vidéo circule sur les réseaux sociaux sur laquelle on voit des jeunes entrer dans une boulangerie de la Békaa, qui fermait manifestement ses portes aux clients, et la dévaster totalement. Partout, les problèmes se multiplient, et les réfugiés syriens sont souvent la cible d’accusations de trafic de pain au marché noir.

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Le blé servant à confectionner le pain blanc ordinaire est toujours subventionné par l’État. Ce système de subventions, instauré par la Banque du Liban dès le début de la crise financière, permet à la filière d’importer cette denrée essentielle grâce à un financement en devises au taux officiel (1 507,5 livres le dollar) à 100 % depuis le printemps 2021, et non au taux du marché parallèle (autour de 29 500 livres ces derniers jours). La crise du pain actuelle fait craindre à beaucoup que celle-ci ne soit un prélude à une levée des subventions, ce qui ferait graviter le prix du paquet (actuellement à 16 000 LL) autour de 30 à 35 000 LL. Le ministre de l’Économie Amine Salam a démenti mardi soir à L’Orient-Le Jour toute information autour de la levée des subventions. Il a même assuré, dans une conférence de presse, qu’une éclaircie est attendue « d’ici à la fin de la semaine », avec l’arrivée au Liban de quelque 50 000 tonnes de blé.

Une file d’attente interminable devant une boulangerie à Saïda. Photo fournie par Mountasser Abdallah

Entre-temps, dans la Békaa, plusieurs incidents ont été constatés devant les boulangeries, notamment à Ksara, Qab Élias et Taalabaya. À titre d’exemple, une grande dispute a éclaté à Qab Élias devant l’une des boulangeries, sur fond d’accès au pain disponible, et a dégénéré en coups de bâton entre plusieurs clients.

De folles rumeurs couraient hier dans la Békaa : selon certains, les boulangeries de la région devraient recevoir 80 tonnes de blé subventionné aujourd’hui. D’autres assurent que le prix du paquet va s’élever à l’équivalent d’un dollar et demi, donc environ 45 000 LL. « C’est dramatique parce que la consommation de pain a énormément augmenté dans la Békaa, depuis que la mankouché (galette au thym, aliment populaire par excellence) a tellement renchéri », affirme un jeune homme de Taalabaya qui a préféré rester anonyme.

La crise exacerbe, chez certains, le rejet des étrangers, notamment syriens. À Ksara, un habitant interrogé accuse « des ouvriers syriens de s’organiser, avec leurs proches, dès qu’ils savent que le pain sera disponible dans les boulangeries, afin d’acheter un maximum de paquets, alors que les habitants de la région attendent leur tour ». Cette personne tempère cependant, assurant que « ce sont des cas isolés, sachant qu’il y a des milliers de Syriens dans la Békaa ». Un habitant de Taalabaya dit à L’OLJ être « persuadé que le blé subventionné est emmené en contrebande en Syrie ». Il note que l’affaire a suscité un débat houleux entre Libanais et Syriens sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, une source sécuritaire locale nous assure que la contrebande vers la Syrie se pratique principalement au niveau de Ersal, où le paquet, acheté 16 000 LL au Liban, se vend à 25 000 LL au-delà des frontières. Le pain serait ainsi acheminé dans des camionnettes chargées d’environ 10 000 paquets et écoulé dans les villages syriens. Il en va de même pour le blé subventionné, puisque quelque 40 tonnes passeraient la frontière chaque jour au niveau de Houch Sayyed Ali, selon cette même source.

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Révoltées par cette nouvelle crise, une poignée de femmes de la Békaa ont pris l’initiative de fermer la place Nasser, à Baalbeck, avec des pneus et déchets brûlés. L’une d’elles assure que « les boulangeries monopolisent le pain dans la région, sachant que le paquet au marché parallèle est vendu à au moins 50 000 LL ».

Une poignée de femmes ont décidé hier de fermer une place à Baalbeck au lieu de faire la queue pour un paquet de pain. Photo fournie par Sarah Abdallah

Bousculée, harcelée…

À Saïda, la crise du pain donne lieu à des scènes saugrenues. Devant ce qu’on appelle « la boulangerie arabe », le personnel de l’établissement a dû séparer hommes et femmes dans les files d’attente. Samiha raconte à notre journal « être obligée tous les jours de faire la queue pour le pain, parce qu’(elle) a des enfants à nourrir ». « Je suis bousculée parfois, j’ai même été exposée au harcèlement… Nous sommes humiliés tous les jours », soupire-t-elle.

Comme pour d’autres crises, les Libanais tentent de faire face par l’adaptation ou même la ruse. Ainsi, certains réservent leur tour devant les boulangeries tôt le matin, d’autres demandent à plusieurs membres de leur famille de faire la queue afin d’obtenir le plus de paquets possible, parfois dans l’objectif de leur revente. Car la pénurie a donné naissance à un marché noir florissant (on se souvient qu’il l’a été également lors de la crise de l’essence en 2021). Celui-ci est de plus en plus visible à Saïda, et ceux qui préfèrent éviter les rassemblements payent le prix de contrebande. Ainsi, il n’est plus rare de voir des mobylettes garées dans les coins avec des caisses de paquets de pain prêts à être vendus au prix fort.

Ibrahim a fait l’expérience de l’achat du pain au marché noir. « J’étais dans une file d’attente devant une boulangerie, il y avait une vingtaine de personnes devant moi, raconte-t-il. Un jeune homme avec un accent syrien est venu me proposer des paquets. Je l’ai suivi derrière l’établissement où il m’a vendu trois paquets au prix de 30 000 LL l’un, alors qu’ils se vendent à 16 000 à la boulangerie. Mais cela m’était égal car j’avais besoin de nourrir mes petits-enfants. Je préfère payer plus plutôt que d’être humilié. »

Afif, lui, a déboursé 35 000 LL pour un paquet qui lui a été vendu par un jeune homme posté à quelques mètres d’une boulangerie, en vue de proposer ses services aux clients. Devant sa voisine, Oum Mohammad se vante de « n’être jamais restée dans une file d’attente, ni pour le pain ni pour l’essence ». « On me livre le paquet à la maison pour 40 000 LL », lance-t-elle fièrement.

Dans la longue liste des pénuries de produits subventionnés depuis deux ans, celle du pain donne lieu aux mêmes files interminables devant les boulangeries que celles qui bloquaient les routes devant les stations d’essence durant l’été 2021. Plus encore que pour le carburant, le manque de pain, denrée essentielle par excellence, exaspère la population dans les différentes régions...

commentaires (5)

Les libanais n’auront pas faim. Ça explique leur silence et leur manque de colère légitime pour se retourner contre leurs bourreaux. Ils bénéficient de l’aide de tous leurs enfants partis gagner leur vie ailleurs c’est leur assurance vie et comprennent qui veut ils seront toujours occupés à faire monter les enchères de toutes leurs denrées alimentaires et produits de première nécessité au grand bonheur des malfrats qui sont les seuls bénéficiaires de leur naïveté et de leur aveuglement. Plus un produit est cher et plus les libanais s’activent à le posséder c’est la course vers l’enfer promis mais assuré par un peuple qui a perdu la boussole.

Sissi zayyat

12 h 09, le 29 juillet 2022

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Commentaires (5)

  • Les libanais n’auront pas faim. Ça explique leur silence et leur manque de colère légitime pour se retourner contre leurs bourreaux. Ils bénéficient de l’aide de tous leurs enfants partis gagner leur vie ailleurs c’est leur assurance vie et comprennent qui veut ils seront toujours occupés à faire monter les enchères de toutes leurs denrées alimentaires et produits de première nécessité au grand bonheur des malfrats qui sont les seuls bénéficiaires de leur naïveté et de leur aveuglement. Plus un produit est cher et plus les libanais s’activent à le posséder c’est la course vers l’enfer promis mais assuré par un peuple qui a perdu la boussole.

    Sissi zayyat

    12 h 09, le 29 juillet 2022

  • Meme si le paquet de pain passe a 35000 les gens contineront de l'acheter sans probleme.c'est comme pour l'essence il y a autant de voitre qui circulent comme a l'ere de 20000 les 20Litres. Le constat est simple : il y a de l'argent beaucoup d'argent au Liban..

    kassem chady

    11 h 30, le 28 juillet 2022

  • nasroullah aurait du declarer /pouvoir vouloir importer aussi bien du fuel que de la farine.

    Gaby SIOUFI

    10 h 28, le 28 juillet 2022

  • Les queues pour le pain ! Voila a quoi nous ont reduit la canaille politichienne et les crapules bancaires. Et il se trouve encore des abrutis pour voter pour eux ?

    Michel Trad

    09 h 44, le 28 juillet 2022

  • Oui on ne peut plus ni nourrir les réfugiés Syriens ni supporter toute contrebande de notre pain libanais. Soyons tous solidaires libanais pour une fois.

    Antoine Sabbagha

    08 h 13, le 28 juillet 2022

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