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Moyen-Orient - Éclairage

Ankara en quête d’un feu vert russe et iranien dans le Nord syrien

Selon plusieurs médias locaux, des développements observés sur le terrain laissent penser que la Turquie et les forces qu’elle soutient se préparent activement à l’incursion annoncée par Erdogan dans le pays voisin.

Ankara en quête d’un feu vert russe et iranien dans le Nord syrien

Des combattants rebelles syriens soutenus par la Turquie défilent dans la province d’Alep, le 2 juillet 2022. Photo d’archives AFP

Près de deux mois après son annonce par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’opération militaire attendue dans le nord-ouest de la Syrie pour chasser les combattants pro-kurdes des localités de Manbij et de Tall Rifaat (gouvernorat d’Alep) pourrait se concrétiser très prochainement. Plusieurs médias locaux ont récemment fait état de développements sur le terrain, allant dans le sens d’une préparation active au combat des troupes turques et des groupes rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), soutenue par Ankara. « Dans le cadre du processus de mobilisation, l’ASL a déjà appelé ses soldats, attribué des responsabilités et préparé une opération militaire à venir, observe Ömer Özkizilcik, analyste de politique étrangère basé à Ankara. Les forces armées turques fournissent également une formation militaire à l’ASL et ont mené récemment quelques exercices conjoints ». Pour l’heure, les préparatifs militaires turcs seraient essentiellement « logistiques, avec le transport de fournitures, de carburant et d’armes pour être accessibles en cas de guerre », souligne pour sa part Nicholas Heras, chercheur au Newlines Institute for Strategy and Policy. Car le reis turc attend l’aval de ses partenaires russe et iranien pour agir, alors qu’un sommet tripartite entre les dirigeants des trois puissances doit se tenir aujourd’hui à Téhéran dans le cadre des pourparlers de paix d’Astana qui ont débuté en 2017.

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Depuis août 2016, Ankara a lancé trois opérations militaires dans le nord de la Syrie avec pour but affiché de chasser la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) – considérées comme une branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé terroriste par la Turquie – et de lutter contre le groupe État islamique. Dans la ligne de l’opération aérienne et terrestre turque entamée en avril dernier dans le nord de l’Irak en vue d’attaquer les bases du PKK, la nouvelle offensive annoncée par Recep Tayyip Erdogan en Syrie vise à prolonger, le long de la frontière entre les deux pays, la zone de sécurité de 30 km de profondeur conquise par Ankara lors de ses précédentes incursions. Début juin, Recep Tayyip Erdogan avait précisé que l’objectif était de « débarrasser Tall Rifaat et Manbij des terroristes ».

Mises en garde de Washington à Ankara

Alors que le sort de nombreux Syriens semble suspendu aux négociations d’aujourd’hui, les habitants des localités tenues par les forces kurdes dans le nord du pays, où Moscou dispose d’une présence, craignent pour le futur proche. « La peur est très présente parmi la population locale, à Kobané (gouvernorat d’Alep), à Aïn Issa (gouvernorat de Raqqa) ou encore à Abou Rasin (gouvernorat de Hassaké), tout le monde redoute une action militaire turque et de nouvelles vagues de déplacement », rapporte Zaïn el-Abidine, résidant de la campagne de Hassaké.

À une quinzaine de kilomètres de la frontière turque, Tall Rifaat, qui est sous le contrôle des Forces démocratiques syriennes (FDS, à majorité kurde) depuis 2016, revêt plusieurs avantages pour Ankara. Située entre Alep – contrôlée par le régime syrien – et les zones sous la coupe des forces pro-turques, « le nettoyage de cette enclave rendrait la vie dans le triangle Afrine-Azaz-Marea beaucoup plus sûre (aux yeux de la Turquie) », souligne Ömer Özkizilcik. Si les États-Unis ont réitéré à plusieurs reprises leur refus de voir les zones sous occupation des FDS, à l’est de l’Euphrate, prises pour cibles par Ankara, la Turquie considère « Tall Rifaat comme une cible-clé car les forces kurdes y sont vulnérables et dépendent de la bonne volonté du régime Assad et de la Russie, et non des Américains », fait valoir Nicholas Heras. Depuis mai, Washington met régulièrement Ankara en garde contre le risque qu’une opération déstabilise la région et freine la lutte antiterroriste menée contre l’EI aux côtés des FDS.

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Ces derniers jours, plusieurs rumeurs propagées par des médias syriens proches de l’opposition ont d’ailleurs suggéré que les forces de l’armée loyaliste syrienne se seraient retirées de Tall Rifaat. Des rapports non confirmés et peu crédibles, étant donné qu’aucune puissance sur le terrain n’aurait intérêt à se retirer avant le début des négociations pour ne pas affaiblir sa position. « Ce qui compte, c’est l’armée russe. Son retrait sera le signe ultime que l’opération aura lieu », insiste Ömer Özkizilcik. Face à la crainte d’une incursion militaire turque dans les prochains jours, le chef des FDS, Mazloum Abdi, a demandé vendredi dernier à Moscou et à Téhéran d’empêcher que l’incursion se produise et a exprimé l’espoir que les Kurdes « ne seront pas utilisés comme monnaie d’échange ». « La coordination entre l’armée syrienne et les FDS est excellente, explique Zaïn el-Abidine. La situation est dangereuse d’autant plus qu’il y a beaucoup de personnes recherchées par le régime qui vivent dans les territoires aux mains des FDS ».

Raviver le sentiment national

Si l’Iran et la Russie pourraient tenter lors du sommet d’aujourd’hui de dissuader la Turquie de mener une nouvelle opération dans le Nord syrien, Ankara pourrait de son côté offrir des concessions au Kremlin sur le dossier ukrainien en échange d’un feu vert en Syrie. Après avoir annoncé fin février la fermeture des détroits du Bosphore et des Dardanelles aux bâtiments de guerre, la Turquie a décidé fin avril de fermer son espace aérien aux avions russes en route vers la Syrie. « Moscou a donc d’énormes problèmes logistiques en Syrie et il sera difficile de maintenir une ligne opérationnelle en cas d’escalade, suggère Ömer Özkizilcik. Un accord pourrait être conclu avec l’aval du Kremlin en échange de l’ouverture de l’espace aérien et d’une réduction de l’aide militaire à l’Ukraine. »

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À moins d’un an des élections générales turques prévues en juin 2023, l’incursion annoncée par Ankara en Syrie est également un enjeu d’ordre domestique. En perte de vitesse dans les sondages, le président turc espère notamment raviver le sentiment national de l’électorat en insistant sur le retour des réfugiés syriens dans les zones libérées, c’est-à-dire celles échappant au contrôle du régime de Damas ou des milices kurdes. Une question essentielle pour une partie de la population turque, qui pointe régulièrement les réfugiés du doigt en les accusant d’être responsables de la crise économique que traverse le pays. Accentuant un tournant amorcé depuis près de trois ans dans sa politique d’accueil des réfugiés, le reïs a déclaré début mai qu’il préparait le rapatriement « volontaire » d’un million d’entre eux dans leur pays. À cet égard, l’un des objectifs de l’opération turque est de sécuriser une zone dans laquelle ces derniers pourraient s’installer.

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