L’envoi, samedi, par le Hezbollah de trois drones au-dessus du camp de Karish a suscité de nombreux commentaires, à la fois sur la scène libanaise et chez les Israéliens. Le Hezbollah suit attentivement toutes les réactions et se garde bien pour l’instant de faire des commentaires. Pour couper court aux rumeurs, il a publié un communiqué durant le week-end dans lequel il annonce son acte et précise qu’il s’agit de trois drones qui ne transportaient pas d’explosifs et qui étaient chargés d’une mission de reconnaissance et de collecte d’informations.
Au début, les médias israéliens ont annoncé que les trois drones avaient été interceptés et abattus par les défenses aériennes israéliennes, mais hier, il est apparu qu’en réalité, toujours selon les médias israéliens, un seul a été abattu, les deux autres n’ayant même pas été repérés par les radars. Le Hezbollah s’est bien gardé d’infirmer ou de confirmer l’information. Mais les milieux proches de la formation chiite se sont empressés de rappeler que le 18 février, un drone envoyé par la même partie avait survolé pendant plus de 40 minutes l’espace aérien israélien, allant jusqu’à une profondeur de 70 km, sans avoir été intercepté, et il est revenu intact à sa base.
Au fil des ans, le Hezbollah considère qu’il est passé maître dans l’art de mener une guerre psychologique aux Israéliens, en alternant les fuites et le silence au sujet de ses activités, mais aussi de ses moyens. Chaque fois qu’il franchit un cap dans sa confrontation avec l’État hébreu, il maintient le flou sur ses capacités et ses plans, donnant juste assez d’éléments pour susciter les interrogations et laissant les médias proches de lui donner des détails qui ne sont jamais confirmés officiellement.
Aujourd’hui, les questions qui se posent chez les Israéliens sont les suivantes : pourquoi le Hezbollah a-t-il choisi ce moment précis pour envoyer des drones au-dessus du champ de Karish, c’est-à-dire à 90 km de la côte libanaise ? Quel est le message qu’il a voulu délivrer ? Quelles sont les nouvelles armes dont il dispose, sachant que les drones n’étaient pas porteurs de charges explosives ? Les réponses ne peuvent pas être catégoriques en l’absence de déclaration officielle de la part du Hezbollah. Mais les sources proches de la formation expliquent que le moment a été choisi avec soin, alors que la réponse israélienne à la proposition libanaise concernant les négociations sur la frontière maritime a commencé à transparaître à travers les visites effectuées par l’ambassadrice des États-Unis au Liban, Dorothy Shea, auprès des responsables libanais et le coup de fil entre le vice-président de la Chambre, Élias Bou Saab, et l’émissaire américain chargé du dossier, Amos Hochstein. Le Liban officiel s’employait d’ailleurs à préparer une réponse diplomatique à la position israélienne considérée comme assez mitigée. C’est à ce moment précis que le Hezbollah a choisi d’agir en rappelant aux Israéliens l’équation lancée par son secrétaire général Hassan Nasrallah dans son dernier discours, lorsqu’il a dit que les Israéliens ne pourront pas commencer à extraire le gaz dans la zone conflictuelle tant que le Liban ne pourra pas le faire à son tour, ou au moins tant qu’il n’y a pas d’accord, puisqu’en réalité, les Israéliens sont beaucoup plus avancés dans le processus que le Liban et ils prévoient d’extraire du gaz de Karish à partir de septembre.
D’après les sources proches du Hezbollah, il ne s’agit pas tant d’empêcher les Israéliens d’extraire leur gaz que de permettre au Liban de commencer les travaux. Car, selon les informations ayant filtré de la position israélienne, il y aurait une volonté de l’État hébreu de laisser traîner les négociations sous divers prétextes, notamment l’absence de gouvernement en titre en Israël. À cet égard, les milieux proches du Hezbollah rappellent que, dans le passé, la période transitoire d’un gouvernement démissionnaire était le moment préféré des Israéliens pour lancer une attaque contre le Liban, sous prétexte que les responsabilités ne sont pas clairement définies. Or, aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit, puisque les Israéliens cherchent à gagner du temps dans les négociations pour mettre, en septembre, le Liban devant un fait accompli. De même, hier, les Israéliens ont déposé une plainte auprès de l’ONU, alors que généralement (jusqu’à la libération du Liban-Sud en 2000, et même après), c’était le Liban qui déposait les plaintes contre les violations israéliennes des résolutions 425, puis 1701. Pour les sources proches du Hezbollah, ce sont des signes qui ne trompent pas d’une crainte israélienne des agissements du Liban et du Hezbollah en particulier. Celui-ci affirme toujours se tenir derrière l’État dans les négociations. Ce qui ne l’empêche pas d’« aider », comme le disent ses sources, la position officielle en rappelant que le Liban veut lui aussi exploiter ses ressources.
Le Hezbollah a donc sciemment choisi ce moment précis pour affirmer qu’Israël ne devrait pas pouvoir poursuivre les travaux dans le champ de Karish tant que le conflit avec le Liban n’est pas tranché. Au sujet des armes dont il dispose, le parti chiite maintient un grand flou. Dans certains de ses discours, Hassan Nasrallah a laissé entendre que sa formation possède désormais des missiles de croisière précis et performants. Depuis 2006, lorsqu’il a utilisé pour la première fois un de ces missiles, il a eu le temps d’améliorer aussi bien ses équipements que ses performances. Les Israéliens craignent en fait qu’il ne possède désormais des missiles de croisière russes Yakhont, qui sont précis, non repérables et supersoniques, sans parler des missiles iraniens. Selon ses milieux, le Hezbollah a pris soin d’envoyer des drones non armés pour ne donner aucune indication précise au sujet de ses moyens, laissant les spécialistes israéliens à leurs supputations. Le Hezbollah s’est donc invité dans les négociations, sous prétexte d’aider la position officielle libanaise. Tout en fixant ce qui peut être considéré comme des lignes rouges, il a aussi montré une certaine souplesse en laissant entendre qu’il ne s’opposerait pas au processus si les droits du Liban sont préservés.
commentaires (6)
On parle toujours du Hezbollah et pas du gouvernement libanais, est ce que le Liban encore existe ?
Eleni Caridopoulou
19 h 17, le 05 juillet 2022