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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Canada, ma Josée et moi


Ça fait une mèche que je ne t’ai pas écrit, ma toutoune, alors, je me déguédine*. J’vais pas t’achaler avec nos histoires, mais c’est à perdre la boule par ici. Tu vas penser que je me fais toujours des montagnes avec rien ou que j’ambitionne sur le pain béni, mais nous sommes toujours mal pris. On s’arrache par ici ben raide… on a beau « s’astiner », on est toujours à la même place. On ne fait que bourrasser parce que, chez nous, c’est tout un chiard.

On commence à crier famine, chez nous. On est débinés. T’sais, avec nos bidous et nos piastres pris par les banques, on file tout croche et on se contente de boboches. On est tous abonnés gratos aux pénuries : pénurie de gazoline, pénurie d’eau, pénurie d’électricité, de médicaments, d’aliments, on a les pénuries toutes réunies, comme ça, d’un coup. Et pis, maudit que c’est cher.

Tout est cher, sauf notre vie, j’sais pas si, avec ces tactiques, ils ont décidé de nous enrayer de la carte. Ils nous ont enlevé nos économies, mais nos vies aussi !

J’sais pas où on s’en va. Et pourtant, nous n’étions pas nés pour du p’tit pain par « icit ». Beaucoup tirent le diable par la queue pour subsister. On dirait qu’ils ont mangé tout leur foin et traînent la misère avec eux. Quoi qu’ils fassent, ils récoltent plus de roches que de patates et se retrouvent plus pauvres que la galle. Ils se sont fait plumer, sont cassés comme un clou et, pis, cerise sur le gâteau, le bailli est passé et il a tout pris !

En attendant, mange nos bas. C’est vraiment le bout de la « marde ». Tu t’lèves et vlan, hausse du taux des piastres de l’Oncle Sam, mais dans la même journée, on t’annonce que ça s’est « amanché », je ne sais pas trop comment. Chez vous, vous aurez fait tout un plat d’enquêtes, vous aurez accouché de commissions de vérification. Vous aurez « bourrassé » haut et fort sans chier des briques et sans avoir peur. Chez vous, vous êtes intelligents, vous n’êtes pas tombés de la dernière averse. Nous autres, on devient épais comme des dictionnaires. On capote tellement qu’il commence à nous manquer des roues dans le cadran.

On est très insécure par ici, ma chouette. Tu peux te faire moucher à n’importe quel moment de la journée. J’ai beau pu faire mon innocente et ma courageuse, je sens la tension dans l’pays. Chez nous, on est pris par des guerres auxquelles je ne comprends pas grand-chose, on est coincé par l’intolérance, le fanatisme aveugle, la violence. Tu peux te faire sauter au nom de je ne sais quel Dieu.

Les jeunes ont tous « flyé ». Chez vous, vous vivez de jeunesse, de tolérance, du respect de la différence, Dieu est parmi vous. Chez nous, Il n’est plus là.

On a eu finalement les élections parlementaires. C’était la grosse fête. J’aurai tout vu : des élections paquetées, y en a toujours ceux qui se font graisser, d’autres qui revirent de capot. On s’est fait avoir en masse. C’est tous des épais écornifleurs qui montent sur les « hustings pour chier la » broue à pleine gueule. Des élections cousues de fil blanc. À chaque comptage de voix, on s’énervait le poil de la jambe. On voit bien que l’on s’est fait « amancher », on n’est pas mal « fru » de s’être fait avoir ! Aucune réunion parlementaire à date. Nos élus s’tournent les pouces. Alors, j’sais pas comment justifier leur jour de la sainte touche, leurs gros chars et leurs troupes de bouncers. Sans te parler de nos piastres qu’ils flambent alors que nous nous creusons les méninges pour nous serrer la ceinture. Ce n’est pas comme chez vous. Chez vous, tout est si « drette ».

Pour le cabinet ministériel, il faudrait attendre l’an 40 peut-être. Ils se vendraient tous pour un vieux dix cents percé. Chacun tire la couverture de son bord et nous, on se fait crosser en masse par des cabaleurs. Ils se fichent de nous. C’est tous des visages à deux faces, c’est des « p’tits criss » qu’il faudrait « dumper », mais on n’y arrive pas. Que veux-tu ?

Et ce n’est pas fini, on attend la présidentielle comme on attendrait le Messie. Chez vous, y a l’beau Justin. On me dit qu’il est smart, qu’il est fin, qu’il n’est pas tata. Il ne pète pas de la broue. Il ne flambe pas vos piastres pour des gogosses.

T’sais, nos amis syriens, ben les colons, campent toujours chez nous. Ce n’est pas de la petite bière, cette affaire. Ça nous met à bout de nerfs. La dernière ? Notre Premier ministre sortant, il « brette » son temps et il « bucke » pas à peu près. Il capote : il veut les crisser dehors tout « drette ». Il « bourrasse », il a son « calisse » de voyage ! Il a lâché un call aux représentants de la communauté internationale à coopérer avec le Liban pour bretter leur retour chez eux. ! Il pense que la communauté internationale se tordra le bras pour les « slaquer » !

« Coudonc », il pense que comme cela, il donnera l’ordre qu’il va « scorer. Il oublie qu’il faudra leur assurer des garanties sur les plans sécuritaire et social, sachant que le Liban respecte le principe de non-refoulement. La Convention de Genève, il ne connaît pas ! Ajoute encore les réfugiés palestiniens, alors, vois-tu, on en a plein les bras, je ne sais pas s’il nous restera une place chez nous.

Ça « bardasse » dans le pays. Tu me diras que ça n’a pas rapport, que vous en avez accueilli pas mal chez vous, Syriens, Afghans, Ukrainiens, que vous avez le cœur large, que vous êtes bons comme du bon pain de ménage. Mais chez vous, ce n’est pas comme chez nous. Et puis, chez vous, vous ne vous êtes pas fait payer large l’accueil de ces réfugiés, nous, on s’est rempli les poches. Chez vous, il y a des lois, des règlements, il y a de l’autorité. Chez nous, c’est le bordel tout court, on se laisse monter sur le dos. On n’a pas le système qu’il faut, tout est si « croche », alors, on capote ben raide. Chez vous, vous savez mettre les cordeaux, chez vous, il y a de l’espace, de l’ouvrage pour eux, chez nous, on est déjà assez tassés, comme des sardines dans une canne. Il ne faut pas nous en rajouter, on va finir par tomber en compotes, je te jure.

On a des « morons » qui se tuent pour faire « vnir » des touristes par « icit », c’est écœurant. Ils « botchent » les routes pour que les « tires » ne pètent pas ! Notre été sera chaud, très chaud, quoiqu’on n’a pas les touristes d’autrefois, t’sais, alors, on « zigonne ». Et puis, ces voyageurs sont innocents : Ah ! qu’il est chouette, le pays, qu’elles sont belles, nos montagnes, on dirait qu’ils sont venus visiter le paradis ! Je ne sais plus quel « wise », probablement bouché par les deux bouts, nous a crié que notre gazon demeure plus vert que chez le voisin. Alors, on se la ferme. Je ne comprends toujours rien chez nous, ni du devant ni du derrière. D’un côté, on bourrasse, on crie sa colère, on braille, mais d’un autre, il y en a qui ne veulent rien savoir, qui se prêtent les bretelles, qui s’en balancent et qui te jettent plein la vue. Ils appellent ça être positif, être brillant, moi, je trouve qu’ils sont niaiseux pas mal, ils ont perdu le sens des réalités, c’est tout. Ils ont l’air, mais pas la chanson… Chez vous, vous avez les yeux tout le tour de la tête, vous ne traînez pas de la patte. Vous vous faites des plans, vous ne racontez pas des contes à dormir debout. Vous menez le bal du début à la fin. Et puis, les plus beaux festivals, les fêtes, les restos, c’est pour tout le monde. Ici, c’est pour les gras durs, pour ceux qui « piètent » plus haut que leur trou.

Que veux-tu que je te dise, ma chouette. Il y a toujours ces agace-pissettes qui s’arrangent pour se faire griller. Elles passent leur temps à se faire chauffer la « couenne »… Le soir, elles s’habillent comme la chienne à Jacques. Elles ont les deux yeux dans le même trou, t’se ce que je veux dire. Elles pellettent des nuages à la journée longue, elles ont le temps de « tataouiner ». Elles vont « vedger » tout l’été et puis, l’hiver venu, elles vont hiberner ou dormir comme des marmottes… Ah ! ces femmes bien de chez nous : elles vivent de contes à dormir debout. Elles sont toutes relookées, déplissées, gommées au coton, fardées comme un arc-en-ciel, mais que veux-tu, elles vont toutes se faire ramasser, chaque torchon finit par trouver sa guenille. Chez vous, tu dois être matinale comme un réveille-matin pour aller rouler ta bosse, tu trimes dur, tu n’as pas le temps ni pour bretter ni pour « t’épivader », t’es pas plate, tu ne bayes pas aux corneilles, tu bûches, tu retrousses tes manches et tu tires ton bout...

Moi, je ne veux rien avoir avec toutes ces patentes, je risquerai de péter au frette et me ramasser à l’hôpital… Mais je voudrais tellement changer quatre, trente sous pour une piastre pour pouvoir recommencer ou du moins continuer !

Allez, ma Josée, je me suis éclatée en t’écrivant, histoire de me débourrer le crâne, mais je crois cailler. J’ai fait une journée de fou. Tu me connais, je ne sais pas rester en place, je travaille comme six. J’ai oublié de te dire bonne fête de la Saint-Jean, bonne fête du Canada, c’est pour cela que je t’écrivais d’ailleurs, vois-tu, je suis toujours « out of order » par ici… Je te dis « tourlou », à la prochaine.

*En hommage et en remerciements au Canada, mon pays d’accueil, ma lettre à mon amie Josée est écrite dans la langue de chez nous, le québécois.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ça fait une mèche que je ne t’ai pas écrit, ma toutoune, alors, je me déguédine*. J’vais pas t’achaler avec nos histoires, mais c’est à perdre la boule par ici. Tu vas penser que je me fais toujours des montagnes avec rien ou que j’ambitionne sur le pain béni, mais nous sommes toujours mal pris. On s’arrache par ici ben raide… on a beau « s’astiner », on est...

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