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Culture - Jeune talent

Bienvenue dans l’arrière-cuisine photographique de Laetitia el-Hakim

Cette artiste pluridisciplinaire promène sa caméra et son regard d’ethnologue dans les coins et les recoins de l’univers féminin pour concocter son grand œuvre intitulé « Domestica (f)/ Mythos/ Maga/ Femina ». Un ambitieux projet photographique en trois actes pour le développement duquel elle a obtenu la bourse « Focus Liban » du festival « Les femmes s’exposent ». Découverte.

Bienvenue dans l’arrière-cuisine photographique de Laetitia el-Hakim

« Table Set 01’ – Femina », photo tirée du projet « Domestica (f.) » signé Laetitia el-Hakim.

Elle fait partie de ces artistes libanais émergents dont le talent est repéré à l’étranger. Architecte (diplômée de l’USEK en 2017), photographe (NDU) et chorégraphe-danseuse au sein de la troupe de danse contemporaine al-Sarab Dance Company, Laetitia el-Hakim a plusieurs cordes à son arc, dont elle se sert dans sa pratique de plasticienne axée autour d’une photographie infusée de multidisciplinarité et de narration.

À 29 ans, la jeune femme a déjà à son actif des travaux qui explorent, « avec une perspective anthropologique, les dynamiques sociopolitiques qui affectent la façon dont le Liban et sa culture sont façonnés ». Le dernier en date intitulé Domestica (f)/ Mythos/ Maga/ Femina, issu de ses incessants questionnements sur l’univers féminin, ses mythes, ses rituels, ses épreuves et ses iniquités, pioche allégrement dans l’histoire, la mémoire, l’occulte et les traditions pour construire une œuvre photographique et performative où le visuel et le narratif s’entremêlent pour induire chez le spectateur une réflexion nouvelle sur la condition féminine.

Ce projet en trois volets (« trois actes », aime-t-elle spécifier) lui a valu en 2021 une résidence en France à Diaphane pôle photographique x Frac-Picardie, dans le cadre du programme Nafas lancé par l’Institut français. Un séjour au cours duquel elle a entamé le chapitre Mythos (Mythes) par un livre d’artiste. Lequel sera présenté avec les photos et performances du chapitre suivant Maga (Sorcière, en latin) à la galerie ArtLab à Beyrouth en octobre 2022 dans le cadre du programme « Catapult-Visual Arts » du British Council qui apporte son support aux talents prometteurs de la scène artistique libanaise. Et, jamais deux sans trois, la voici lauréate (parmi la quinzaine de candidates) de la bourse spéciale que le festival de photo « Les femmes s’exposent » a consacré cette année aux photographes libanaises. Une subvention monétaire qui l’aidera à développer le troisième chapitre Femina de ce grand œuvre photographique et à le présenter en juin 2023 dans le cadre de ce festival exclusivement dédié aux femmes photographes qui se tient chaque été à Houlgate en Normandie.

Laetitia el-Hakim capturée par la caméra de son complice et acolyte Tarek Haddad. Photos DR

Ce fameux cahier de recettes…

Née en 1993 à Byblos, Laetitia el-Hakim a grandi dans une maison pleine de livres et de photos, au sein d’une cellule familiale toujours favorable à ses projets de vie et ses ambitions. Et dans un milieu ouvert où les rôles traditionnels de la femme aux fourneaux et de l’homme ne mettant jamais les pieds en cuisine n’étaient pas de mise.

« Ma mère est documentaliste. Elle a toujours eu un instinct d’archivage qui lui faisait tout prendre en photo et tout noter, comme les recettes de cuisine qu’elle empruntait ici et là », raconte, dans un sourire, la jeune femme. « Ces recettes qu’elle inscrivait dans un carnet, elle en suivait les directives à la lettre quand elle cuisinait… occasionnellement. Car, même si elle a toujours été une maman formidable, la préparation des repas n’était pas son activité favorite. Et c’est son indifférence pour la cuisine qui a poussé mon père à s’en charger lui-même, de manière régulière, avec bonheur et sans l’aide d’aucun cahier de recettes », poursuit-elle.

Alors, quand sortie de son cocon elle découvre que les filles de sa génération n’évoluent pas toutes forcément dans un environnement aussi tolérant et respectueux de l’égalité des droits, Laetitia el-Hakim en éprouve un choc qui lui fait prendre conscience que ce qu’elle vivait comme une situation normale était en fait une sorte d’inversion des rôles prédominants dans notre société patriarcale. « À partir de là, je suis devenue féministe », confie la photographe, bientôt trentenaire, qui précise aussitôt : « Mais mon féminisme n’est pas agressif et dirigé contre les hommes. Il s’exprime surtout dans mon travail artistique à travers des œuvres qui visent à sensibiliser le plus misogyne d’entre eux à l’injustice de la condition féminine. » Voilà, le topo est posé.

Il n’était donc pas étonnant que ce soit elle qui décroche la bourse du festival « Les femmes s’exposent ». D’autant que pour sa cinquième édition, ce festival dédié à la valorisation des travaux des femmes photographes a choisi de mettre à l’honneur « le pays du Cèdre et sa résilience » à travers un Focus Liban comprenant des expositions consacrées à des photographes libanaises ainsi que cette subvention de projet offerte à l’une d’entre elles.

Sélectionné parmi la quinzaine de travaux présentés par ses condisciples et compatriotes, le Domestica (f)/ Mythos/ Maga/ Femina de Laetitia el-Hakim bénéficiera d’un soutien financier et d’une exposition programmée dans l’édition 2023 du festival de photo normand.

… Un jour de confinement

L’idée de ce projet – qui a séduit le jury par « la poésie qui se dégage de cette œuvre qui interroge les rôles féminins dans une société extrêmement codée » – est née un jour en plein confinement dans la cuisine familiale. « J’observais ma mère qui préparait un plat en suivant comme toujours les instructions de son cahier de recettes. Et je me faisais la remarque que mon père ne s’embarrasse jamais de ces contraintes en cuisinant. Et là, j’ai eu le déclic. Pourquoi les femmes sont-elles (ou se sentent-elles) toujours obligées de suivre les consignes, alors que les hommes agissent, eux, librement ? me suis-je demandé. Et c’est à partir de ce rapport inversé de mes parents à la cuisine, devenu une sorte de métaphore de la façon dont les règles et les règlements nous sont imposés, en tant que femmes dans le monde arabe, que j’ai décidé de construire cette œuvre sur la féminité qui me trottait en tête depuis longtemps », révèle la jeune artiste.

De la domestication des femmes

De là est donc née l’idée de ce travail qui dresse une comparaison entre le travail domestique et la domestication… des femmes. « Car la domestication (du latin Domus qui signifie maison) est l’action que l’homme exerce sur les animaux ou les plantes. En se les appropriant ou en les utilisant pour son plaisir ou la satisfaction de ses besoins, il les transforme », explique Laetitia el-Hakim. Poursuivant : « Au Liban, les femmes sont toujours considérées comme des citoyens de seconde zone. Elles se battent encore pour l’obtention de certains de leurs droits les plus élémentaires : droit de garde des enfants, droit de donner la nationalité libanaise à leur progéniture, droit à l’avortement, droit de poursuivre leurs études parfois aussi… Les lois les protégeant et garantissant leur intégrité morale et physique sont souvent négligées ou ignorées au profit du statu quo actuel », dénonce-t-elle d’un ton enflammé.

Avant de reprendre : « Il y a beaucoup de façons de prendre des photos et d’approcher la photo. Ma démarche vise essentiellement à poser des questions sur la domestication du corps de la femme, du savoir féminin et de son être tout entier. » Un questionnement ethnologique donc saupoudré de pas mal de fiction, d’un zeste de pensée magique et d’un soupçon de fantastique… Autant d’ingrédients qui composent, semble-t-il, la recette de l’univers poétique et pensé tout à la fois de Laetitia el-Hakim. Un talent à suivre, assurément.

Un Focus Liban au sein du festival de photo de Houlgate

Outre la subvention spéciale que Laetitia el-Hakim a décrochée, le festival de photo de Houlgate « Les femmes s’exposent », qui en est à sa cinquième édition, a choisi de mettre à l’honneur cette année le Liban et sa résilience à travers 4 expositions consacrées à 4 photographes libanaises, respectivement : Ieva Saudargaité Douaihy invitée également en résidence, Manu Ferneini, Rima Maroun et Laura Menassa, ainsi qu’une soirée de projection présentant les travaux d’une sélection de femmes photographes libanaises dont Aline Manoukian, Myriam Boulos, Michèle Aoun ou encore Lara Chahine…

Elle fait partie de ces artistes libanais émergents dont le talent est repéré à l’étranger. Architecte (diplômée de l’USEK en 2017), photographe (NDU) et chorégraphe-danseuse au sein de la troupe de danse contemporaine al-Sarab Dance Company, Laetitia el-Hakim a plusieurs cordes à son arc, dont elle se sert dans sa pratique de plasticienne axée autour d’une photographie infusée...

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