Nagib Mikati entrera aujourd’hui dans le vif du sujet. Le Premier ministre désigné va tenir des consultations parlementaires non contraignantes avec les diverses composantes de la Chambre, place de l’Étoile, avant de s’atteler à la tâche de former un gouvernement. Un processus qui semble osciller entre le remaniement ministériel et le renouveau total. Sauf que plusieurs acteurs politiques n’ont pas attendu cet exercice de pure forme qui se déroulera aujourd’hui et demain au Parlement. Ils ont d’ores et déjà posé leurs conditions, liées aussi bien à la nature qu’à la composition de la future équipe qui doit par la suite être soumise au vote de confiance au Parlement. Théoriquement, celle-ci devrait avoir une durée de vie de quelques mois, jusqu’à l’élection, avant fin octobre, d’un nouveau président de la République. Mais en cas de vacance au niveau de la magistrature suprême, le gouvernement Mikati IV pourrait gérer le pays jusqu’à l’élection d’un nouveau chef de l’État. D’où les minutieux calculs qu’effectuent plusieurs partis et qui pourraient, une fois n’est pas coutume, compliquer les choses pour le Premier ministre désigné.
Ce dernier avait toutefois déjà donné le ton. Dans un entretien accordé à la veille de sa désignation au quotidien Nidaa el-Watan, il a évoqué la possibilité d’apporter quelques modifications à la composition de son équipe actuellement chargée de gérer les affaires courantes. Une façon pour lui d’accélérer le processus ministériel à l’heure où le pays a besoin de se doter d’un cabinet de plein pouvoir le plus rapidement possible. Mais aussi de se libérer des desiderata des uns et des autres. Selon notre chroniqueur politique Mounir Rabih, le chef du gouvernement désigné envisagerait de remplacer Abdallah Bou Habib (proche de la présidence) à la tête du ministère des Affaires étrangères ainsi qu’Amine Salam à l’Économie. Il pourrait également nommer un nouveau ministre de l’Énergie à la place de Walid Fayad, réputé proche du Courant patriotique libre qui détient ce portefeuille depuis 2008. Une guerre de communiqués avait éclaté il y a quelques semaines entre MM. Mikati et Fayad, avec en toile de fond le dossier de l’électricité. Depuis, cette question épineuse est au centre d’un bras de fer opposant le Premier ministre désigné au chef du CPL Gebran Bassil. S’exprimant à l’issue des consultations du groupe parlementaire aouniste avec le président de la République, jeudi dernier à Baabda, M. Bassil a demandé que la réforme de ce secteur soit à l’agenda du prochain cabinet. La réponse du milliardaire tripolitain n’a pas tardé. Dans le premier discours après sa nomination, il a indiqué vouloir faire passer les réformes de l’électricité « en apprenant des expériences du passé plutôt que de les répéter ». Pour le moment, même s’il ne lui a pas accordé son vote, le parti orange ne semble pas vouloir polémiquer avec Nagib Mikati. Il s’oppose toutefois à un remaniement de l’équipe ministérielle sortante. « Apporter du changement à quelques ministères ne nous convient pas », déclare à L’Orient-Le Jour Georges Atallah, député CPL du Koura. « Nous voulons qu’un gouvernement soit formé et réponde à nos demandes, notamment le limogeage du gouverneur de la Banque du Liban et la restructuration du secteur bancaire », insiste-t-il, précisant que le groupe aouniste se réunira avant de s’entretenir avec M. Mikati, demain après-midi.
De même, le groupe parlementaire des Forces libanaises définira sa position finale dans les prochaines heures avant de se rendre au Parlement pour les consultations non contraignantes. Les grandes lignes de la position du parti de Samir Geagea sont toutefois connues. La formation, qui à l’instar du CPL a opté pour le vote blanc, ôtant ainsi à Nagib Mikati une couverture chrétienne de poids, se dit convaincue qu’aucune équipe ministérielle ne verra le jour avant la présidentielle. « L’heure est donc aux efforts visant à assurer un climat favorable à l’élection d’un chef de l’État dans les délais constitutionnels (c’est-à-dire deux mois avant la fin du mandat Aoun le 31 octobre) », souligne un responsable FL, précisant que son parti ne prendra pas part à un gouvernement qui ne vivra que pour quatre mois.
Les appels se multiplient
De son côté, le Hezbollah, grand contributeur à la reconduction de Nagib Mikati, semble presser pour une mise en place rapide d’un nouveau cabinet. « Nous n’avons pas de temps à perdre », a prévenu hier le chef du groupe parlementaire du parti chiite Mohammad Raad, lors d’un événement partisan à Harouf, au Liban-Sud. « Nous devons tous hâter la formation d’un gouvernement du possible en ces circonstances afin qu’il assume la gestion du pays », a-t-il ajouté. Le membre du Conseil central du parti chiite, Nabil Kaouk, a, lui aussi, lancé un appel similaire.
Le patriarche maronite Béchara Raï a, lui aussi, appelé, dans son homélie hier, à la formation rapide d’un cabinet et pour que les efforts se concentrent sur « les préparatifs en vue de l’élection d’un président de sauvetage de la République ». Un appel qui intervient alors que les critiques du patriarche contre Michel Aoun se sont multipliées ces derniers jours. Le chef de l’Église maronite a aussi exhorté « tous les partis à coopérer avec le Premier ministre désigné, loin de toute condition », dans une critique implicite au chef du CPL.
À son tour, la communauté internationale suit de près les développements sur la scène libanaise et multiplie les appels à une formation rapide du gouvernement. Après la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, c’est le Groupe international de soutien au Liban (GIS) qui a exhorté « les parties libanaises, y compris les autorités exécutives et législatives, à travailler rapidement à la formation d’un gouvernement capable de mettre en œuvre d’importantes réformes en suspens afin de soulager les souffrances de la population ». « En particulier, les autorités doivent respecter les engagements pris dans l’accord avec le Fonds monétaire international, y compris les lois budgétaires, le contrôle des capitaux, le secret bancaire (...), les décisions du gouvernement et de la banque centrale (...) pour jeter les bases solides d’un redressement socio-économique et durable du Liban », a encore dit le GIS dans une déclaration émanant de l’ONU, samedi.
Que fera donc Nagib Mikati ? « Le Premier ministre veut présenter une formule de gouvernement le plus rapidement possible. L’option d’un remaniement ministériel est sur la table. Mais tout dépendra des résultats des concertations avec les groupes parlementaires », se contente de répondre Ali Darwiche, ancien député de Tripoli, proche du Premier ministre désigné.
Le Hezbollah accuse Boukhari d’être « un ambassadeur de la sédition »
Le cheikh Nabil Kaouk, membre du Conseil central du Hezbollah, a accusé samedi, sans le nommer, le représentant de l’Arabie saoudite au Liban Walid Boukhari d’être « l’ambassadeur de la sédition », et le royaume wahhabite de « s’ingérer dans les affaires intérieures libanaises ». « Il existe, au Liban, un ambassadeur de la sédition qui ne veut pas que le pays se détende ni qu’il sorte de sa crise », a estimé M. Kaouk lors d’une prise de parole publique au Liban-Sud. « Il incite à la sédition parmi les Libanais et s’ingère dans les affaires libanaises, puis prétend que l’Arabie saoudite est à égale distance de toutes les composantes du pays », a-t-il dénoncé. Et le cadre du parti chiite de poursuivre : « Il demande au Liban de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des pays arabes, comme si l’ambassadeur du Liban ou le Hezbollah intervenaient dans la formation du gouvernement saoudien ou les élections saoudiennes si elles avaient lieu. » Il a enfin estimé que « passer sous silence les ingérences de l’ambassadeur de la sédition est honteux », pointant du doigt « ceux qui prétendent être souverainistes et neutres ». Ces accusations interviennent alors que l’ambassadeur saoudien a multiplié les réunions avec des députés sunnites dans les jours qui ont précédé les consultations parlementaires contraignantes, à l’issue desquelles Nagib Mikati a de nouveau été désigné pour former un gouvernement. Plusieurs observateurs estiment que le royaume suivra aussi de près la présidentielle, le mandat du président Michel Aoun prenant fin en octobre.
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13 h 26, le 27 juin 2022