
L’unité flottante de forage Tungsten Explorer, vue au large des côtes libanaises, le 15 mai 2020. Joseph EID/AFP
Il peut sembler absurde de parler d’une nouvelle ère pour le Liban alors même que le pays fait face à « l’une des dix, voire trois, plus graves crises économiques dans le monde depuis les années 1850 », selon la Banque mondiale. D’autant que ce diagnostic a été établi avant l’invasion de l’Ukraine et ses conséquences inflationnistes sur les biens essentiels tels que l’énergie et la nourriture. Cela n’a fait qu’aggraver une situation difficile pour un pays dépendant fortement des importations, notamment de pétrole – qui représente près de 30 % des importations totales et plus de 90 % des besoins énergétiques du pays.
Certes, en dépit de plus deux ans d’inactivité, l’aggravation quotidienne de la crise pourrait finir par obliger le gouvernement à adopter les réformes nécessaires, en particulier celles exigées dans le cadre de l’accord préliminaire signé en avril avec le Fonds monétaire international (FMI). Si l’on se fie à l’expérience passée, le risque de voir le programme de réformes gouvernementales dérailler est toutefois élevé, même si la présence d’un plus grand nombre d’indépendants et de représentants de la société civile parmi les députés pourrait exercer une pression complémentaire à celle de la communauté internationale.
Mais l’efficacité de cette pression suppose au préalable une compréhension approfondie et globale des causes profondes du problème, laquelle doit s’appuyer sur des avis indépendants, impartiaux et qualifiés. Or au Liban, l’ensemble des débats sur les questions énergétiques ont été viciés en raison de la manière dont ils ont été menés, faisant notamment apparaître trois problèmes fondamentaux.
Pas de politique énergétique
D’abord, le fait d’avoir limité le débat à des projets spécifiques n’a pas permis d’aborder correctement ces questions. Mais opter pour une vue d’ensemble suppose d’adopter au préalable une politique énergétique qui définisse le cadre, la ligne de conduite à adopter, une feuille de route et des objectifs mesurables et réalisables pour l’ensemble du secteur. Plus important encore, cette politique doit s’insérer dans un agenda gouvernemental plus large, en particulier sa politique économique. Or au Liban il n’existe aucune politique énergétique, hormis un plan autonome de réforme de l’électricité approuvé en mars 2022. Tant qu’un élément aussi important est absent, débattre d’un barrage hydraulique par-ci et de l’énergie solaire par-là revient à laisser un groupe d’architectes discuter de l’emplacement des fenêtres d’une maison sans avoir dessiné un croquis général de la structure….
Ensuite, l’énergie est un sujet complexe, qui couvre de nombreuses facettes au niveau local et international et s’avère indispensable à la poursuite d’un grand nombre d’objectifs socio-
économiques et politiques plus larges. Elle doit donc être traitée avec l’expertise appropriée : de même que l’on demande l’avis d’un cardiologue pour traiter les problèmes cardiaques, les conseils en matière d’énergie devraient être fondés sur des compétences reconnues. Par exemple la question des conflits frontaliers maritimes – qui est l’un des sujets les plus compliqués dans le domaine de l’énergie comme du droit international – constitue en soi un ensemble de règles en constante évolution. Il n’est donc pas étonnant que moins de la moitié des 640 différends relatifs aux frontières maritimes dans le monde aient été résolus. Pourtant, au Liban, la simplification et la politisation à outrance de ce débat ont contribué à empêcher toute avancée significative en plus d’une décennie. À cet égard, le renforcement des capacités administratives, notamment au niveau du gouvernement, est essentiel. Il est tout aussi important que les parlementaires, même si l’on ne s’attend pas à ce qu’ils deviennent des experts en énergie, développent leurs connaissances du secteur, s’ils veulent jouer un rôle plus constructif.
Attentes irréalistes
Enfin, l’une des plus graves erreurs commises par certains responsables est de nourrir des attentes irréalistes quant au secteur pétrolier et gazier du pays. Malheureusement, cela a été encouragé par des institutions financières libanaises bien établies, qui ont projeté des chiffres exagérés sur les revenus du pétrole et du gaz libanais. Ces études se sont non seulement avérées inexactes, mais elles étaient dangereuses, car elles ne faisaient qu’alimenter les attentes du gouvernement et de l’opinion sur une manne potentielle qui permettrait éventuellement de se passer de réformes économiques sérieuses. Pire encore, la présence d’hydrocarbures dans les eaux libanaises reste à ce jour théorique et le gouvernement ne doit pas bâtir un plan économique sur l’hypothèse que des revenus pétroliers et gaziers puissent être générés.
Résultat, même avant la crise, les compagnies pétrolières et gazières ne se sont pas précipitées pour entrer sur le marché libanais. Si les risques géologiques et commerciaux ont pu jouer un rôle, les professionnels du secteur sont plus sensibles aux risques qu’ils ne peuvent pas contrôler, comme les risques politiques, ainsi que les obstacles bureaucratiques et la corruption – tous endémiques au Liban. D’autant que les institutions financières et les actionnaires sont devenus plus exigeants quant aux performances des entreprises en matière d’indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Si la réputation internationale du Liban est loin d’être brillante, son attrait pour les investisseurs internationaux dans le secteur de l’énergie et d’autres secteurs s’améliorera sans aucun doute, si le gouvernement poursuit le programme de réformes qu’il s’est engagé à mettre en œuvre, notamment avec le FMI. Mais il serait naïf de s’attendre à ce que tout vienne du gouvernement – d’autres acteurs, des parlementaires aux médias, en passant par le monde universitaire et la société civile, ont tous un rôle tout aussi important à jouer dans l’amélioration de la gouvernance du secteur énergétique.
Il reste à espérer que l’amertume de la crise et les preuves suffisamment accumulées sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné seront le catalyseur d’une nouvelle ère énergétique radieuse au Liban.
PDG du cabinet de consultants Crystol Energy (Londres) et chercheuse principale au LCPS.
Ce texte est une traduction synthétique d’un article publié en anglais sur le site du Lebanese Center for Political Studies.
commentaires (5)
J'ignorais cette histoire! Merci!
Vincent Gélinas
14 h 01, le 26 juin 2022