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Culture - Installation

Le Beyrouth de l’âge d’or, son « balad », ses grands hôtels, ses cabarets et son port... comme si vous y étiez

L’installation filmique qui a lieu dans le Mina Image Center jusqu’au 20 juillet emporte le spectateur vers le Beyrouth des années 1935 à 1975. Hady Zaccak archive, à travers des films et des photos recueillis, la mémoire de cette ville qui refait miraculeusement peau neuve à chaque fois.

Le Beyrouth de l’âge d’or, son « balad », ses grands hôtels, ses cabarets et son port... comme si vous y étiez

Retrouver le visage ancien de sa ville était le principal objectif de Zaccak. Photo DR

« Combien de fois une ville peut-elle disparaître avec ses habitants et ses souvenirs ? À quelle vitesse les photos deviennent-elles archives ? » C’est en filmant la ville de Beyrouth après le 4 août que Hady Zaccak, cinéaste/documentariste et producteur, a retrouvé des lieux détruits qu’il avait filmés après la guerre en 1990. Il s’est donc interrogé sur ce point et a voulu travailler dessus. Un travail titanesque qui a nécessité, outre la recherche dans sa propre bibliothèque de films, le grand support de la Fondation arabe pour l’image (Arab Image Fondation) qui lui a procuré le reste des archives.

Très jeune, Zaccak était obsédé par la documentation et le geste d’archiver, « probablement parce que je suis issu d’une ville dont les traits ont disparu ». Sonder le passé pour retrouver le présent et préserver la mémoire collective, tel a été le fil conducteur de ses documentaires – dont nous citons entre autres, Une leçon d’histoire (2009), Mercedes (2011), Kamal Joumblatt, témoin et martyr (2015) –, ainsi que de ses ouvrages dont le dernier s’intitule

al-Aard al-akhir : sirat Cilama Trablos (La dernière séance, la biographie de Cilama Tripoli).

C’est dans cet esprit que le cinéaste a voulu retracer le parcours qui s’étale du port jusqu’à ce qu’on nommait la région des hôtels. Son installation filmique intitulée In this Place, Reels of Beirut et présentée au Mina Image Center nous emmène à la découverte du port, du quartier des hôtels en passant par le centre-ville ou ce qu’on nommait al-balad. « À travers une cinquantaine de films dont j’ai retiré certains extraits, assemblés et montés, j’ai pu les regrouper en cinq films distincts qui capturent l’essence et l’atmosphère de la ville et rectifient le tir de l’histoire puisqu’on a tendance à manipuler les souvenirs. »

Retrouver le visage ancien de sa ville était le principal objectif de Zaccak. Mais il était loin d’imaginer que cet ancien visage était quasi prémonitoire. On retrouve étrangement dans les films européens, américains ou libanais et égyptiens, les mêmes histoires d’espions, de trafic de drogue, du rôle de la police et d’intrigues en tous genres. « J’ai traité les extraits de films de fiction tournés entre 1935 et 1975 comme une matière à documentaires. Ils devenaient pour moi des archives afin de retrouver le visage contemporain d’une ville au caractère héroïque », précise-t-il.

Au Mina Image Center, l’installation est donc composée de plusieurs arrêts. On peut s’asseoir, rester debout, ou prendre un verre en plongeant dans le passé.

« Bienvenue dans le cœur de Beyrouth » (Welcome To Beirut) où le passé est en perpétuel dialogue avec le présent, interpelle le visiteur à l’entrée. Un film de 7 minutes et 30 secondes basé sur 18 long-métrages. Si les milliers de touristes arrivent puis repartent, le spectateur arrive à percevoir l’image autrement qu’elle soit reproduite par un étranger ou un Libanais.


Des affiches de long-métrages filmés au Liban de 1935 à 1975. Collection Abboudi Abou Jaoudé

Le second arrêt est le Port de Beyrouth. Ce port a toujours été un lieu d’immigration mais aussi d’affaires, d’import-export. Il était également la scène d’activités suspicieuses comme les crimes et les trafics en tous genres. Ce port devenait petit un petit un danger pour la capitale jusqu’à ce que la réalité converge avec la fiction.

Vient ensuite la section consacrée à al-balad ou centre-ville. Étrange que ce centre-ville, noyau de tous les commerces, des banques, des lieux de loisirs aux couleurs bigarrées et chatoyantes et aux senteurs diverses. Vu par les locaux comme un vecteur de modernité, mais visité par l’œil étranger et reproduit volontairement comme un lieu exotique, le balad de ces films apparaît comme un contraste entre deux visions différentes. Ainsi, dans les films libanais ou égyptiens, on voit les gens circuler au centre-ville à la mode de l’époque alors que dans les œuvres des cinéastes étrangers, des accessoires « à saveur orientale » sont ajoutés comme le keffieh et les abayas masculines, connotation arabe oblige. C’est donc une fausse reproduction de Beyrouth de l’époque à rectifier ou à ne pas prendre en considération comme référence historique. À signaler que le montage de Zaccak a été fait à partir de 25 films narratifs.

Enfin, les deux dernières étapes qui sont les plus festives, mais aussi les plus mystérieuses, sont celles qui reproduisent la vie des hôtels prestigieux à l’époque et celles des bars, lieux populaires de tournage surtout pour les nombreux films étrangers d’espionnage. En effet, depuis l’incident qui a eu lieu à Beyrouth lorsque l’agent double russo-britannique Kim Philby a pu regagner la Russie en 1963 à partir de Beyrouth, quand il a été démasqué, ce qu’on a appelé les « films eurospy » ont fleuri au Liban. Là, le visiteur du Mina Center Image peut siroter un verre à loisir et être transporté pour quelques instant à l’Epi Club, aux Caves du Roy, ou encore au bord de la mythique piscine de l’hôtel Phoenicia ou du non moins légendaire hôtel Saint-Georges.

Des affiches de long-métrages filmés au Liban de 1935 à 1975. Collection Abboudi Abou Jaoudé

Un brin de nostalgie teinte les films. Mais il est également certain, d’après ce travail, que Hady Zaccak prend à chaque fois le soin d’opérer un éclairage sur l’histoire et remettre les choses dans leur contexte. Ce Beyrouth fantôme ou mirage, qui revient de loin comme des réminiscences mnémoniques, nous renseigne sur la vraie identité de la ville qui n’a jamais cessé d’être une ville métropole, un carrefour entre l’Est et l’Ouest, une ville à caractère hybride, à la fois nid d’espions mais bouillon de culture. Pudique et impudique. Une ville qu’on rêve souvent autrement, mais parfois à tort, car elle est aujourd’hui ce qu’elle était avant.

Les acteurs en coulisses de « In This place »

Recherches, curateur et monteur : Hady Zaccak.

Directeur artistique : Awad Awad

Superviseur artistique : Manal Khader

Décor technique : Bilal Dahboura et Zico.

Coordination et communication : Marilyn Ghosn, Joëlle Adem et Robert Jbeily.

Organisé par Beirut DC, en collaboration avec Mina Image Center.

Heures et jours d’ouverture : de mardi à samedi, de 14h30 à 19h30.

« Combien de fois une ville peut-elle disparaître avec ses habitants et ses souvenirs ? À quelle vitesse les photos deviennent-elles archives ? » C’est en filmant la ville de Beyrouth après le 4 août que Hady Zaccak, cinéaste/documentariste et producteur, a retrouvé des lieux détruits qu’il avait filmés après la guerre en 1990. Il s’est donc interrogé sur ce point et a...

commentaires (2)

La nostalgie est un sentiment naturel bien qu'en ce qui concerne Beyrouth la guerre a accentué les ravages du temps .J'avais 22 ans à ma première visite et je suis revenu 3 fois avant la guerre . Le Crazy Horse rue de Phénicie , les restaurants , les jeunes Saoudiens qui rentraient dans les toilettes du Café de Paris pour ressortir en jeans ou en minijupe . En 1978 puis en 1981-82 c'était fini . Ailleurs ce n'était plus Beyrouth

yves gautron

21 h 10, le 21 juin 2022

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Commentaires (2)

  • La nostalgie est un sentiment naturel bien qu'en ce qui concerne Beyrouth la guerre a accentué les ravages du temps .J'avais 22 ans à ma première visite et je suis revenu 3 fois avant la guerre . Le Crazy Horse rue de Phénicie , les restaurants , les jeunes Saoudiens qui rentraient dans les toilettes du Café de Paris pour ressortir en jeans ou en minijupe . En 1978 puis en 1981-82 c'était fini . Ailleurs ce n'était plus Beyrouth

    yves gautron

    21 h 10, le 21 juin 2022

  • LES MORTS NE RESSUSCITENT PAS. PEINTURES OU PHOTOS NE SONT QUE NOSTALGIE. CAD DECEPTION ET TRISTESSE DE CE QU,ON A PERDU ET QU,ON NE RETROUVERAIT OU NE VIVRAIT PLUS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 51, le 21 juin 2022

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