Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

« N’est-il pas incongru de continuer à produire de l’art dans le contexte actuel ? »

À la galerie Janine Rubeiz, les œuvres de 7 artistes questionnent l’aberrante réalité dans laquelle nous vivons. Et cette absurdité absolue qui semble aspirer « Dans la faille d’un temps suspendu » la moindre de nos actions, nos pensées, notre créativité, jusqu’au souffle même de nos existences percluses.

« N’est-il pas incongru de continuer à produire de l’art dans le contexte actuel ? »

Image extraite de la vidéo « House of Cards » de Maha Yammine.

« Kana Ya3lam » : « Il savait. » À partir de ce hashtag, qui s’est propagé de manière virale sur les réseaux sociaux libanais dans les jours qui ont suivi la double explosion du 4 août, Adlita Stephan a fait œuvre de scribe.

Avec ces simples mots rédigés des milliers de fois au stylo acrylique bleu sur 112 feuilles blanches, l’artiste et calligraphe conceptuelle a produit une monumentale installation de papier consignant le tragique et l’absurde d’un moment collectif tombé « Dans la faille du temps suspendu ».

Une pièce répétitive qui résonne d’une rage et d’une accusation terribles, mais dont le visuel délicat fait l’effet, paradoxal au final, d’un mantra apaisant.

Accroché sur tout un pan de mur de la galerie Janine Rubeiz, ce « Kana Ya3lam » (5.35 x 3.2 mètres) constitue l’œuvre pivot de l’exposition collective qui s’y tient jusqu’au 1er juillet, sous l’intitulé « In the Rift, Where Time Is Suspended » (Dans la faille du temps suspendu).

« Hostages of a Failed State 4 », découpage et collage de billets libanais réalisée par Renoz (Ahmad Ghaddar), (24 x 32cm, 2021).

« Démonstration d’art absurde »

Car c’est à partir de ce travail qui évoque l’aberrante monstruosité des situations que nous vivons au Liban et la tout aussi aberrante placidité avec laquelle nous les subissons qu’est née chez Adlita Stephan l’idée de réunir à la galerie Janine Rubeiz, sous la férule de la galeriste Nadine Begdache, un ensemble de pièces réalisées dans la même veine par des artistes amis.

Une exposition que l’artiste et curatrice a voulue comme « une démonstration d’art absurde sur une terre en voie de disparition, où s’émiettent nos corps sans valeur. Un hommage à la folie dévastatrice. Mais aussi un questionnement sur la pertinence de la création artistique en ces temps de chaos et de carnage ». Car l’idée de cette exposition est partie de son sentiment qu’il devenait incongru de produire et d’exposer de l’art dans le contexte actuel. « Tout comme il peut sembler absurde d’essayer de poursuivre une vie normale, d’aller au travail ou au restaurant dans ce pays où les besoins se réduisent à aller puiser de l’eau, assurer le carburant de sa voiture et se fournir en moyen d’éclairage », soutient-elle.

« Body Fragment » sculpture en plâtre de Joseph Harb, (50x14 x 20 cm, 2021).

Une interrogation qui se lit à travers le prisme d’une quinzaine d’œuvres, élaborées par 7 artistes contemporains libanais aux sensibilités proches mais aux techniques et expressions propres à chacun, qui occupent l’espace lumineux de la galerie de Raouché.

Avec un parti pris scénographique allégé qui vient contrebalancer un discours très intense, leurs peintures, sculptures, gravures, installation, animation digitale, art vidéo et sculpture cinétique disent et redisent l’incohérence, le chaos, l’absence et le vide dans lesquels sont plongés tout un pays et l’ensemble de sa population.

Détail de l’installation de dessins à l’acrylique sur papier « Kana Yaalam » de Adlita Stephan (2021-2022; 318x535cm ).

La monnaie nationale derrière les barreaux

La sélection présentée oscille entre le beau, le bizarre, le dérangeant, le puissant et le singulier. Et pour cause, s’y trouvent outre la pièce précitée : des corps démembrés, dont une jambe sectionnée en chaussette qui devient (chez Joseph Harb) représentative de l’identité d’une personne ; des joueurs filmés (par la vidéaste Maha Yammine) s’adonnant à une partie avec des cartes totalement blanches ; des chiens en résine (façonnés par le plasticien Alain Vassoyan) qui aboient des mots aussi éloquents que « thawra » (révolution) et « tharwa » (richesse) ; un autoportrait au miroir sans reflet d’Élissa Raad et à la toile suspendue sur le mur à l’envers ; des motifs de barreaux de prison découpés dans les billets dévalorisés de notre monnaie nationale par le « Street Artist » Renoz (alias Ahmad Ghaddar) ; ou encore l’exploration dans un travail numérique (signé Christine Kettaneh) des limites de l’étirement que peuvent subir la lettre B de l’alphabet arabe et H de l’abécédaire occidental, désignant le « bayt » et le « home » ou ce qui en reste...

Autant de pièces qui, réunies dans cet espace beyrouthin « à quelques lieux de la crevasse où le temps s’est déformé », témoignent de cette absurdité, cette étrangeté, ce chaos normatif qui infiltre désormais tous les aspects de la vie au Liban.

* « In the Rift, Where Time Is Suspended » à la galerie Janine Rubeiz, immeuble Majdalani, Raouché, jusqu’au 1er juillet.

« Kana Ya3lam » : « Il savait. » À partir de ce hashtag, qui s’est propagé de manière virale sur les réseaux sociaux libanais dans les jours qui ont suivi la double explosion du 4 août, Adlita Stephan a fait œuvre de scribe. Avec ces simples mots rédigés des milliers de fois au stylo acrylique bleu sur 112 feuilles blanches, l’artiste et calligraphe...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut