Comme d’habitude, les discours du secrétaire général du Hezbollah sont préparés pour créer l’événement. Ils sont aussi souvent l’occasion d’envoyer des messages codés. Ces messages s’adressent à des parties précises, et ce qui compte pour Nasrallah et ses compagnons, c’est qu’ils arrivent à destination. Par exemple, pour annoncer le discours d’hier consacré à la situation libanaise en général, et au « dossier des ressources pétrolières et gazières du Liban dans ses eaux territoriales » (le Hezbollah refuse de parler du tracé des frontières car cela signifierait qu’il reconnaît implicitement l’État d’Israël), il a été dit qu’il sera prononcé à partir de 20h35. Peu habitués à une telle précision horaire, certains Libanais se sont lancés dans des interprétations diverses, comme le fait que Nasrallah veuille attendre la fin du journal télévisé de la chaîne al-Manar ou qu’il veuille laisser le temps aux autres chaînes de terminer leurs propres bulletins d’information. La réalité est toutefois bien différente. Le Hezbollah a sciemment choisi d’annoncer que son secrétaire général devrait prononcer un discours à 20h35, dans une référence à celui prononcé pendant la guerre de juillet 2006, lorsqu’à 20h35 précisément, Nasrallah avait déclaré à ceux qui l’écoutaient : Regardez vers la mer et vous verrez un navire israélien en train de brûler... Pour tous ceux qui l’ont vécue, cette scène est inoubliable. Au plus fort de la guerre de 2006, le 14 juillet précisément, le Hezbollah avait réussi à concilier le discours avec la réalité. Au moment où Nasrallah demandait à ceux qui l’écoutaient de regarder vers la mer, ceux-ci ont vu le navire de guerre israélien Saër atteint par un missile lancé par le Hezbollah. C’était une grande première, à la fois dans le timing soigneusement étudié et dans l’utilisation par le Hezbollah de missiles sol-mer.
Ce moment particulier avait constitué une sorte de tournant dans la guerre de juillet 2006, le Hezbollah ayant ainsi réussi à surprendre les Israéliens à la fois par la précision de la synchronisation entre les mots et les faits et par son utilisation de nouvelles armes. C’était en effet la première fois que la flotte militaire israélienne qui naviguait jusque-là en toute liberté dans les eaux du bassin méditerranéen était atteinte par un missile, qui avait tué à l’époque 4 soldats. Même si une grande partie des Libanais n’ont pas vécu ce moment, ou l’ont oublié, les autorités israéliennes s’en souviennent, et le message leur est donc principalement destiné. À la veille de l’arrivée à Beyrouth de l’émissaire américain Amos Hochstein pour reprendre les négociations indirectes avec les Israéliens sur le tracé de la frontière maritime, le Hezbollah a donc voulu adresser cet avertissement, à sa manière particulière, pour confirmer son intention de riposter au cas où les Israéliens seraient tentés d’avancer vers la zone controversée et pour leur rappeler qu’il est en mesure de créer de nouvelles surprises militaires.
Propagande médiatique ou réalité ? Ceux qui suivent ce dossier estiment qu’en dépit de l’échange de menaces, la tendance n’est pas à l’explosion, qui ne serait dans l’intérêt d’aucune partie. Des sources proches du Hezbollah précisent à cet égard que les Américains ont envoyé plusieurs signaux en direction du parti chiite ces derniers temps, pour tenter de nouer un dialogue, au moins au sujet des ressources gazières et pétrolières dans les zones controversées entre les Libanais et les Israéliens. La dernière tentative en date a eu lieu à travers le directeur général de la Sûreté Abbas Ibrahim lorsqu’il se trouvait à Washington. Le sujet a été évoqué en marge des discussions sur la libération d’otages américains en Syrie. En effet, lorsque Ibrahim s’est rendu à Washington, il était déjà question de l’arrivée imminente du navire Energean Power au large des côtes israéliennes. Les Américains ont voulu tâter le terrain, et Ibrahim a expliqué la position libanaise qui considère toute activité dans la zone controversée comme une agression contre le Liban. Cette attitude libanaise transmise par le directeur de la Sûreté générale était le fruit de concertations avec les responsables officiels et avec toutes les parties concernées. D’ailleurs, une fois n’est pas coutume, il semble que le Liban affichera sur ce dossier une position unifiée qui se résumerait comme suit : allons vers l’exploitation des ressources pétrolières et gazières dans les zones non controversées en attendant de trouver des arrangements pour les autres. Même si les Israéliens ont dans ce domaine plusieurs longueurs d’avance, il est temps pour les Libanais d’entamer à leur tour les travaux de prospection dans les blocs qui ne font pas l’objet de controverses. Le Liban veut profiter de ce qu’il considère comme une chance de rouvrir ce dossier, sans avoir à faire des concessions de fond. Le Hezbollah, lui, poursuit sa politique de menaces pour définir ce qu’il considère être des lignes rouges.
commentaires (12)
"… Les discours de Nasrallah sont aussi souvent l’occasion d’envoyer des messages codés …" - Si on lit bien le dernier discours de Nasrallah, on découvre qu’il comporte, dans des mots aléatoires, les lettres t, s, c, l, h, u, a, et deux fois la lettre o. Réarrangées dans le bon ordre, cela donne "holocaust". Bang! Ça c’est du message codé, ou Scarlett ne s’appelle plus Haddad… chapeau mâme, excellent travail journalistique!!!
Gros Gnon
19 h 52, le 10 juin 2022