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La révolution au féminin

La révolution au féminin

D.R.

Alexandra Kollontaï, La Walkyrie de la Révolution d’Hélène Carrère d'Encausse, Fayard, 2021, 312 p.

Madame Carrère d’Encausse nous livre une fort remarquable biographie d’une personne assez connue en son temps, mais assez oubliée aujourd’hui sauf des spécialistes de l’histoire russe et soviétique et du féminisme. C’est le sort en général de ceux qui sont immédiatement à côté des acteurs majeurs de la scène politique : ils apparaissent par ci par là au gré des études sans que l’on ne les connaisse vraiment.

Alexandra est née en 1872 dans un milieu aristocratique russe assez privilégiée mais de parents déjà plutôt anticonformistes. Elle reçoit une éducation assez cosmopolite lui permettant d’apprendre plusieurs langues. Elle épouse Vladimir Kollontaï en 1893, à l’âge de 22 ans, devenant ainsi pour toujours Alexandra Kollontaï, même si ce mariage ne dura pas et que d’autres hommes partageront ensuite sa vie.

Elle rejette rapidement la vie heureuse de maîtresse de maison et d’épouse qui était devenue pour elle une prison. Elle reprend ses études à Zurich et s’intéresse au mouvement socialiste internationaliste. Elle participe à la révolution russe de 1905 où elle manifeste des grands talents d’orateur. À cette occasion, elle fait connaissance de Lénine, mais elle se classe plutôt du côté des mencheviks. Les années suivantes, grâce à sa connaissance des langues, elle devient une personnalité importante de la social-démocratie européenne et surtout une pionnière du mouvement féministe révolutionnaire. Pour elle, les problèmes de la condition féminine, de l’inégalité dont les femmes sont victimes en termes de statut politique, de conditions salariales et de conditions de vie, ne peuvent trouver de solution sans un changement politique général, c’est-à-dire sans l’accomplissement de la révolution. Le combat des féministes, dans sa conception traditionnelle, écarte les femmes du mouvement révolutionnaire, affaiblissant ainsi tout à la fois la cause des femmes et les chances de la révolution.

En 1908, elle s’exile en Europe et adhère à la social-démocratie allemande. En 1914, elle est avec Lénine dans le refus de la guerre. En 1917, elle est l’une des organisatrices de son retour en Russie et elle prône comme lui la prise de pouvoir immédiate. Après celle-ci, elle devient commissaire du peuple aux Affaires sociales, c’est-à-dire ministre.

Elle connaît alors les affres de la guerre civile russe et elle est souvent en opposition avec Lénine. Elle est à la fois maximaliste et pluraliste. Elle est ainsi contre la dissolution de l’assemblée constituante, puis contre le traité de Brest-Litovsk, et plus tard contre la nouvelle politique économique (NEP) qu’elle considère comme contraire au socialisme. Mais son adhésion au bolchevisme est totale et elle accepte la politique de terreur. Elle est la brillante protagoniste du nouveau régime et travaille activement à améliorer la condition féminine.

En 1922, elle se trouve marginalisée dans le pouvoir et c’est Staline en pleine ascension qui lui permet d’entrer dans une nouvelle vie, celle de diplomate. Elle en fera l’essentiel en Scandinavie avec un intermède au Mexique. On considère que c’est la première femme à avoir atteint la fonction d’ambassadeur en 1924. Ses dons pour les langues et son éducation aristocratique lui sont d’une grande aide. Elle rend ainsi de très grands services à son pays.

Préservée la plupart du temps par ses séjours en dehors de l’Union soviétique, elle montre par ses paroles et ses actes son total ralliement à Staline. Après la tourmente des années 1930, ne restent vivants que deux compagnons de Lénine, Staline et elle…

En privé, elle expliquera : « J’ai compris que la Russie ne pouvait passer de l’obscurantisme à la liberté en quelques années. La dictature de Staline, ou d’un autre qui aurait pu s’appeler Trotski, était inévitable. Cette dictature fait couler beaucoup de sang. Mais sous Lénine, beaucoup de sang, et sans doute beaucoup de sang innocent, coulait déjà. »

En 1945, elle est rappelée à Moscou où elle vivra dans des conditions confortables jusqu’à sa mort en 1952. Elle aura été la seule, ou presque, parmi tous les acteurs de la révolution, à échapper à la furie exterminatrice de Staline sans jamais rompre avec son pays.

Sa vie témoigne d’un engagement total envers la révolution. Son ralliement à Staline se comprend par sa volonté de ne jamais abandonner son pays qui, envers et contre tout, est en train de construire le socialisme.

En conclusion : « Toujours fidèle à son projet d’être avec le peuple – ce fut sa ligne de vie, Kollontaï a rejoint dans l’histoire des héros incontestés du mouvement communiste, ses héros, les Lafargue, Liebknecht et Rosa Luxemburg. Et pour l’histoire, l’image de Kollontaï restera avant tout celle que tous ceux qui l’ont connue ont admirée, la combattante au service de toutes les causes, la Walkyrie de la révolution. »

Ce livre, riche en détails vivants, témoigne d’une écriture alerte tout en posant, par le biais de la biographie, l’énigme de la révolution : la transformation sociale doit-elle passer par la terreur pour atteindre ses fins ou la terreur est-elle la négation du projet de libération qui la justifie ?


Alexandra Kollontaï, La Walkyrie de la Révolution d’Hélène Carrère d'Encausse, Fayard, 2021, 312 p.Madame Carrère d’Encausse nous livre une fort remarquable biographie d’une personne assez connue en son temps, mais assez oubliée aujourd’hui sauf des spécialistes de l’histoire russe et soviétique et du féminisme. C’est le sort en général de ceux qui sont...

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