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Lifestyle - Hommage

Le Liban et le béton se souviendront toujours de Grégoire Sérof

« L’architecture doit inspirer un étonnement, une émotion. Une construction est faite pour émouvoir. Le lien entre les deux notions tient une place essentielle pour moi », disait Grégoire Sérof, l’une des figures emblématiques de l’architecture moderne, qui s’est éteint mercredi dernier à l’âge de 92 ans.

Le Liban et le béton se souviendront toujours de Grégoire Sérof

L’hôtel Saint-Bernard, Les Cèdres, Liban. Grégoire Sérof, 1966. Photo DR

Grégoire Sérof, une référence dans l’architecture au Liban, vient de disparaître à l’âge de 92 ans. Photo tirée de la page Instagram de l’Alba

Grégoire Sérof appartenait au cercle des architectes médiatiques, des « dinosaures, presque tous disparus aujourd’hui », affirme l’architecte Simone Kosremelli, diplômée en urbanisme de la prestigieuse université de Columbia à New York, qui pourtant ne se laisse pas impressionner facilement par les grands noms. « C’était un architecte puriste, passionné par son métier, aquarelliste talentueux digne de son grand-père, peintre russe de renom, maniant la langue française avec une ironie pamphlétaire, et finalement un Libanais d’adoption, ayant éduqué des générations d’architectes libanais. De par son ascendance slave, il était fou d’art et de musique », ajoute-t-elle. Né en 1930 à Rachmaya, dans le district de Aley, de parents russes – son père a été l’ingénieur responsable de la première station d’énergie hydraulique au Liban, qui est toujours active –, il a vécu jusqu’à l’âge de cinq ans à Nabe’ al-Safa, dans le Chouf, dont « la nature et ses arbres ont marqué (s)on enfance, et plus tard (s)a trajectoire », dira Grégoire Sérof. Porté par le dessin et l’aquarelle, il décide de se consacrer à la peinture et s’inscrit en 1948 à l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba). Mais très vite, après un semestre, davantage attiré par le langage des pierres, il rejoint la section architecture. Parmi ses enseignants, historiens, archéologues et urbanistes, figurent notamment Maurice Chéhab, Pierre Coupel (qui deviendra directeur du bureau d’architecture antique de Paris au CNRS) et Michel Écochard, chargé d’élaborer les plans de l’aménagement du territoire. C’est avec ce dernier que Grégoire Sérof collaborera, de 1961 à 1963, au Plan directeur de Beyrouth et sa banlieue, à la réalisation des écoles publiques ou encore à la mise en place d’une Cité des ministères, qui serait un centre administratif regroupant divers services gouvernementaux. Commandité par le ministère du Plan, le projet ne fut jamais exécuté.

L’extension du musée Sursock, Beyrouth, Liban. Grégoire Sérof, 1974. Photo DR.

Du brut exploré à profusion

Les années 60 et 70 constituent une période de consolidation pour l’architecture moderne au Liban, avec l’utilisation du béton apparent. « Nous étions contaminés par le béton brut et les œuvres de Le Corbusier, d’Oscar Niemeyer et du Japonais Takamitsu Azuma, qui apportait à ses maisons de style brutaliste un soin remarquable », disait Sérof. C’est l’avènement et l’émergence du brutalisme et de nouvelles géométries qu’il va explorer à profusion. Grégoire Sérof enchaîne les projets, formule son propre vocabulaire, en marquant son matériau de prédilection d’une identité et d’un style déterminé.

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Ses bâtiments font aujourd’hui partie intégrante du patrimoine architectural moderne du Liban. On lui doit l’ensemble scolaire Mont La Salle, conçu en 1964 avec Raoul Verney, Khalil et Georges Khoury, comme une série de clusters, une nouvelle forme de construction qui s’oppose à la typologie traditionnelle des écoles ; l’immeuble Caporal et Moretti à la corniche du Fleuve, le ministère de l’Énergie sur les berges de Nahr Beyrouth. Parmi ses réalisations les plus connues également, l’extension du musée Sursock en 1974 (accolée à l’arrière de la construction classique), la villa Michel Limansky à Rabieh et l’atelier du sculpteur Zaven Hadichian. Son approche architecturale se poursuit avec quatre chalets aux Cèdres, dont celui de Wassef Ghandour en 1975, la chapelle des Keyrouz et l’hôtel Saint-Bernard en 1966. À l’instar d’autres, cette construction a été défigurée. « Elle est aujourd’hui d’une laideur absolue. Elle a été couverte de tuiles et la géométrie qui répondait à des demandes très particulières de l’enveloppe a disparu », déplorait Grégoire Sérof lors d’une conférence au Centre arabe pour l’architecture (ACA) modérée par l’architecte Élie Harfouch. « Ce qui importe pour les bâtisseurs, c’est le respect d’un certain ordre et la clarté des formes géométriques », affirmait-il, ajoutant en substance que « les pires ennemis des architectes sont les clients envoûtés par la prolifération des formes ». Avec bonheur, l’ACA, qui se bat pour la sauvegarde du patrimoine urbain légué par les concepteurs du mouvement moderne, conserve dans ses archives une bonne partie des plans d’exécution, des coupes et des perspectives rendus à la main par Sérof. Avec son coup de crayon impeccable et son œil averti, l’architecte s’est également imposé en tant que grand dessinateur et aquarelliste à travers des lignes épurées, une distribution spatiale et une palette de couleurs vives. Dans les agences d’architecture, la souris a aujourd’hui largement détrôné le crayon.

Grégoire Sérof et Khalil Khoury dans les années 60. Photo tirée de la page Instagram @khalilkhoury

Permis n° 1 à bord d’un aérodyne

Avec à son actif des années d’enseignement à l’Alba et à l’Université américaine de Beyrouth, Grégoire Sérof installe son studio dans le quartier de l’hôtel Holiday Inn, dans l’immeuble Tassabehji. Ses amis les architectes Khalil Khoury et Raoul Verney étaient ses voisins directs. En 1975, la guerre du Liban et la bataille des hôtels l’obligent à fermer définitivement ses portes. Il s’engage alors dans l’agence Dar el-Handassa où il contribue à de nombreux projets à l’étranger.

La villa Limansky à Rabieh, Liban, Grégoire Sérof, 1981. Photo DR

« Tu parlais fièrement de tes origines de Russe blanc et de ton grand-père, l’illustre peintre Valentin Sérof, de tes années aux Beaux-Arts, de tes débuts chez Écochard et de tes projets brutalistes avec Khalil Khoury et Raoul Verney. Tu étais une encyclopédie de Beyrouth, de son histoire, de ses ruelles et de ses petites histoires à travers tes billets qui réchauffaient les cœurs. Adieu Grégoire, tu as enrichi ma vie et contribué au patrimoine de mon pays », lui écrira dans un dernier adieu l’architecte et entrepreneur Ramzi Salman, qui eut également le privilège d’être son élève. Constructeur, certes, et dessinateur, Grégoire Sérof était aussi billettiste, livrant, d’une plume alliant humour et nostalgie, sa vision de la ville et provoquant des réflexions essentielles. Intitulés Pointes sèches, ses articles publiés dans L’Orient-Le Jour depuis 1994 ont reçu le prix Saïd Akl en septembre 2000. Mais ce n’est pas tout. « Grégoire était passionné d’aviation et de planeurs qu’il fabriquait avec du papier de soie et du bois très léger. Un engouement qu’il partageait avec Khalil Khoury », raconte Serge Sérof, qui ajoute que son père a même « décroché la première licence de vol à voile au Liban, dans les années cinquante ». « Je ne veux pas être centenaire », disait Grégoire Sérof, dans ce monde porté par un souffle de folie. Il est décédé à l’âge de 92 ans, laissant derrière lui un patrimoine moderne précieux et toute une génération d’architectes marqués par son esprit, qu’il a formés.

L’immeuble Caporal et Moretti, corniche du Fleuve, Beyrouth, Liban, Grégoire Sérof, 1982. Photo DR.

Ils ont dit

Exprimant leur tristesse d’apprendre la disparition de l’architecte, les professeurs de l’Alba, notamment Jihad Kiamé, André Trad, Fadi Chiniara, Vera Bourji, Kamal Sioufi et Kamel Abboud, ont témoigné de leur peine :

« Affligeant, je viens de l’apprendre. Que son âme repose en paix. Malgré son âge avancé, il avait tout le foisonnement, l’ouverture et le dynamisme de la jeunesse » ; « Une personne aimable, inestimable, inoubliable, que son âme repose en paix ; sincères condoléances aux chers collègues » ; « Que Dieu ait son âme ! C’était plus qu’un professeur... C’était un maître à penser avec des idées hors des sentiers battus... Une grande perte ! » ; « (…) La justesse de ses propos, la rigueur de son architecture, l’humanisme qu’il incarnait et l’extrême modestie qui l’ont caractérisé nous ont marqués pour toujours » ; « Avec lui c’est une des pages les plus importantes de l’architecture moderne au Liban qui est fermée. On ne t’oubliera pas cher Grégoire » ; « (…) Grégoire a marqué le paysage architectural par des œuvres importantes qui l’ont consacré un des plus importants fondateurs du mouvement de l’architecture moderne au Liban (…) Probablement encore plus important que son exercice professionnel a été son apport à l’enseignement universitaire durant de longues années à l’Alba et à l’AUB, où il a marqué des générations entières par sa libre pensée et son encouragement soutenu des idées nouvelles (…) Le Liban a perdu un de ses grands hommes. On ne l’oubliera pas ».

Grégoire Sérof, une référence dans l’architecture au Liban, vient de disparaître à l’âge de 92 ans. Photo tirée de la page Instagram de l’AlbaGrégoire Sérof appartenait au cercle des architectes médiatiques, des « dinosaures, presque tous disparus aujourd’hui », affirme l’architecte Simone Kosremelli, diplômée en urbanisme de la prestigieuse université de...

commentaires (3)

Il faut rappeler aussi un des compatriotes de Grégoire Sérof, Paul Koroleff né à Saint Patersbourg en 1896 et ayant vécu au Liban. Artiste reconnu, il a illustré la plupart des timbres du Liban où il est décédé en 1992.

MELKI Raymond

21 h 32, le 16 mars 2023

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Commentaires (3)

  • Il faut rappeler aussi un des compatriotes de Grégoire Sérof, Paul Koroleff né à Saint Patersbourg en 1896 et ayant vécu au Liban. Artiste reconnu, il a illustré la plupart des timbres du Liban où il est décédé en 1992.

    MELKI Raymond

    21 h 32, le 16 mars 2023

  • Très beau portrait. Un plaisir de découvrir des histoires qui ont fait le Liban

    Georges Olivier

    13 h 45, le 31 mai 2022

  • Un grand constructeur dans un pays surpeuplé de minables destructeurs... Paix a l’âme de Gregoire Serof!

    Mago1

    00 h 53, le 31 mai 2022

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