
Le dernier Conseil des ministres du gouvernement Mikati, lors duquel le plan de relance économique a été approuvé. Photo Dalati et Nohra
Le gouvernement Mikati aura laissé derrière lui, avant l’expiration de son mandat avec celui du Parlement sortant, un plan de relance économique conçu en accord avec le Fonds monétaire international. Cet accord pourrait permettre au Liban de bénéficier d’une aide de trois milliards de dollars et d’attirer potentiellement d’autres donateurs grâce au label FMI. La grande majorité des experts considèrent que la conclusion d’un accord avec l’institution internationale est une étape indispensable au règlement de la crise, puisqu’elle permettra de débloquer une aide structurelle dont le pays du Cèdre a urgemment besoin. La classe politique libanaise ne l’entend toutefois pas tout à fait de cette oreille. Officiellement, personne ne s’oppose à un deal avec le FMI, ni même à une restructuration du système bancaire, elle aussi considérée comme une étape indispensable. Mais dès que le sujet de la répartition des pertes est abordé – elles sont estimées à environ 70 milliards de dollars – tout l’échiquier politique s’accorde, à quelques nuances près, sur la nécessité de protéger les déposants.
Si tous les détails du plan du gouvernement Mikati n’ont pas été communiqués, celui-ci devrait permettre, selon les informations de L’Orient-Le Jour, de protéger 92 % des déposants. L’intégralité des dépôts serait préservée jusqu’à 100 mille dollars, même si le texte dans sa dernière version se contente d’évoquer la protection « d’autant de dépôts que possible ». Dans un pays où la très grande majorité des dépôts sont détenus par une petite minorité de personnes, c’est l’avenir des grands déposants et plus largement du secteur bancaire qui est le cœur de l’enjeu.
Aucune compensation ne serait toutefois prévue pour le moment pour les montants dépassant ce plafond, même si le document explore l’hypothèse du bail-in, et donc la conversion de ces sommes en actions, au grand dam des propriétaires actuels des banques, qui devront également recapitaliser pour garantir la survie de leurs institutions. D’autant plus que le plan du gouvernement Mikati prévoit de rayer « une grande partie » des actifs des banques au sein de la Banque du Liban. Or, les banques militent, depuis le début de la crise, pour une participation de l’État dans la compensation des pertes, via la vente de ces actifs, que l’Association des banques au Liban estime à 40 milliards de dollars, un chiffre fortement contesté. L’Orient-Le Jour fait le point sur la position de chacun des acteurs.
Le Courant patriotique libre
Inacceptable. C’est ainsi qu’Alain Aoun, député de Baabda et cadre du Courant patriotique libre de Gebran Bassil, décrit le plan de relance économique proposé par le gouvernement sortant de Nagib Mikati. Si le CPL ne mâche pas ses mots, c’est parce que à en croire M. Aoun, la feuille de route proposée par le gouvernement « place l’essentiel des pertes sur les déposants ». « Alors que les déposants payent, l’État n’assume pas sa responsabilité. Le plan efface les pertes de la BDL et fait comme si de rien n’était », ajoute Alain Aoun, pour qui l’État libanais doit assumer sa part des pertes en « utilisant tous ses actifs ». « Je ne parle pas nécessairement de privatisation. Mais je ne vois pas pourquoi l’État n’investirait pas dans ses actifs, via par exemple des partenariats avec le secteur privé, si cela peut générer des rentes capables de réduire la facture sur les déposants. » M. Aoun reprend ici une proposition, formulée depuis les premières heures de la crise, par l’Association des banques au Liban. Il s’agit de créer un fonds souverain où seraient investis les actifs de l’État libanais (évalué à quelque 40 milliards de dollars par l’ABL, un chiffre revu à seulement 14 milliards par une étude du chercheur Albert Kostanian pour le compte de l’Institut Issam Farès) afin de réduire les pertes du secteur financier. De nombreux militants et experts estiment cependant que la question de la privatisation des biens de l’État revient, en fin de compte, à faire payer à la population dans son intégralité le poids des pertes, ces actifs étant une propriété publique. Souvent, ces observateurs appellent plutôt à faire porter aux propriétaires des banques la majeure partie des pertes, ces derniers étant en grande partie responsables de la déliquescence du secteur via leurs investissements profitables, mais très risqués à la Banque du Liban (BDL).
Sur la question du bail-in, que les banques libanaises redoutent par-dessus tout, M. Aoun affirme que le CPL est ouvert à la proposition, tout en précisant qu’il s’agit d’un « outil, pas d’une fin en soi ». Enfin, le député critique l’absence d’une vision économique prônée par le plan. « Un plan de relance doit avant tout être basé sur le retour de la croissance et non pas sur les moyens de combler un vide financier », affirme-t-il.
Parti socialiste progressiste
Côté joumblattiste, on affirme que le plan de relance est toujours sous étude. Contacté, un député du bloc du PSP affirme en effet qu’une position claire sur le sujet ne sera prise par les élus joumblattistes qu’au courant de la semaine. Cependant, il affirme que « le plan semble exprimer beaucoup de mauvaise foi envers les déposants ». « Il s’agit simplement d’une version révisée du plan Lazard », se contente-t-il de résumer. Le gouvernement de Hassane Diab avait en effet élaboré en 2020, en consultation avec le cabinet Lazard, un plan de redressement économique et financier. Si le plan actuel reprend dans les grandes lignes celui de 2020, il est beaucoup plus austère, prévoyant par exemple une ponction bien plus sévère sur les dépôts. Le plan avait cependant été attaqué à boulets rouges par l’élite politique et financière, et avait finalement été abandonné.
Amal
Malgré les relations étroites entre le mouvement Amal et le ministre des Finances Youssef Khalil, le bloc politique du président de la Chambre Nabih Berry n’a pas, lui non plus, officiellement tranché sur la position à adopter vis-à-vis du plan de relance, en attendant la publication d’un texte définitif. Nabih Berry « voit d’un mauvais œil le texte », assure toutefois un proche du chef du Parlement. « Un dépôt est un dépôt, peu importe sa taille. Il s’agit d’un droit pour le déposant », explique la source. « Ce que nous proposons, c’est que les pertes ne touchent pas le capital des gens, mais plutôt les gains qu’ils ont générés. Il s’agit donc de réaliser une ponction sur les intérêts surélevés accumulés par certains, plutôt que sur certains dépôts », ajoute l’intéressé. Pour rappel, les pertes du secteur financier dépassent les 70 milliards de dollars. Nabih Berry pourrait cependant craindre le courroux des chiites expatriés en Afrique, dont une majorité est proche de lui. Ces « grands déposants » craignent en effet de voir leur épargne au Liban sacrifiée sur l’autel d’un plan avec le FMI. Au sujet de la privatisation, avancée par le secteur bancaire comme étant la clé pour réduire les pertes, le mouvement des « déshérités » affirme s’opposer à la privatisation des biens de l’État, tout en étant favorable à un partenariat avec le secteur privé pour permettre aux biens publics de générer des rentes.
Forces libanaises
Les Forces libanaises ont tout de suite, via le chef de leur bloc politique Georges Adwan, fait savoir qu’elles étaient en désaccord avec le plan de relance économique. Contacté pour plus d’informations, le nouveau député FL du Metn, Razi el-Hajj, a confirmé à L’Orient-Le Jour les réserves exprimées par le parti de Samir Geagea à ce sujet. « Nous avons des critiques, tant sur la forme que sur le fond », affirme-t-il. « Sur la forme, nous estimons que faire passer un plan aussi important à la va-vite, lors de la dernière séance du Conseil des ministres, est inacceptable. Il faut au contraire un débat public sur la question », martèle le jeune député. Certains experts estiment cependant que, bientôt trois ans après le début de la crise économique et financière qui a fait perdre à la monnaie nationale 90 % de sa valeur, le gouvernement doit agir très vite, d’autant plus que le scénario d’un vide gouvernemental prolongé semble de plus en plus sérieux. « Sur le fond, nous estimons que ce plan est injuste envers les déposants. Par exemple, pour moi en tout cas, il ne faut pas classer les dépôts selon leur valeur, mais plutôt selon la façon dont ils ont été composés. Par exemple, un employé ou une institution qui épargne mensuellement ne peut pas être mis à pied d’égalité avec un individu qui laisse son argent en veilleuse pour profiter des taux d’intérêt. » À noter que le plan actuel protège largement les petits épargnants, puisqu’il permet de préserver plus de 90 % des dépôts. « De plus, on ne nous explique pas pourquoi les banques perdent leurs actifs auprès de la BDL, contrairement aux détendeurs d’eurobonds. Le plan ne prévoit pas non plus d’ouvrir le secteur financier aux investisseurs et aux banques étrangères », rajoute Razi el-Hajj au sujet de la restructuration du secteur bancaire, tout en niant tout positionnement probanques des FL.
Hezbollah
Les ministres du parti de Dieu se sont opposés au plan de sauvetage économique lors du Conseil des ministres dédié au débat sur la question. Contacté à ce sujet, le Hezbollah n’a pas donné suite aux demandes de commentaire de L’Orient-Le Jour. Le parti estime que « le plan est injuste vis-à-vis des déposants », commente une source proche du parti pro-iranien. Or, pour le Hezbollah, « le droit des déposants est sacré ». Le mouvement chiite s’oppose également à toute augmentation des impôts, surtout ceux touchant la consommation comme la TVA. Lors de récentes déclarations, le député Hassan Fadlallah, membre du Hezbollah, a rappelé la « responsabilité des banques » dans la crise.
La contestation
La contestation, qui s’est imposée comme un acteur politique de taille après les législatives du 15 mai, ayant réussi à élire 13 ou 14 députés, ne compte pas se mettre en retrait du débat sur le plan de relance économique. Contacté par L’Orient-Le Jour, Waddah Sadek, député de Beyrouth se réclamant de la contestation, a confirmé que des tractations sont en cours entre les élus pour unifier leur position sur le sujet. « Nous nous entendons pour le moment sur des points-clés. Par exemple, nous sommes opposés à la vente des actifs de l’État pour compenser les pertes du système financier », affirme-t-il. L’étude d’Albert Kostanian pour l’Institut Issam Farès conclut que la vente des biens-fonds de l’État ne serait pas à même de résoudre la crise. En effet, la valeur de ces actifs est de loin inférieure à l’ampleur des pertes, d’autant plus qu’ils seront probablement vendus à prix réduit vu le contexte de crise actuelle. L’étude estime que les recettes des privatisations varieraient entre 5,88 et 13,36 milliards de dollars, selon des hypothèses réalistes. M. Sadek précise toutefois que le bloc n’est pas idéologiquement opposé à la notion de partenariat entre le public et le privé. « Il revient toutefois aux banques et aux politiciens corrompus, auxquels nous imputons une responsabilité criminelle, de porter la responsabilité des pertes en premier et non pas au domaine public », explique le député de la contestation. Le député de Beyrouth affirme cependant qu’il s’oppose au plan de relance, qu’il voit comme un « bilan comptable, non pas un plan de relance économique ». « Le plan est complètement dépourvu de vision économique véritable. Il s’agit simplement d’une répartition arithmétique des pertes », affirme-t-il. Une répartition qui, au fil du temps, devient de plus en plus sévère.
Ils s’opposent juste pour la forme et pour nous faire croire qu’ils existent. Ils sont tous d’accords pour l’âne agissent de notre pays. Il n’y a pas un pour racheter l’autre et leur cinéma ne convainc plus personne. Ils sont tous impliqués par le hold up du siècle et s’échange la patate chaude pour que leurs noms ne soient jamais divulgués.
12 h 38, le 31 mai 2022