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Politique - Portrait

Yassine Yassine : le fils « controversé » d’un petit village de la Békaa-Ouest

Malgré sa popularité dans la région, certains lui reprochent un décalage entre sa volonté d’édifier un État où la loi civile prévaut et sa position de principe contre le mariage civil.

Yassine Yassine : le fils « controversé » d’un petit village de la Békaa-Ouest

Le nouveau député dans sa maison à Gaza, dans la Békaa-Ouest. Photo Farah-Silvana Kanaan

Yassine Yassine, un nouveau venu en politique sur la principale liste du mouvement de contestation dans sa région, Sahlouna wal jabal, dont la victoire a permis de détrôner le vice-président Élie Ferzli dans la circonscription de la Békaa-Ouest-Rachaya avec 6 004 voix préférentielles, a été affublé de beaucoup de qualitatifs pendant sa campagne : homme d’affaires, révolutionnaire, islamiste.

« Je suis beaucoup de choses », rétorque à L’Orient Today le nouvel élu, engageant mais décontracté, dans le hall familial de sa grande mais néanmoins confortable maison de Gaza, entourée de verdure et offrant une vue panoramique sur les montagnes, « mais l’islamisme n’en fait pas partie ».

Le terme a été utilisé pour le décrire lorsqu’une vidéo, dans laquelle il annonçait fièrement qu’il ne voterait pas pour des projets qui contredisent la charia (jurisprudence) islamique, a circulé sur les médias sociaux. « Je l’ai fait exprès, dit-il en souriant, une petite bombe nucléaire pour titiller mes détracteurs. »

Yassine Yassine souligne que ses adversaires politiques utilisent contre lui la position de sa liste, Sahlouna wal jabal, favorable au mariage civil. « Ils prétendent que je suis pour le mariage civil, que je cherche à détruire la famille. Écoutez, je suis d’accord avec eux (Sahlouna wal jabal) dans 95 % des cas ou plus, mais sur ce sujet spécifique, nous divergeons. Et même si je sais que nombreux sont ceux qui considèrent cela tabou et politiquement incorrect, je devais montrer que je n’irais jamais à l’encontre de mes croyances et de celles de mes supporters, puisque je les représente. »

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Alors que Yassine Yassine ne comprend pas vraiment le tapage médiatique autour de sa position sur le mariage civil, d’autres pensent qu’une telle position contredit ses plans autoproclamés avec le reste des députés de la contestation de construire un État où la loi civile prévaut.

« Bien que j’aie été agréablement surpris par ses prises de position, je pense que son point de vue sur le mariage civil pose problème », estime Nadim el-Kak, chercheur à The Policy Initiative, lui-même originaire de la même région que Yassine Yassine. « Sa vision conservatrice du mariage civil est très proche de celle des organisations politiques musulmanes et des autres autorités religieuses. Comment cela peut-il rimer avec la volonté de construire un État civil ? Je me demande quelle est sa position sur les autres composantes de la loi sur le statut personnel. S’il est contre le mariage civil, cela signifie-t-il qu’il n’est pas du tout intéressé par la réforme des tribunaux religieux ? »

Le nouveau député semble presque prendre plaisir à répondre aux critiques. « Je ne vois vraiment pas en quoi le fait de ne pas soutenir le mariage civil est en contradiction avec celui de vouloir construire un État où la loi civile prévaut. Ne voulons-nous pas un système démocratique ? » s’interroge-t-il.

Des causes plus urgentes

« Je pense que le bloc du changement (composé de Yassine Yassine et des 12 autres députés associés au mouvement de contestation) défend des causes plus urgentes, comme la distribution de l’électricité et de l’eau potable, la relance de notre industrie pour créer des emplois dont nous avons cruellement besoin, la mise en place d’un système judiciaire et la prévention du départ massif de nos jeunes. Le mariage civil est-il vraiment un sujet sur lequel il faut se concentrer en ce moment ? » poursuit-il.

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Or, ces questions (eau, électricité…) restent irrésolues au Liban depuis des décennies. Comment compte-t-il lutter contre les partis politiques traditionnels ? « Nous allons les affronter en tant que groupe d’opposition. Nous nous sommes rencontrés deux fois depuis les élections, et nous sommes d’accord sur nos priorités et sur la façon dont nous devons faire front pour promouvoir les lois qui répareront ce pays », explique-t-il, avant d’ajouter : « En réalité, de nombreux projets de lois existent déjà. Ils ont été rédigés et oubliés dans un tiroir. Nous allons les déterrer, les dépoussiérer et faire tout ce qui est en notre pouvoir en tant que bloc pour nous assurer qu’ils seront adoptés. »

Yassine Yassine porté par des partisans après sa victoire aux élections législatives. Photo Reuters

« Ce monsieur a beaucoup d’argent »

Nadim el-Kak relève aussi chez Yassine Yassine ce qu’il qualifie de « manière par laquelle les hommes d’affaires font de la politique à l’ancienne ». « Bien qu’il existe de nombreuses vidéos du candidat Yassine hurlant, sur les privations et la pauvreté, sur les places de la Békaa pendant les soulèvements populaires d’octobre 2019, il est vraiment important de savoir que ce monsieur a beaucoup d’argent, dont une partie provient des investissements qu’il a réalisés en reprenant certaines des propriétés et des actifs de l’ancien Premier ministre Saad Hariri. Sans parler du fait qu’il emploie plus de mille personnes dans la région : ce sont mille familles qu’il nourrit. Cependant, les électeurs de la région préfèrent son programme à celui, par exemple, de Citoyens et citoyennes dans un État parce que Yassine Yassine est quelqu’un de nouveau qui parle un langage très populiste et qui a de l’argent pour soutenir ses efforts politiques, puisqu’il peut aider les familles dans le besoin. »

« Je ne suis pas Saad Hariri, répond le nouvel élu. Sur le plan amical, je l’apprécie, mais j’ai refusé courtoisement de le rencontrer au sujet d’un poste au sein de son parti parce que, à ce moment-là, la révolution d’octobre coulait déjà dans mes veines à un point tel que je lui étais entièrement dévoué. »

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Bien qu’il ne nie pas sa situation confortable, Yassine Yassine précise qu’il peut à bien des égards s’identifier à la douleur des gens de sa communauté. On ne lui a pas offert sa fortune sur un plateau d’argent : son père et son grand-père étaient agriculteurs.

« Je suis issu de Gaza au Liban, dans la Békaa occidentale », déclare-t-il. « J’aurais pu rester aux États-Unis pour me concentrer sur l’expansion de ma fortune, mais quelque chose m’a ramené ici il y a sept ans. C’était ma révolution personnelle. La révolution du 17 octobre l’a renforcée et m’a montré qu’il y avait de l’espoir. Et maintenant, j’ai intégré le Parlement avec des députés qui partagent les mêmes idées et qui veulent ce qu’il y a de mieux pour le Liban. »

Ses yeux s’illuminent. « Comment pouviez-vous ne pas croire que cela devait arriver ? »

Yassine Yassine, un nouveau venu en politique sur la principale liste du mouvement de contestation dans sa région, Sahlouna wal jabal, dont la victoire a permis de détrôner le vice-président Élie Ferzli dans la circonscription de la Békaa-Ouest-Rachaya avec 6 004 voix préférentielles, a été affublé de beaucoup de qualitatifs pendant sa campagne : homme d’affaires,...

commentaires (1)

Comme il le precise, s'il est d'accord avec 95% des objectifs du 17 oct, ca n'en fait pas un adversaire. Et puis, s'il a de l'argent et qu'il l'utilise pour faire avancer les choses et aussi employer des gens de sa region, tant qu'il le fait sur ses deniers personnels, pourquoi pas ? Ca me fait penser a Nehmat Frem qui est un industriel competent et emploie plusieurs milliers de Libanais, tout en defendant les causes du droit et de la justice.

Michel Trad

12 h 14, le 27 mai 2022

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Commentaires (1)

  • Comme il le precise, s'il est d'accord avec 95% des objectifs du 17 oct, ca n'en fait pas un adversaire. Et puis, s'il a de l'argent et qu'il l'utilise pour faire avancer les choses et aussi employer des gens de sa region, tant qu'il le fait sur ses deniers personnels, pourquoi pas ? Ca me fait penser a Nehmat Frem qui est un industriel competent et emploie plusieurs milliers de Libanais, tout en defendant les causes du droit et de la justice.

    Michel Trad

    12 h 14, le 27 mai 2022

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