L’euphorie qui a suivi la tenue des législatives malgré les obstacles et les défis n’a pas duré. Très vite les problèmes du quotidien ont rattrapé les Libanais et leurs nouveaux élus, avec un dollar qui grimpe vers les sommets et des pénuries à gogo. Mais le plus grave, c’est l’absence de perspective et de solution, dans tous les dossiers. La malédiction qui s’acharne sur le Liban semble appelée à se poursuivre et à chaque fois que les citoyens croient avoir accompli un pas en avant, ils se heurtent à de nouveaux obstacles.
D’ailleurs, un responsable en poste depuis des années ne cache pas devant ses visiteurs sa grande déception. Il raconte comment, après la démission du gouvernement présidé par Saad Hariri dans la foulée du soulèvement du 17 octobre 2019, la communauté internationale pressait le Liban de former au plus vite un cabinet pour relancer les investissements et le processus d’aides. Deux gouvernements ont été formés depuis et rien ne s’est concrétisé. De même, la communauté internationale avait pressé les autorités d’entamer des négociations avec le FMI, sous prétexte que c’est à cette condition qu’elle recommencera à faire confiance au Liban et à lui donner des crédits. Les négociations ont été entamées et un accord préliminaire a été conclu, mais là aussi les promesses ne se sont pas concrétisées. De même, lorsque le Hezbollah, l’été dernier, a amené le premier bateau chargé de mazout en provenance d’Iran, les États-Unis s’étaient empressés de promettre des exceptions au Liban pour l’importation de fuel, de courant électrique et de gaz à partir de l’Égypte et de la Jordanie, via la Syrie. Le Liban a fait toutes les démarches nécessaires pour cela, mais la Banque mondiale chargée du financement de ces projets n’a toujours pas débloqué les fonds, arguant de l’insuffisance des autorisations américaines. Enfin, la communauté internationale avait pressé le Liban d’organiser à tout prix les élections législatives à la date prévue, considérant qu’il s’agissait d’une condition essentielle pour rétablir la confiance, mais là aussi, les élections ont bel et bien eu lieu, mais aucune perspective de dégagement ne se profile à l’horizon. Au contraire, selon diverses sources concordantes, au lieu de relancer la vie politique et les institutions, les élections législatives semblent pour l’instant avoir aggravé les clivages. L’étape suivante pourrait donc être celle d’une plus grande paralysie des institutions.
De nouveau, la communauté internationale presse aujourd’hui le Liban de relancer le fonctionnement des institutions à travers la formation rapide d’un nouveau gouvernement, laissant désormais entendre que le début d’une amélioration de la situation est tributaire de cette démarche. Pourtant, un rapide survol des positions des divers groupes parlementaires montre qu’elle ne devrait pas être rapide. Si, selon les sources proches de Aïn el-Tiné, il n’y a aucun suspense sur l’identité du prochain président de la Chambre, toutes les échéances suivantes baignent encore dans le flou. Le plus grave, c’est que, toujours selon les mêmes sources, les tractations préliminaires qui se sont intensifiées ces derniers jours n’ont abouti à aucun résultat concret. Au contraire, elles ont montré que chaque partie campe sur ses positions et refuse d’arrondir les angles, comme c’est généralement le cas dans la vie politique libanaise. C’est comme si, estiment les sources précitées, chaque camp était devenu prisonnier des slogans lancés pendant la campagne électorale et qu’il n’ose pas prendre la moindre initiative en direction des autres. Selon un politicien chevronné, ce flou et ce raidissement dans les positions seraient principalement dus à la composition du nouveau Parlement où, en dépit des calculs des uns et des autres et des multiples célébrations de victoire, aucun camp n’a la majorité des sièges. Selon ce politicien, s’il y avait une majorité claire et une minorité, il serait plus facile d’y voir clair et d’annoncer la couleur pour la période à venir. Mais la division du Parlement en petits groupes qui feront des alliances selon les dossiers, sans avoir une tendance générale claire, complique le processus de gouvernance. Il est ainsi plus difficile aujourd’hui de définir une majorité et une minorité comme le souhaitent les Forces libanaises. Certains avaient pourtant vu dans les résultats des législatives une confirmation de la formule libanaise traditionnelle « ni vainqueur ni vaincu ». Ce qui devrait encourager les différentes parties à conclure des compromis et à arrondir les angles pour y parvenir. Mais dans la situation actuelle et face à la pression populaire, de nombreuses parties préfèrent se cantonner dans l’opposition pour ne pas avoir à assumer des responsabilités dans la situation actuelle.
Selon un économiste qui a requis l’anonymat, le véritable problème, c’est que personne n’a un plan de sauvetage rapide à proposer aux Libanais. Plutôt que de subir leur colère et leur déception, chaque partie préfère rejeter la responsabilité de l’effondrement sur les autres et se tenir à l’écart. N’ayant pas de projet concret à proposer, chacun préfère donc détourner l’attention de ses partisans en attisant leur haine et leur colère à l’égard des autres parties. Dans ce contexte, face à l’absence de perspective positive, et face au flou politique, les différentes composantes préfèrent se lancer des accusations plutôt que d’assumer des responsabilités. Autrement dit, malgré la tenue des élections qui a constitué un pas important dans le processus démocratique, le Liban serait à la veille d’une période de paralysie politique sur fond d’effondrement économique.
commentaires (8)
Pour faire court; la faute est à la Communauté internationale, les pauvres responsables libanais font exactement ce qu'on leur demande de faire. J'ai failli wallah verser une larme, mais je me suis abstenu à la derrière seconde, quand j'ai vu le nom de l'auteure de l'article.
Céleste
17 h 18, le 26 mai 2022