
Firas Hamdan le 15 mai 2022, jour des élections législatives, à Habbariyeh, dans la circonscription Liban-Sud III. Mohammad YASSINE
Dans quelques jours, il entrera au Parlement par la grande porte. Avec, dans son cœur, de la grenaille de plomb qui s’y est logée le 8 août 2020. Ce jour-là, lors de la « manifestation de la colère » suite aux explosions au port de Beyrouth, la police de ce même Parlement tire sur les protestataires. Firas Hamdan est touché par balle. Alors qu’il se trouve aux soins intensifs, pour une opération à cœur ouvert, les chirurgiens choisissent de ne pas l’extraire. Trop risqué. Sa cicatrice est devenue aujourd’hui un symbole. « Je ne sais pas exactement ce qu’est cette balle, donc je ne sais pas quels seront les effets secondaires. Mais je suis vivant, et je me battrai jusqu’à mon dernier souffle pour que les Libanais recouvrent leurs droits et leur dignité », confie Firas Hamdan, assis à une table d’un café de la capitale.
L’avocat et fraîchement élu député, Firas Hamdan, une semaine après avoir été blessé par balle après des tirs de la police du Parlement, le 8 août 2020, lors de la « manifestation de la colère ». Anwar Amro/AFP
Plus de deux ans après le début de la thaoura d’octobre 2019, cet avocat vient de réaliser un tour de force : rafler le siège druze (avec 4 859 voix) dans la circonscription Liban-Sud III (Bint-Jbeil-Nabatiyé-Marjeyoun-Hasbaya) au nez et à la barbe de Marwan Kheireddine (liste Amal-Hezbollah, 2 634 voix). La réputation de son challenger, directeur de la banque al-Mawarid, ancien ministre d’État, beau-frère et conseiller du président du Parti démocratique libanais, Talal Arslane, et ancien membre du conseil d’administration de l’Association des banques du Liban (ABL), lui a, certes, donné un avantage. « Personne ne votera pour un candidat choisi par Nabih Berry, qui incarne la faillite et la corruption du système bancaire », prédisait, quelques semaines avant l’élection, un habitant de la région. Mais être aux antipodes d’un personnage comme Kheireddine ne suffisait pas. « Je fais partie de ces jeunes des places de Hasbaya, de Beyrouth et d’ailleurs qui se sont levés contre une classe politique qui a failli et qui nous a massacrés. Les gens de ma région me connaissent et se reconnaissent en moi. Mon avenir, mes rêves ont été détruits, mon frère a dû émigrer et mon père, retraité de l’armée, a vu sa pension partir en fumée », raconte Firas Hamdan.
Sans aucun parti derrière
Décembre 2019. Le public découvre pour la première fois cet avocat en costume gris et cheveux longs attachés en arrière. Il a la fougue de la jeunesse, mais on décèle une détermination dans ses yeux. « Malgré toutes les menaces, les attaques, les tentes brûlées, cette révolution continue et perdurera », dit-il au micro, alors qu’il assiste dans le public au talk-show de Marcel Ghanem. Le présentateur de la MTV regarde, amusé et quelque peu condescendant, ce jeune hardi parlant au nom des « opprimés, de ceux qui ont faim » et se disant prêt à tout pour faire tomber la « soulta ».
À 35 ans, Firas Hamdan est l’un des plus jeunes députés à accéder au Parlement, avec Tony Frangié et Michel Murr. Entre ces deux hommes et lui, là aussi, le fossé est large. L’avocat n’a rien d’un héritier. Son père, Ismaël, ancien général de brigade de l’armée, est originaire de Kfeir, un petit village à majorité druze à l’ombre du mont Hermon à 10 minutes de Hasbaya. Firas Hamdan grandit dans une famille modeste à Saïda, puis s’installe à Beyrouth pour étudier à la faculté de droit et des sciences politiques et administratives de l’Université libanaise, où il obtient une maîtrise en droit privé. Il préserve ses liens avec son village d’origine en s’impliquant très tôt dans des associations pour la jeunesse et le développement, et accroît, par ce biais, son intérêt pour la politique. Lorsqu’on épluche son compte Twitter vers la fin des années 2000, on découvre un jeune engagé en faveur des printemps arabes, et grand fan de football. Quand la thaoura du 17 octobre démarre, il s’y jette corps et âme, notamment à Hasbaya, sous la tente de Souk el-Khan, mais aussi à Beyrouth, et milite activement pour les droits de l’homme. Il rejoint le comité Avocats pour la défense des manifestants, formé pour défendre les détenus devant le tribunal militaire ou la justice pénale. Il est alors moins connu, moins médiatique, que des barons du barreau comme Melhem Khalaf ou Wassef Haraké, mais il s’acharne à la tâche, passant des jours entiers à mettre la pression dans les commissariats, à documenter les violences contre les protestataires et à rassurer les familles. Dès son entrée au Parlement, ce sera d’ailleurs le premier dossier auquel il s’attaquera. « Il a été à mes côtés durant toutes les périodes critiques, alors que beaucoup avaient peur, lui a tenu bon, en faisant des nuits blanches au bureau, dans des conditions très difficiles », raconte Melhem Khalaf, fraîchement élu député. « On parle d’un avocat stagiaire, au début de sa carrière, qui, avec des moyens financiers limités et sans aucun parti derrière, a fait tomber un royaume d’argent », poursuit Me Khalaf. Firas esquisse un sourire quand on évoque, en quelque sorte, « son mentor ». « J’ai eu l’honneur de travailler avec lui, il a été notre protecteur. »
Terre de résistance
Alors que le combat de la rue s’effrite en raison de la répression du système, mais aussi de la crise économique qui s’abat sur le pays, il sent qu’il est temps d’entrer dans la bataille des urnes. Il fait le pari de se présenter aux élections législatives, même s’il sait qu’il ne concourt pas à armes égales. « C’est quelqu’un qui sait ce qu’il veut, de terre à terre, et qui prend réellement le temps de discuter avec les gens de sa région, dans un contexte pas simple, et un environnement confessionnel, très attaché aux traditions », raconte Jad Shahrour, responsable de la communication du centre SKeyes pour la liberté de la presse et culturelle, et proche de Firas Hamdan.
« Nous avons pu compter sur des dons, de petites sommes récoltées à droite et à gauche, mais nous n’avions aucun appui, ni aucune publicité médiatique », raconte le nouveau député. Se faire élire, dans ces conditions et dans une circonscription verrouillée depuis plus de 30 ans par le tandem chiite, n’a évidemment pas été simple. Durant des semaines, des trolls du Hezbollah ont fait circuler des photomontages montrant ce challenger posant en tenue militaire à côté d’un drapeau israélien. Mais le truquage est trop gros et se retourne contre eux. « Ma région est une terre de résistance (contre Israël), nous en avons payé le prix fort, et le Sud est depuis des décennies délaissé par l’État. On veut reconstruire un État fort qui protégera nos frontières, avant d’évoquer la question des armes (du Hezbollah) », dit-il, rejoignant la position de son colistier également élu Élias Jaradé.
Dans quelques jours, il entrera au Parlement par la grande porte. Avec, dans son cœur, de la grenaille de plomb qui s’y est logée le 8 août 2020. Ce jour-là, lors de la « manifestation de la colère » suite aux explosions au port de Beyrouth, la police de ce même Parlement tire sur les protestataires. Firas Hamdan est touché par balle. Alors qu’il se trouve aux soins intensifs, pour...
commentaires (10)
Ne lâchez pas! C'est cette jeunesse qui vaincra et refera un vrai Liban libre et indépendant! Vive le Liban! Hélène Somma
Hélène Somma
17 h 27, le 31 mai 2022