
Menée par notre collègue Roula Azar Douglas, la discussion a permis aux étudiants de s’exprimer sur les difficultés rencontrées au cours de leurs études, les défis de la profession infirmière selon leur propre expérience, ainsi que leur vision du futur et leurs propositions pour de meilleures conditions de travail. Photo OIL
Lors de cette rencontre organisée le mercredi 11 mai, l’ordre des infirmiers(ères) au Liban (OIL) a donné la parole à quinze jeunes femmes et hommes, tous en 3e année, venus de plusieurs universités du Liban (Université La Sagesse, Université Saint-Joseph, Université Libanaise, Université de Balamand, Université Antonine, Université Américaine de Beyrouth, Université Makassed, Université al-Jinan, Université Islamique, Université Arabe de Beyrouth, Université Notre-Dame de Louaizé, Université al-Rassoul al-Aazam, faculté des sciences infirmières de la Croix-Rouge libanaise, Université Libano-Américaine).
Menée par notre collègue Roula Azar Douglas, la discussion a permis aux étudiants de s’exprimer sur les difficultés rencontrées au cours de leurs études, les défis de la profession infirmière selon leur propre expérience, ainsi que leur vision du futur et leurs propositions pour de meilleures conditions de travail. La discussion a visé également à « expliquer le rôle de l’ordre dans la protection des droits de ses membres, notamment par le contrôle de l’exercice de la profession infirmière », souligne Rima Sassine Kazan, présidente de l’OIL. D’entrée de jeu, les jeunes ont brisé les stéréotypes entourant les étudiants et les professionnels en sciences infirmières, indiquant que c’est l’une des difficultés les plus communes auxquelles ils font face. Ces préjugés indiquent à tort que l’étudiant qui s’inscrit dans cette filière le fait car il n’a pas été en mesure d’intégrer la faculté de médecine, ou aussi que le rôle d’un infirmier se réduit à administrer des médicaments. Or, nombreux sont les participants qui, à l’instar de Paméla Abboud de l’Université La Sagesse, confient avoir bénéficié, grâce à leurs notes élevées, d’une bourse d’études liée à un engagement de travailler pour quelques années dans un hôpital affilié à leur université. Deux autres racontent avoir préalablement complété l’un une licence en génie et l’autre une licence en sciences politiques, avant de choisir par conviction la profession infirmière. Concernant les compétences, et les connaissances des infirmiers et des infirmières, des étudiants rappellent qu’ils vont bien au-delà du soin basique d’un patient, allant jusqu’à la prise en charge psychologique ou l’assistance sociale.
Il était clair d’ailleurs que si ces étudiants ont embrassé ce domaine, c’est par passion, dans l’optique de soulager les patients, voire de sauver des vies. Mohammad Ali Jawad, étudiant à l’AUB, évoque ainsi sa rencontre avec les infirmiers et les infirmières qui soignaient son père malade, et qui ont contribué à sa prise de conscience de l’importance de ce métier, alors qu’il était encore adolescent. « Si mon père est resté vivant, c’est grâce à eux ! » lance-t-il. En outre, certains étudiants confient avoir choisi les études en sciences infirmières, par vocation, comme seconde formation après une première licence dans d’autres spécialisations. C’est le cas de Afif Baalbaki, étudiant à l’Université al-Jinan. Diplômé en génie, il a travaillé dans ce domaine à l’étranger, avant de retourner au Liban, afin de « s’engager dans cette profession humanitaire ».
En sus des préjugés que non seulement la société, mais aussi certains médecins véhiculent sur la profession, ces étudiants se désolent que leurs responsabilités et leurs compétences soient sous-estimées, et leurs efforts non reconnus, en particulier dans le cadre de leurs stages. « Être sous-estimé impacte notre rendement », soutient Tala Reslan, étudiante à l’Université Makassed.
Les rapports que les étudiants entretiennent avec leurs collègues dans les hôpitaux peuvent être parfois tendus. « Selon les hôpitaux, il y a des équipes qui nous soutenaient et d’autres qui avaient peur de nous donner l’opportunité de mettre la main à la pâte, et nous demandaient d’observer uniquement », confie Narimane Chamseddine, étudiante à l’Université de Balamand.
Ces futurs infirmiers relèvent également des difficultés propres à la nature du métier. Ils racontent qu’ils subissent, lors des stages, du stress et une fatigue énorme compte tenu des horaires étendus de leur travail quotidien. En contrepartie de leurs efforts, la rémunération reste ridicule, pouvant égaler pour certains le coût du transport, surtout dans le contexte de la crise économique. Autant de facteurs qui génèrent une charge psychologique. Ahmad Darwich, de l’Université islamique du Liban, estime que « le suivi des patients, notamment ceux qui sont dans un état critique, associé au poids des responsabilités, peuvent causer une fatigue mentale ».
Par ailleurs, durant la discussion, d’autres problèmes relatifs aux stages ont été soulevés, dont un touchant les étudiants des filières techniques. Sylvana Fakhro, étudiante à la faculté des sciences infirmières de la Croix-Rouge libanaise, se rappelle que, lorsqu’elle préparait son TS (diplôme de technicien supérieur) en soins infirmiers, elle se trouvait « désavantagée par rapport aux étudiants venant d’établissements universitaires ». De même, Moustapha Dirani, de l’Université arabe de Beyrouth, souligne la difficulté « des universités qui ne sont pas affiliées à des hôpitaux, à trouver des stages à leurs étudiants ».
Un plan de sauvetage pour ralentir les départs
Ces trois dernières années d’études se sont révélées particulièrement dures pour ces futurs soignants, notamment à cause de la pandémie du coronavirus et l’explosion au port de Beyrouth en 2020. Araz Keftaian, qui se forme à la LAU, a avoué que le plus grand défi a été de suivre des cours en ligne. « Cela s’est répercuté sur la qualité de notre apprentissage », note-t-elle. Quant aux stages, ils ont été moins fréquents que d’habitude. « Le confinement a affecté notre expérience clinique », assure ainsi Ghadir Dekmak, étudiante à l’Université Rassoul al-Aazam. Un phénomène qui a affecté leur confiance en soi. « Je pensais que j’étais capable d’appliquer l’enseignement théorique lors des stages, mais une fois à l’hôpital, je me comparais aux infirmiers et infirmières autorisés(es), et je ne me trouvais pas à la hauteur, je pensais que je ne pourrais pas continuer. Une fois le confinement terminé, je me suis de nouveau adaptée », ajoute Ghadir Dekmak.
Évoquant la double explosion au port de Beyrouth, des étudiantes précisent qu’elles ont pu aider, en fonction de leurs compétences, les patients accueillis dans les hôpitaux. Une preuve, selon elles, du mérite qu’il faut accorder à cette profession. Sylvana Fakhro raconte qu’après la déflagration, elle s’est rendue directement sur le terrain, pour soigner les blessés autant qu’elle le pouvait. « Quand le pays a besoin de nous, en tant qu’étudiants, nous sommes capables d’assister », affirme-t-elle.
Autre difficulté, spécifique aux étudiants de l’Université libanaise cette fois, la grève récurrente des enseignants a affecté l’éducation de ces jeunes qui ont dû déployer de grands efforts pour récupérer les séances perdues, sans pouvoir s’accorder des moments de repos. « Nous avons subi une pression mentale plus que physique », observe Dana, étudiante à l’UL. Bien qu’appuyant les professeurs dans leurs demandes et comprenant leur situation financière, elle avoue que la qualité de l’enseignement a changé, et que lors des stages, les internes se sont retrouvés à se débrouiller seuls. En fin de compte, « nous sommes des survivants », remarque-t-elle.
Exposés aux risques touchant leur santé mentale et physique, les étudiants souhaitent que le salaire soit revu à la hausse, pour des raisons financières, mais aussi en reconnaissance de la valeur de leur travail. « Le salaire doit augmenter pour que nos efforts soient récompensés », précise Rima As-Sabeh Aayoun de l’Université Makassed. Sur ce point, Nathalie Richa, directrice de l’OIL, révèle que l’ordre cherche à négocier l’échelon des salaires avec les hauts responsables.
Quant à Mohammad Ali Jawad, il propose que l’OIL établisse une charte qui définit les responsabilités de l’infirmier(ère) et clarifie ses rôles. Cet étudiant estime qu’un tel document peut être distribué dans les hôpitaux, afin que cette profession soit reconnue à sa juste valeur.
Abordant leur vision du futur, plusieurs participants se sont montrés pessimistes quant à l’exercice de la profession au Liban, et envisagent de quitter le pays, pour travailler ou pour poursuivre un master. Nour Bou Debs, de l’USJ, confie que trois hôpitaux l’attendent en France et qu’elle partira, même si elle aura le cœur brisé. « Mon souhait est que notre pays nous aide à rester », se permet-elle de dire. D’autres étudiants sont encore hésitants. « Mon but est d’évoluer dans mon domaine. Je n’ai pas envie de quitter le pays, mais mon futur est flou. Je ne sais pas si je vais supporter la vie ici, ou si je vais arriver finalement à partir », confie Tala Reslan. Quelques étudiants estiment en revanche qu’il faut rester, au risque que le pays se vide, « même si le changement y est difficile », comme l’estime Moustapha Dirani.
Mohammad Ali Jawad souligne qu’un plan de sauvetage est indispensable pour garder les infirmiers et les infirmières au Liban. « Ce pays qui souffre de divers problèmes nous donne l’opportunité de trouver des solutions », ajoute-t-il. Clôturant la discussion, la présidente de l’ordre, Rima Sassine Kazan, a conseillé aux étudiants de donner au pays trois années de leur travail après l’obtention de leur diplôme avant d’envisager de partir. « Vous apprendrez ici plus qu’ailleurs. Si vous partez, gagnez de l’expérience puis revenez. On a besoin de vous ici », conclut-elle.