
Des sympathisantes du Hezbollah tenant des portraits de son chef Hassan Nasrallah lors d'un rassemblement électoral à Nabatiyé (Sud), le 9 mai 2022. Photo Mahmoud ZAYYAT / AFP
À quelques jours des législatives de dimanche, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcé mardi un discours dans lequel il s'est efforcé de tendre la perche à différentes parties, promettant de préserver le système politique libanais, refusant de parler de majorité et de minorité, ne cherchant pas à éliminer d'autres protagonistes, tout le monde devant être représenté à la Chambre selon lui, ni à abolir le système politique en place ou à gouverner le pays seul, et insistant sur le concept de partenariat dans un pays multiconfessionnel. Hassan Nasrallah, chef d'un parti pro-iranien, le seul qui a conservé ses armes depuis l'accord inter-communautaire de Taëf en 1989, a tenu ces propos qui se veulent rassurants dans son deuxième discours électoral en deux jours, lors d'un rassemblement électoral à Hadath, dans la banlieue sud de Beyrouth, devant une foule de partisans, venus de Beyrouth, mais aussi des circonscriptions électorales du Mont-Liban, où sa formation a une présence importante, notamment à Baabda et à Jbeil.
"Le partage entre majorité et minorité (parlementaire) est illogique dans un système confessionnel comme celui en vigueur au Liban", a déclaré le numéro un du Hezbollah, se prononçant en faveur d'un partenariat au gouvernement, qui devrait être formé après le scrutin de dimanche, et à l'échelle nationale. "Le Liban ne peut pas tolérer un parti leader quelle que soit l'ampleur de sa force", a-t-il affirmé. "Face à Israël, nous pouvons accomplir des miracles, mais sur le plan local nous sommes pragmatiques et savons que gouverner a besoin du consensus de tout le monde", a martelé le chef du Hezb. Et d'insister : " Ce pays est fondé sur le partenariat, et tout le monde doit être représenté à la Chambre. Nous ne voulons éliminer personne".
Abondant dans le même sens, le dirigeant chiite a tenté de calmer les multiples appréhensions quant au projet de son camp. "Personne ne peut se substituer à l'Etat. Nous ne nous présentons pas comme un Etat aux côtés de l’Etat, ou comme un parti qui se substituerait à l’Etat", a-t-il soutenu. "Même en matière de résistance, nous ne nous présentons pas comme un substitut à l'armée. Nous soutenons le triptyque résistance-armée-peuple, a-t-il déclaré. Nous ne proposons pas la chute du système politique en vigueur et la mise en place d'un autre. Nous disons que (l'application du) système actuel est entachée de failles qui entravent son fonctionnement, et auxquelles il faut remédier par des réformes."
"Un Etat juste"
Dans son discours, Hassan Nasrallah a abordé plusieurs thématiques s'attardant longuement sur la notion d’Etat juste à laquelle son parti dit aspirer. "Nous voulons œuvrer pour que l’Etat libanais devienne juste et capable", a lancé le dignitaire chiite, estimant qu'au sein d'un tel Etat, les jeunes devraient être autorisés à voter à l'âge de 18 ans, au lieu de 21 actuellement, et où le développement durable et équitable devrait être assuré.
"Un Etat juste est celui qui prend soin de son peuple et subvient à ses besoins", a estimé Nasrallah, selon lequel "l'Etat juste est celui qui est capable de protéger la souveraineté et de libérer ses territoires, au lieu de déléguer cette mission au peuple", en référence à la "Résistance" et à ses armes qui se targuent d'avoir libéré le Liban-Sud de l'occupation israélienne en mai 2000. Dans ce cadre, et dans une nouvelle volonté de rassurer ses détracteurs qui redoutent de voir l'arsenal du parti se diriger contre ses opposants locaux, Hassan Nasrallah a formulé le souhait que "vienne le jour où le Liban sera doté d'une armée forte, capable de libérer le territoire".
La crise économique
Les législatives du 15 mai interviennent alors que le Liban traverse depuis 2019 la pire crise financière et socio-économique de son histoire moderne, qui a basculé une vaste majorité de la population dans la pauvreté. Cet effondrement est marqué par la chute du taux de change de la livre, des pénuries de produits de première nécessité comme certains médicaments, un rationnement sévère de l'électricité et une importante émigration.
Dans ce contexte, le chef du Hezbollah a défini certaines priorités pour l'après-15 mai. "La situation économique est en tête des préoccupations des gens", a-t-il souligné. Le plan de redressement économique, préparé par le gouvernement de Nagib Mikati, et qui devrait être approuvé après les élections, "devrait être discuté sérieusement et loin du populisme", a dit le secrétaire général du Hezbollah. Il est, dans ce contexte, revenu à la charge, appelant le Liban à se tourner vers les pays de l'Est pour résoudre la crise économique et subvenir à ses besoins. Une option qu'il avait présentée il y a plus d'un an, mais qui a rapidement fait l'objet de critiques de la part des détracteurs du Hezbollah, qui l'accusent de mener le pays vers le camp de la 'moumanaa', mené par Téhéran. "Je renouvelle mon appel à se tourner vers l'Est. Mais l’insistance de l’Etat à ne pas paver la voie aux pays de l'Est (pour venir en aide au Liban) juste pour faire plaisir à Washington signifie que le Liban ne fera aucun progrès", a déploré le dignitaire chiite qui a précisé que ses propos ne devraient pas être interprétés comme une incitation à tourner le dos aux pays occidentaux.
Toujours dans le cadre de la crise économique, Hassan Nasrallah s'est attardé sur la question de la délimitation des frontières maritimes avec Israël et l'exploitation des hydrocarbures offshore, un processus qui fait du surplace depuis plusieurs mois. "Le Liban s'est tourné vers le Fonds monétaire international qui va lui accorder trois milliards de dollars, une somme qui ne réglera rien, alors que la tenue d'éventuelles conférences internationales ne fera qu'augmenter la dette publique dont Dieu seul connaît le montant exact", a-t-il déploré. "Nous avons un trésor dans la mer, pourquoi a-t-on peur d'y toucher", s'est-il interrogé dans une allusion au pétrole, dont l'extraction attend la relance du processus de délimitation des frontières. "Il est du droit du Liban de procéder à un forage dans les zones qu'il considère libanaises et même dans la zones disputées", a affirmé Nasrallah. Selon lui, "nous pouvons empêcher Israël de nous interdire d'exploiter ce trésor".
Sur un autre registre, Hassan Nasrallah, qui devrait s'exprimer de nouveau vendredi dans un discours adressé aux électeurs de la Békaa, a évoqué la question des restrictions bancaires imposées aux déposants depuis l'éclatement de la crise économique en 2019. "Ce dossier est une véritable tragédie pour tous ceux qui ont longtemps travaillé et mis leur épargne en banque. Et brusquement, ils n'y ont plus accès", a-t-il regretté assurant que l'argent des épargnants ne devrait en aucun cas être touché. D'autant que "les banques sont les premiers responsables de cet brouille, dans la mesure où elles ont utilisé les dépôts des épargnants pour prêter de l'argent à l'Etat". "Les gens ne devraient pas subir les pertes car ils ne doivent pas assumer les conséquences de la mauvaise gestion de ce dossier de la part des banques", a affirmé le numéro un du Hezbollah, exhortant les parlementaires à approuver la proposition de loi préparée par le groupe du Hezbollah et interdisant l'atteinte à l'épargne dans les banques.
Critique des FL
Après ce long panorama, Hassan Nasrallah s'est adressé à ses partisans en affirmant que dimanche ils devraient choisir entre ceux qui profitent de leurs relations diplomatiques et politiques pour importer le mazout (comme l'a fait le parti chiite en 2021), et ceux qui encaissent l'argent qui leur est donné pour renflouer leurs comptes en banque", dans une critique des Forces libanaises, perçues comme le principal allié local de l'Arabie saoudite, ennemi juré du Hezbollah. "Vous devez choisir entre ceux qui sont attachés à la paix civile et sont assassinés à Tayyouné, et ceux qui sont prêts à aller vers la guerre civile pour faire plaisir aux ambassades", a-t-il tonné. Encore une critique des FL, qui ont fait du désarmement du Hezbollah un des éléments majeurs de leur campagne électorale.
Les tensions entre les FL et le parti chiite, historiquement opposés, ont atteint un pic lors des affrontements armés de Tayyouné, en octobre dernier, entre des manifestants du tandem chiite Amal-Hezbollah et des habitants de quartiers traditionnellement affiliés aux FL. "L'Iran ne s'ingère pas dans les affaires internes. Et tout le monde sait qui sont les ambassadeurs qui n'en finissent pas de faire des tournées politiques", a encore déclaré Hassan Nasrallah. Une flèche en direction de l'ambassadeur d'Arabie saoudite Walid Boukhari. De retour à Beyrouth début avril après une crise diplomatique entre le Liban et les monarchies du Golfe, le diplomate a multiplié les rencontres avec les responsables politiques et les alliés de son pays, montrant ainsi l'entrée de Riyad dans la bataille électorale en vue des législatives.
Bientôt il va nous sortir que ceux qui ont le plus d’armes et de mercenaires devraient gouverner le pays, comme c’est le cas aujourd’hui. Non, la démocratie qu’on connaît ne fonctionne pas ainsi.
14 h 45, le 11 mai 2022