Critiques littéraires Essai

Quand bonté et beauté vont de pair

Quand bonté et beauté vont de pair

D.R.

Libre comme une déesse grecque de Laure de Chantal, Stock, 2022, 250 p.

uel est le plus célèbre des concours de beauté ? Non, ce n’est pas celui de Miss Liban, Miss Monde ou Miss Univers, mais celui qui, il y a quelques milliers d’années, vit les trois déesses principales de l’Olympe, Aphrodite, Héra, et Athéna, rivaliser pour être l’heureuse élue. Tous les dieux et les humains s’étant défaussé tant les colères des déesses étaient phénoménales, on s’en remit au hasard qui désigna comme seul juré un jeune prince troyen innocent qui ne s’intéressait jusqu’alors qu’à ses chèvres. On se souvient que son choix se porta sur Aphrodite, qui lui avait promis comme récompense l’amour d’Hélène, la Brigitte Bardot de l’Antiquité. Un choix tragique puisqu’il provoqua la guerre de Troie et l’anéantissement de la cité.

Mais en même temps un choix heureux puisque ce conflit fut à l’origine de ces deux trésors littéraires de l’Humanité que sont l’Iliade et l’Odyssée. Et pas seulement : il féconda aussi les grands tragiques grecs, Racine, Shakespeare, Goethe, James Joyce…

La littérature occidentale doit donc l’essentiel à un concours de beauté entre déesses jalouses. Mais cette beauté, elle représentait pour les Grecs anciens bien davantage que l’image que nous en avons, surtout à notre époque qui cherche à en minimiser l’importance, voire à l’exclure comme l’a fait l’art contemporain.

Du temps d’Homère et de ses successeurs, on pouvait tout se permettre au nom de la beauté. Hélène, qui est une demi-déesse issue de Zeus, a abandonné son mari, son foyer et ses enfants, causé la destruction totale de Troie, la mise à mort des hommes, le viol et l’esclavage des femmes, mais sa beauté surpasse tout. Arrivée au bras de Pâris dans la future ville martyre, le roi Priam et la reine Hécube, qui savent déjà que leurs enfants et petits-enfants vont périr de façon atroce dans le conflit, s’inclinent et lui rendent hommage. Pas plus son cocu de mari que les vieillards survivants de la cité exterminée ne lui en voudront. « Non, il n’y a lieu de blâmer les Troyens ni les Achéens aux longues jambières si, pour telle femme, ils souffrent de si longs maux », écrit sobrement Homère.

C’est que la beauté pour les Grecs va de pair avec la bonté. Elle détient un pouvoir civilisateur universel, suscite générosité, vertu et héroïsme, et conduit à la « prairie » de la vérité. Elle est en un sens un principe philosophique. À travers le destin d’Hélène, on voit que rien n’est plus puissant que la beauté mais, en même temps, comme elle est lourde à porter. Elle est donc ambivalente. À preuve que la Ravissante finira par se suicider.

Mais Hélène n’est pas qu’éblouissante, elle est aussi fantastiquement libre. Et elle n’est pas la seule. Le sont également les autres déesses et divinités, toutes aussi belles les unes que les autres et, dès lors, capables de séduire qui elles veulent, d’aimer et d’abandonner les humains, de violer tous les tabous, de n’en faire qu’à leur tête. Elles peuvent être pacifistes, comme Chloris (Flora pour les Romains), ou guerrières comme Médée, traitresse, voleuse, tueuse et sacrilège, les Amazones, qui massacrent tant et plus, ou Aphrodite, également magiciennes, politiciennes, conspiratrices mais elles ne sont jamais coupables de quoi que soit. Non seulement sont-elles puissantes mais aussi dominatrices, voire féroces. Aussi, les dieux masculins les craignent-elles et même Zeus, tout dieu des dieux qu’il est, ne fait pas le poids devant une Aphrodite « au sommet ».

C’est à travers leur histoire que Laure de Chantal, à la fois agrégée de lettres classiques et helléniste, se promène en dépoussiérant les mythes avec une érudition joyeuse et, parfois, mutine. On y découvre combien les divinités et héroïnes antiques sont différentes de l’image que nous en avons, sans doute en référence à la piètre condition des femmes grecques de cette époque qui étaient largement écartées des fonctions politiques et administratives de la cité. Elle les classe en sept familles, comme dans le jeu éponyme : les Créatrices, telle Gaïa, la Terre en grec et la première divinité du monde, « qui nous vient de la nuit des temps, et même d’avant car le temps alors n’existait pas » ; les Guerrières, comme l’étincelante Athéna mais aussi la fragile Iphigénie, la femme sacrificielle, assassinée sur l’autel le jour de ses noces, que nous connaissons à travers « le miroir enchanteur de Racine » ; les Savantes, avec Métis, non seulement la première femme de Zeus, mais aussi celle « qui sait plus de choses que tout dieu ou homme mortel », comme le dit le poète Hésiode ; les Battantes, comme Artémis, Circé, Ariane, Médée, sans oublier bien sûr Pénélope ; « Celles qui disent oui », avec Calypso, la nymphe aux belles boucles qui a cajolé Ulysse, Léda la volage ou Psyché, « l’âme héroïque » ; « Celles qui disent non », avec évidemment Antigone, « qui met à genou Créon, le tyran de Thèbes ». Enfin, les Reines, Junon, Hécube ou Clytemnestre, la régicide, qui tue « le veule et vil Agamemnon », revenu de la guerre de Troie avec sa maîtresse Cassandre.

Toutes ces déesses, divinités, héroïnes ne font pas que nous enchanter de leurs folles aventures, elles nous instruisent en même temps, de la folie, du courage, des passions, de tous les sentiments. On sera cependant beaucoup moins sensible au prêchi-prêcha de l’écrivaine sur l’éternelle misogynie masculine, qu’elle dénonce à travers tout le livre. On le sait, les hommes sont toujours « prompts à diminuer une vertu jugée féminine », à regarder sous les jupes des femmes ou à se comporter comme des porcs, à l’image des compagnons d’Ulysse que Circé a métamorphosés en pourceaux. Mais dénoncer sans cesse la perverse masculinité – seul Ulysse trouve grâce aux yeux de l’helléniste qui le consacre « homme parfait » – devient vite pesant en contradiction avec la légèreté de nos déesses.

« Savants et lettrés de l’Antiquité prétendaient que tout était chez Homère, conclut Laure de Chantal. Il y a en tout cas une belle leçon de féminisme et d’humanité, la meilleure, celle donnée par l’exemple et portée par la beauté bouleversante des mots. La mythologie foisonnante, qu’elle ait été transmise dans la poésie, à la scène, dans les arts, en Grèce ou à Rome, a su elle aussi faire la part belle au génie féminin. Il faudrait plus qu’un seul livre pour les énumérer toutes (…) ces fières femmes de la mythologie qui font précisément la fierté de la condition féminine. »

Libre comme une déesse grecque de Laure de Chantal, Stock, 2022, 250 p.uel est le plus célèbre des concours de beauté ? Non, ce n’est pas celui de Miss Liban, Miss Monde ou Miss Univers, mais celui qui, il y a quelques milliers d’années, vit les trois déesses principales de l’Olympe, Aphrodite, Héra, et Athéna, rivaliser pour être l’heureuse élue. Tous les dieux et les humains...

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