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La grande farfouille

Il fut un temps où on les appelait des chiffonniers car les textiles mis au rebut n’avaient pas encore été submergés par les déluges de contenants de plastique et de boîtes de conserve métalliques. Contrairement à la croyance populaire, ces ferrailleurs, biffins, tripatouilleurs et autres farfouilleurs qui font les poubelles ne sont guère l’exclusivité des pays frappés par l’infortune, et on en trouve même dans certaines grandes capitales. Plus ou moins tolérés par les autorités, ils peuvent pourtant se targuer d’être les inventeurs et les pionniers du triage, du recyclage et de la récupération, en matière de déchets.


Ces écumeurs de dépotoirs, les Libanais n’en avaient jamais pris vraiment conscience avant l’apparition, il y a des années, de la crise des ordures ménagères qui a transformé les rues en décharges à ciel ouvert. Puis est venue la cascade de catastrophes financières et socio-économiques. L’on s’est alors ému, indigné, effaré au spectacle de ces damnés de la terre cherchant parmi les immondices un reste de sandwich ou quelque fruit à moitié pourri, pitoyables aubaines revêtant valeur de pépites d’or.


Toujours est-il que dans les décharges officielles laissées à l’abandon, voici venu le temps de la collecte sauvage, et néanmoins organisée : sauvage, car échappant à tout contrôle de l’État et causant parfois mort d’hommes ; et parfaitement organisée comme le veut la règle dans un pays où rien, à commencer par la politique pour finir par les ordures, n’échappe aux combines mafieuses.


Largement diffusées ces derniers jours sur le petit écran, les images de ces hordes de glaneurs ratissant les montagnes de détritus sont évidemment dérangeantes. Elles devraient faire davantage pourtant que de nous porter à la plaintive nostalgie d’un passé plus heureux, plus flatteur. Car par subtils traits de pinceau, ces images ont aussi la bonne grâce de nous suggérer bien mieux, bien plus productif, à l’approche des élections législatives.


Le personnel politique libanais (gardons-nous bien de tout excès !) n’est certes pas formé que de forbans voués au pillage du Trésor public. Ces derniers sont toutefois tellement visibles; si grossiers sont leurs mensonges, si insupportable est leur arrogante impudeur quand ils s’essaient à exhiber des mains propres, que l’électeur les repérera aisément dans le tas fumant qu’il est invité à arpenter. En cherchant bien cependant, on peut y trouver aussi quelques perles rares : et même, au prix il est vrai d’un peu d’indulgence, plus d’un candidat au recyclage.


Las, le tri n’est pas achevé pour autant, surtout pour les citoyens en définitive rupture avec l’actuelle classe dirigeante et avides de renouveau. C’est là d’ailleurs que réside le plus délicat, sinon le plus ardu. La belle communion populaire que fut le soulèvement d’octobre 2019 a suscité un torrent de vocations politiques, ce qui est fort heureux, mais bien peu de rassembleurs, ce qui l’est moins. Dans le flot de candidatures à la députation, le plus dur ne sera pas de débusquer les resquilleurs, réformistes de circonstance, qui auraient réussi à se glisser parmi les aspirants tout à fait honorables. Plutôt que de griller son suffrage dans quelque baroud d’honneur, ce sera de voter utile dans toutes les circonscriptions où la société civile a des chances de percer la muraille du système établi.


Nez pincé, pelles, binettes et pincettes au poing, il est déjà grand temps pour les Libanais de se mettre eux aussi à la grande farfouille.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Il fut un temps où on les appelait des chiffonniers car les textiles mis au rebut n’avaient pas encore été submergés par les déluges de contenants de plastique et de boîtes de conserve métalliques. Contrairement à la croyance populaire, ces ferrailleurs, biffins, tripatouilleurs et autres farfouilleurs qui font les poubelles ne sont guère l’exclusivité des pays frappés par...