
Le juge Tarek Bitar (à gauche) et le ministre des Finances, Youssef Khalil. Photos DR
Bloquée depuis quatre mois par des recours incessants contre le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar, l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020) n’est pas près de redémarrer. Dernier obstacle en date : le ministre des Finances, Youssef Khalil, proche du mouvement Amal, refuse de signer le projet de nomination de six des dix présidents de chambres de la Cour de cassation qui forment l’assemblée plénière de cette instance. Or cette assemblée est la juridiction compétente pour débloquer le processus, car c’est elle qui statue sur les recours en responsabilité de l’État contre les « fautes lourdes » du juge Bitar, ainsi que du juge Naji Eid, lui-même chargé d’examiner un recours en dessaisissement intenté contre M. Bitar par Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, députés et anciens ministres appartenant également au camp berryste.Établies en mars par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et aussitôt signées par le ministre de la Justice Henri Khoury, ces nominations sont nécessaires afin que puisse siéger l’assemblée plénière, qui a perdu depuis janvier le quorum requis (5) pour ses réunions : le nombre de ses membres était alors passé à quatre, en raison des départs à la retraite des six autres. Sauf que ce projet de décret portant sur les nominations qui, en raison de tiraillements politiques, a pris deux mois pour aboutir, s’est arrêté à la porte du ministre des Finances, alors que, dans la foulée de la signature de Youssef Khalil, il devrait être transmis au chef du gouvernement et au président de la République en vue d’être approuvé et rendu public.
Une question d’ordre confessionnel
Pourquoi Youssef Khalil s’abstient-il de signer le texte ? Parce qu’il comporte une « faute fondamentale », a affirmé ce dernier dans un communiqué publié samedi, sans toutefois dire de quelle « faute » il s’agit. « Nous œuvrons à aplanir les obstacles qui entravent la signature du décret des nominations », a ajouté le ministre. Des déclarations que le chef de l’État, Michel Aoun, a commentées le lendemain, à Bkerké. « Il n’y a pas de faute fondamentale. Il y a des entraves à la justice (…), et vous savez tous qui en sont les auteurs (…) », a-t-il lancé, visant le tandem chiite.
Youssef Khalil n’a pas répondu à notre appel visant à savoir à quelle faute il fait référence. Jointe également par L’Orient-Le Jour, une source qui lui est proche se contente d’indiquer que « l’affaire est complexe » et qu’« elle n’est pas près d’être résolue ». Selon le quotidien al-Akhbar, proche du Hezbollah, la raison de l’abstention du ministre est d’ordre confessionnel. Le ministre des Finances estimerait, selon des sources citées par ce journal, que la composition actuelle de l’assemblée plénière n’est pas conforme au pacte national, en vertu duquel les postes doivent être partagés à égalité entre les communautés chrétiennes et musulmanes. Il faut savoir que cinq membres de l’assemblée plénière sont musulmans et cinq autres chrétiens, auxquels s’ajoute le premier président de la Cour de cassation (Souheil Abboud), chrétien de confession. Toujours selon les informations recueillies, le ministre considère que M. Abboud, qui est également président du CSM, doit faire partie des cinq présidents de chambre chrétiens, c’est-à-dire qu’il doit présider une des chambres de la Cour de cassation (la 1re) plutôt que de nommer un autre magistrat chrétien à ce poste. Une source proche du CSM indique à L’OLJ que c’est bien la première fois que la formule des six chrétiens et cinq musulmans est contestée, alors qu’elle est pratiquée depuis l’accord de Taëf (1989). Autrement dit, le tandem chiite use de tout moyen de nature à torpiller l’enquête de Tarek Bitar.
Contacté par L’OLJ, Ghaleb Ghanem, ancien premier président de la Cour de cassation, confirme que depuis « au moins » l’accord de Taëf, aucun premier président de la Cour de cassation n’a présidé une chambre. « Il n’y a pas de règle écrite ou coutumière qui impose une parité confessionnelle à ce niveau », renchérit Rizk Zgheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit de l’USJ. Selon Me Zgheib, « le ministre des Finances doit signer le projet de décret et ne le bloquer qu’en cas d’impératifs financiers ». « Il n’a pas son mot à dire » dans les questions confessionnelles, insiste-t-il, faisant observer par ailleurs que « le principal intéressé par les nominations judiciaires, à savoir le ministre de la Justice, l’a lui-même signé ».
commentaires (10)
Toutes ces histoires d'ordures politicardes sont à jeter dans le Golfe Persique...
Un Libanais
18 h 47, le 20 avril 2022