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Culture - Installation

Et si le pouvoir était enfin (re)donné aux femmes ?

Le Musée archéologique de l’AUB donne à voir, jusqu’au 30 avril 2022, une installation des sculptures d’Andrée Hochar Fattal en résonance avec les Déesses de la fertilité du Musée. L’exposition « Mother Earth », inaugurée le 8 mars (Journée des droits de la femme), est aussi pour la sculptrice le temps de garder intacte la mémoire de sa sœur Marion Hochar Ibrahimchah tragiquement disparue le 4 août 2020.

Et si le pouvoir était enfin (re)donné aux femmes ?

« Ma pomme », d'Andrée Fattal, en conversation avec « Aphrodite à la pomme » figurine de Tanagra, hellénistique, Ier-IIIe siècle avant J.-C. Photo DR

En ces temps troublés par les tambours de la guerre, imaginons un monde dirigé par les femmes, où celles-ci éveilleraient habilement les consciences sur l’absurdité du modèle patriarcal qui mine les relations hommes/femmes depuis des siècles en inversant totalement ce rapport. Un monde où les femmes feraient ce qu’elles savent faire de mieux, prôner l’amour, instaurer le dialogue et le respect interhumain, et glorifier le pardon et la bienveillance. La conservatrice du musée archéologique de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) Nadine Panayot l’a bien compris en décidant de mettre en place une installation composée des œuvres d’Andrée Hochar Fattal dans un face-à-face audacieux avec les pièces du musée, et en particulier avec celles qui honorent la femme, comme dans un dialogue culturel qui verbalise les non-dits pour brandir et réaffirmer l’unité des femmes à travers les siècles. Lorsque Nadine Panayot rencontre la sculptrice, un échange très fort d’idées et d’opinions se met en place. « La maternité a certainement eu son rôle à jour dans notre intérêt commun à revendiquer la grandeur de la femme. Le 8 mars (journée qui célèbre les droits de la femme) se présentait comme étant la date la plus propice pour inaugurer cet événement », avoue la conservatrice, alors qu’elle-même et Andrée Hochar Fattal sont toutes deux mères de trois filles. Nadine Panayot, qui s’est penchée depuis toujours sur le pouvoir des femmes à travers les siècles, depuis la femme préhistorique puissante et détentrice du pouvoir jusqu’à celle du XXIe siècle qui se bat sur tous les fronts, demeure convaincue que durant des millénaires, les sociétés ont vécu dans un système matriarcal et n’ont été déchues qu’il y a à peine 2 500 ans. Alors, il lui lui fallait aujourd’hui souligner l’héritage de cette résonance féminine à travers les siècles passés avec l’art contemporain. La conservatrice du musée de l’AUB n’avait qu’une seule idée en tête : « la vitrine des déesses de fertilité devait être mise en valeur, et les œuvres d’Andrée Hochar Fattal allaient servir de déclencheur et de projecteur. » Nadine Panayot se tourne donc vers la sculptrice qui n’a eu de cesse de travailler le corps de la femme, de représenter la fertilité dans ses formes les plus expressives, dans un féminisme épuré et une approche corporelle unique. « Ses sculptures, dira la conservatrice, sont tantôt réalistes et tantôt telles des galets polis par le ressac des vagues. » L’artiste honore la quintessence de la femme, ce qu’elle est intrinsèquement et ce qu’elle peut faire contrairement aux hommes : donner la vie, la protéger et la glorifier.

Avec de l’argile, Andrée Hochar Fattal moule et façonne des corps de femmes, des figures sensuelles et voluptueuses célébrant la beauté de la féminité, la maternité et la fertilité. Photo DR

Dans chaque musée, une œuvre m’appartient

Ayant beaucoup voyagé, Andrée Hochar Fattal avoue avoir emmagasiné des formes et des images, et reproduit lors de ses années de travail, consciemment ou inconsciemment, le concentré de ses découvertes. « Au cours de mon parcours artistique, dit-elle, toutes les œuvres à travers le monde m’ont inspirée. » Et de citer Montaigne : « L’artiste est comme une abeille qui butine d’une fleur à l’autre pour enfin produire son propre miel. »

D’abord une amie de l’institution archéologique de l’AUB, Andrée Hochar Fattal est surtout une amoureuse des musées en général. Elle l’avoue avec un léger sourire coquin comme on avouerait un délit involontaire : « Dans ma tête, j’ai un musée imaginaire, à chaque visite dans les musées du monde, je choisis une pièce et je me l’approprie. Je la fais mienne par la simple force de ma pensée et de ma mémoire. Et voilà que par magie, elle m’appartient et je m’en réjouis de l’avoir pour moi. » Au musée de l’AUB, c’est le Cedrus libani qu’elle choisit d’ajouter à sa collection mentale. Lorsque Nadine Panayot lui propose le projet de mettre en relation les pièces du musée avec ses sculptures, Andrée Hochar Fattal a d’abord pensé à cette œuvre impressionnante. La provenance du Cedrus libani (9,5 m de long) est inconnue; découvert à Beyrouth près de l’hôtel Saint-Georges, il a été livré à l’AUB en 1982. La datation au carbone 14 a permis d’identifier ce plus grand morceau connu de Cedrus libani préhistorique à un arbre mort il y a environ 7 760 ans. Le nombre de ses anneaux de croissance indique que l’arbre a vécu environ 300 ans. Le tourbillon, une œuvre d’Andrée Hochar Fattal, viendra trouver sa place au cœur du tronc, et le reste suivra.

« Déesse » en conversation avec les premières figurines féminines de la fertilité. Photo DR

Le dialogue est d’essence féminine

Voilà comment Osmose, ce couple qui se fond dans une harmonie parfaite, se retrouve face à Eros et Psyché; Méditerranée entre en conversation avec les premières figurines féminines ; Ma pomme, œuvre arrogante et nonchalante d’après la conservatrice, fait écho à Aphrodite (choisie, selon la légende, comme étant la plus belle par Paris). La femme oiseau se tient, elle, face aux statues de la fertilité. Lorsque la sculptrice avoue à la conservatrice qu’une de ses œuvres a pour nom Déesse, Nadine Panayot ne peut s’empêcher de penser que le cerveau de l’artiste fonctionne comme un palimpseste : il absorbe tout ce qu’il a vu et ce qu’il n’a pas vu, comme le principe platonique du monde des idées. Inconsciemment, mais avec désinvolture, Andrée Hochar Fattal façonne sa « déesse » de la fertilité avec un visage d’oiseau en utilisant la même technique appliquée depuis le début de l’âge du bronze. La vitrine avec des figurines vieilles de plus de 3 000 ans, « devant laquelle les gens passent sans y prêter attention » selon la conservatrice, sera réveillée de son sommeil millénaire par Thalassa avec ce qu’elle évoque comme début et fin, vie et mort, et le temps qui passe. Et enfin, Astarté enceinte, devant laquelle viennent se prosterner deux œuvres de la sculptrice, Fruit défendu et Étoile du jour, comme si elle représentait la ville de Beyrouth qui accuse son peuple d’avoir fouillé ses entrailles et d’avoir éradiqué son existence en si peu de temps. Pour terminer, la sculpture Elles représente ces femmes unies qui ont joué un rôle si important dans la révolution de 2019 et qui ont redonné naissance à des centaines d’agoras pour se réapproprier leur statut mille fois millénaire de déesses éternelles que les sociétés patriarcales leur avaient extirpé.

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Une symbolique puissante et des liens très forts se tiennent entre les œuvres de l’artiste et les pièces du musée pour réhabiliter la femme en général, et Ève en particulier, à qui incombe le malheur de l’humanité. Et si c’était simplement Adam le responsable ? Il est peut-être venu, le temps de reconnaître le pouvoir des femmes, celui de transcender les âges et l’universel, et d’espérer enfin faire tourner le monde dans le bon sens.

« Mother Earth », d’Andrée Hochar Fattal.

Au musée archéologique de l’AUB, jusqu’au 30 avril.

Un musée pour 7 pays

Fondé en 1868, le musée archéologique de l’AUB est le troisième plus ancien musée du Proche-Orient, après ceux du Caire et de Constantinople. C’est un musée régional avec des collections de sept pays, le Liban, la Syrie, Chypre, l’Égypte, la Palestine, l’Irak et l’Iran. Rénové en 1999 sous le commissariat du Dr Leila Badre, le musée a rouvert ses portes au public en 2006. Le musée offre un aperçu unique de l’archéologie du Proche-Orient du début de l’âge de la pierre à la période islamique. Depuis le 1er septembre 2020, la nouvelle conservatrice, Dr Nadine Panayot, conjointement avec la société des Amis du musée, organise un programme complet d’activités virtuelles : conférences, programmes pour enfants, causeries en galerie...

En ces temps troublés par les tambours de la guerre, imaginons un monde dirigé par les femmes, où celles-ci éveilleraient habilement les consciences sur l’absurdité du modèle patriarcal qui mine les relations hommes/femmes depuis des siècles en inversant totalement ce rapport. Un monde où les femmes feraient ce qu’elles savent faire de mieux, prôner l’amour, instaurer le dialogue...

commentaires (1)

Chapeau et Grand Merci à Andrée Hochar Fattal et au Musée de l'AUB pour nous avoir rappelé notre humanité et notre beauté intérieure!

Wlek Sanferlou

15 h 11, le 19 avril 2022

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Commentaires (1)

  • Chapeau et Grand Merci à Andrée Hochar Fattal et au Musée de l'AUB pour nous avoir rappelé notre humanité et notre beauté intérieure!

    Wlek Sanferlou

    15 h 11, le 19 avril 2022

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