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Culture - Rencontre / Cinéma

« Quand tu nais syrien, tu traînes la peur toute ta vie »

« The Translator » (« Le Traducteur ») est le premier film de fiction sur la révolution syrienne. Écrit par Rana Kazkaz et Magali Negroni, réalisé par Kazkaz également et son mari Anas Khalaf qui en est aussi le producteur avec Nicolas Leprêtre et Raphaël Alexandre, et distribué par M.C., il a été projeté à l’Institut français du Liban pour une séance unique. « Un film projet d’une vie », indique Anas Khalaf qui répond aux questions de « L’OLJ ».

« Quand tu nais syrien, tu traînes la peur toute ta vie »

L’acteur Ziad Bakri dans une scène du film « Le Traducteur » de Rana Kazkaz et Anas Khalaf. Photo Georges Films/The Translator

Le film « The Translator » s’articule autour d’un interprète syro-australien qui revient dans son pays natal aux débuts de la révolution de 2011. Quelle est, en quelques mots, l’histoire du film ?

Dans les années 80, Sami (Ziad Bakri), alors enfant, a été le témoin impuissant de la séquestration de son père. Vingt ans plus tard, il traîne donc cette culpabilité qui le hante. Sa trajectoire se résume ainsi à retrouver sa propre « voix » après une erreur de traduction aux JO en 2000. En tant qu’interprète international qu’il est devenu, il ne parle pas mais se cache derrière les mots des autres. En revenant au pays pour libérer son frère de prison avec l’aide de sa belle-sœur (jouée par Youmna Marwan), pourra-t-il retrouver enfin cette voix ?

Comment ce film est-il né, vu que les processus d’écriture et de financement ont duré longtemps ?

Nous habitions Damas et nous avons vu ce qui s’est passé au début (du soulèvement, en mars 2011, NDLR) et nous avions perçu ce qui se préparait, mais pas autant que la réalité, je l’avoue. Nous avons tout de suite voulu raconter une histoire. Nous savions que la propagande allait voler ce moment d’espoir du début de la révolution, quand les gens ont manifesté sans armes et d’une manière pacifique dans la rue. Plus tard, les journalistes occidentaux s’interrogeaient : « Pourquoi y avait-il une révolution en Syrie avant Daech ? » Le monde entier s’était concentré sur Daech et avait oublié cette époque qui était cependant un élan d’espoir.

L’actrice Sawsan Arsheed qui sert Kareem dans ses bras, dans le film « Le Traducteur » de Rana Kazkaz et Anas Khalaf. Photo Georges Films/The Translator

« Le risque est de ne rien dire », dit-on dans le film. Est-ce que vous avez fait ce film parce que tout au fond de vous-même vous aviez des remords de n’avoir rien dit à l’époque de la guerre en Syrie ?

Quand tu nais syrien, tu traînes la peur toute ta vie. Nous avons eu, ma femme et moi, ainsi que les enfants, le privilège de quitter le pays facilement avec des passeports français qui nous ont permis d’atteindre l’Europe en quatre heures et demie d’avion, alors que nos compatriotes et nos frères syriens sont partis par la mer, la montagne, à pied… Beaucoup sont morts. Rana et moi « sommes » donc Sami, le personnage principal qui a quitté le pays et qui a eu une autre nationalité. Nous voulons nous rattraper sur notre passé et apporter notre propre participation à ce pays. Le privilège d’avoir une double nationalité nous a ouvert les yeux et nous a poussés à ne pas nous taire par la suite et à prendre position à notre façon. Nous n’avons pas manifesté parce que nous avions peur de nous faire tuer ou de nous faire arrêter, je n’ai pas honte de le dire. Notre façon de participer était donc de faire un film et de témoigner à travers le cinéma. Rana est partie avec les enfants en 2011 et moi en 2012. Je voulais voir ce qui allait se passer. À la suite de mon départ, notre maison a été détruite. Et depuis, nous avons commencé à écrire ce film qui est pour moi le projet d’une vie.

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Pourquoi avoir pensé faire un film de fiction et non pas un documentaire ?

Godard dit : « Vous voulez un film sur les autres ? Faites un documentaire. Vous voulez faire un film sur vous-même ? Faites une fiction. » Il y a beaucoup de nous-mêmes dans cette histoire. La fiction permet au spectateur de s’identifier aux personnages et protagonistes d’un film par rapport au documentaire parce que ce dernier ressemble aux informations qu’on voit à la télé tous les jours. La fiction est un film fabriqué de toutes pièces. Les spectateurs savent que tout est faux, que les acteurs jouent la comédie et récitent un texte et font dix, vingt fois la prise pour obtenir la bonne, mais c’est la magie du cinéma qui opère au moment où le spectateur, en voyant les images, s’identifie au personnage et entre immédiatement dans l’histoire. Les films de fiction sont d’ailleurs plus craints que les documentaires, notamment au Moyen-Orient. Preuve en est, les festivals au Moyen-Orient ont montré tous les documentaires sur la Syrie mais ont boudé notre film de fiction.

« Le Traducteur », premier film de fiction sur la révolution syrienne. Photo Georges Films/The Translator

Comment s’est faite la sortie de ce film et où va-t-il voyager par la suite ?

On a été très surpris de la réaction des pays arabes qui ont refusé sa sortie en salle. En revanche, il est sur les plateformes. On peut le voir dans tout le Moyen-Orient sur la plateforme OSN, et disponible pour tout le monde. Quant au Liban, on voulait le projeter à l’Institut français parce que c’est une production franco-syrienne, avant de réfléchir à sa sortie en salle. À partir du mois de juin, il sera sur Canal+ en France et, six mois plus tard, sur Arte.

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commentaires (1)

raz le bol des syriens et de leur vie et de leur sujet. le monde n est pas "ces gens la".

Marie Claude

07 h 07, le 13 avril 2022

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Commentaires (1)

  • raz le bol des syriens et de leur vie et de leur sujet. le monde n est pas "ces gens la".

    Marie Claude

    07 h 07, le 13 avril 2022

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